Il ne fait aucun doute qu’un facteur aggravant doit être prouvé hors de tout doute raisonnable lors de la détermination de la peine, à défaut de l’avoir été au procès, la preuve présentée lors de ce dernier étant prise en compte dans ce contexte.
[79] Il ne fait aucun doute qu’un facteur aggravant doit être prouvé hors de tout doute raisonnable lors de la détermination de la peine, à défaut de l’avoir été au procès, la preuve présentée lors de ce dernier étant prise en compte dans ce contexte : art. 724 C.cr.
[80] Dans le jugement sur la culpabilité, la juge fait référence à ces paroles, mais elle les rapporte différemment. Selon elle, Mme T… aurait dit au policier Ra… que l’appelant lui avait répété qu’il lui était indifférent de tuer son père ou un policier ou quiconque. Pourtant, ce policier témoigne uniquement du fait que Mme T… lui avait dit que l’appelant voulait tuer un policier. Pour apprécier la séquence des événements, il faut aussi tenir compte du fait que l’appelant a déverrouillé la porte d’entrée pour le policier Ra…, qu’il n’a montré aucune agressivité envers lui et qu’il a collaboré à son arrestation. Ce comportement est contraire au « plan » prêté à l’appelant.
[81] Par ailleurs, le policier M…, qui a rencontré Mme T… et a recueilli sa déclaration, rapporte que cette dernière lui a dit que l’appelant avait affirmé pouvoir tuer un policier ou son père.
[82] Bref, dans le contexte, la déclaration retenue par la juge est confuse, voire douteuse. À mon avis, la preuve présentée ne permet pas d’en faire un facteur aggravant excluant le caractère spontané du geste. Il en ressort plutôt de la colère qu’une planification.
[83] La juge commet une seconde erreur factuelle qui lui permet de rejeter le caractère impulsif du geste de l’appelant envers son père. Au procès, l’appelant explique qu’il a poignardé son père parce qu’il croyait que ce dernier lui volait son argent. Elle rejette sa version parce qu’il n’avait pas mentionné ce fait à la police (supra, par. 31 souligné). Or, cette prémisse est inexacte puisque le policier Ra… témoigne qu’au moment de son arrestation, l’appelant a répété qu’on l’avait volé.
[84] Outre ces deux erreurs, par ailleurs importantes, la preuve ne démontre pas la préméditation. Il en ressort que l’appelant voulait son argent et que sa colère a augmenté avec les refus reçus.
Si le concept de préméditation ne peut être précisément défini, il traduit nécessairement un projet soigneusement réfléchi, dont les conséquences ont été considérées et comprises, sans qu’il soit nécessairement complexe ou même raisonnable.
[85] Si le concept de préméditation ne peut être précisément défini, il traduit nécessairement un projet soigneusement réfléchi, dont les conséquences ont été considérées et comprises, sans qu’il soit nécessairement complexe ou même raisonnable : voir notamment R. c. Nygaard, 1989 CanLII 6 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1074. Cette description a été reprise et son interaction avec la colère a été expliquée : voir notamment R. c. Duchaussoy, 2020 QCCA 380; R. c. Koneak, 2024 QCCA 1665.
[86] Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que la preuve soutient peut-être l’intention de tuer (et je précise que cette conclusion n’est pas en appel), mais pas une préméditation et encore moins hors de tout doute raisonnable.
[87] L’appelant a raison de souligner que préméditation et troubles mentaux sont souvent antinomiques :
27. Il est vrai qu’un facteur, comme les troubles mentaux, qui est insuffisant pour neutraliser l’accusation selon laquelle l’accusé avait l’intention de tuer peut néanmoins suffire à neutraliser les éléments de préméditation et de propos délibéré. Il en est ainsi parce qu’une personne peut avoir l’intention de tuer et néanmoins accomplir cet acte de manière impulsive plutôt que réfléchie. La capacité mentale requise pour former une simple intention est moindre que celle qui est nécessaire pour agir avec préméditation et de propos délibéré.
R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 27 (soulignements dans l’original).
[88] La conclusion demeure tributaire des faits. En l’espèce, les faits exigeaient que la juge motive sa conclusion sur la préméditation malgré la preuve de troubles mentaux importants. Un des objectifs de la motivation est de démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 869, par. 55. Les devoirs de motivation sont les mêmes en matière de peine et l’absence de motifs réduit la déférence habituelle envers les conclusions factuelles : art. 726.2 C.cr.; R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, par. 34; R. c. Lamoureux, 2022 QCCA 1531, par. 16.
Il est également indiscutable que l’état de l’appelant est directement lié à ses origines inuites, une communauté malmenée par les politiques canadiennes, historiques et systémiques. […]. La juge n’a pas réellement incorporé cette réalité dans l’évaluation de la peine juste et proportionnelle et elle devait en tenir compte même pour un crime grave.
[105] Qui plus est, il est également indiscutable que l’état de l’appelant est directement lié à ses origines inuites, une communauté malmenée par les politiques canadiennes, historiques et systémiques : R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80, cité plus haut. Je ne peux imaginer de portrait plus clair d’un lien quasi direct entre les politiques gouvernementales qui ont détruit le tissu social des communautés inuites, notamment celle de Ville C, et la présence de l’appelant devant la justice criminelle. Je reprends ici les propos du juge Greckol de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, eux-mêmes repris par la Cour suprême dans l’arrêt Ipeelee : [traduction] « Peu d’êtres humains peuvent vivre une telle enfance et une telle jeunesse sans développer de graves problèmes » : R. v. Skani, 2002 ABQB 1097, cité dans R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433, par. 73; R. c. Denis-Damée, 2018 QCCA 1251, par. 103.
[106] La juge n’a pas réellement incorporé cette réalité dans l’évaluation de la peine juste et proportionnelle et elle devait en tenir compte même pour un crime grave : R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433, par. 84-86.
[107] Quant aux troubles mentaux eux-mêmes, je me permets de reprendre les récentes observations de la Cour :
[23] La situation personnelle du délinquant, y compris sa déficience intellectuelle ou ses troubles mentaux, peut avoir un effet sur sa culpabilité morale et, par le fait même, sur la peine applicable dans son cas particulier, comme le signalent le juge en chef Wagner et le juge Rowe dans l’arrêt Friesen :
[91] Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme une directive de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » (M. (C.A.), par. 80 (soulignement omis); voir aussi Ipeelee, par. 37). Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite (R. c. Scofield, 2019 BCCA 3, 52 C.R. (7th) 379, par. 64; R. c. Hood, 2018 NSCA 18, 45 C.R. (7th) 269, par. 180).
[…]
[26] Ainsi, la déficience intellectuelle ou un trouble mental peut contribuer aux choix que fait un délinquant et sur sa capacité d’apprécier toutes les conséquences et le mal causé par sa conduite, ce qui peut influer sur sa culpabilité morale et, par conséquent, sur sa peine.
[27] Même lorsqu’elle ne contribue pas directement à la commission de l’infraction, la déficience intellectuelle ou le trouble mental peut néanmoins constituer un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine si, en tenant compte de celle-ci, la peine serait autrement excessive.
R. c. A.V., 2025 QCCA 156, par. 23 et 26-27 (renvois omis)
[108] En l’espèce, la peine de sept ans d’emprisonnement pour la tentative de meurtre se situe en haut de l’échelle des peines habituelles pour cette infraction. Notre Cour, dans l’arrêt Martin, a conclu que celles-ci variaient généralement entre 18 mois et 8 ans de prison : R. c. Martin, 2012 QCCA 2223, par. 55. Comme l’appelant, j’y vois l’expression d’une peine qui n’a pas été individualisée au cas de l’appelant.
[109] L’arrêt Martin est instructif puisqu’il s’agit d’une tentative de meurtre commise par une personne souffrant manifestement d’un trouble mental. Dans un moment de crise, il a conduit jusqu’à la résidence de son ancienne copine pour tenter de la poignarder à une douzaine de reprises, sans succès en raison du vêtement porté par la victime et de l’émoussement de la lame du couteau de chasse d’une longueur d’environ 12 pouces utilisé. Il a également donné des coups à la tête de la victime, qui l’ont blessée et qui ont provoqué des saignements abondants. Contrairement au cas de l’appelant, Martin n’était pas autochtone et les troubles mentaux étaient « le » facteur important et atténuant. Martin s’est vu infliger une peine de six mois d’emprisonnement assortie d’une ordonnance de probation de trois ans. La Cour a maintenu cette peine, même si un juge dissident aurait, lui, infligé 18 mois d’emprisonnement. Peu importe le désaccord entre les juges, on voit bien l’incidence des troubles mentaux sur la peine appropriée.
[110] Dans l’arrêt Denis-Damée, l’appelante était une autochtone de 21 ans « dont la vie est marquée par le dysfonctionnement total de la cellule familiale, minée par l’alcool, la drogue et la violence » : R. c. Denis-Damée, 2018 QCCA 1251, par. 2. Elle a été condamnée à une peine de six ans d’emprisonnement pour l’homicide involontaire de son père. Polytoxicomane, elle n’avait pas d’antécédents judiciaires. La Cour intervient pour réduire la peine à deux ans d’emprisonnement assortis d’une ordonnance de probation de trois années.
[111] Je rappelle que la Cour a insisté sur l’importance d’un exercice rigoureux lors de la détermination de la peine juste et appropriée d’un délinquant autochtone : R. c. Denis-Damée, 2018 QCCA 1251, par. 122.
[112] Non seulement cet exercice n’a pas été fait par la juge en l’espèce, mais les circonstances affligeant la délinquante dans Denis-Damée font échos à celles qui affligent l’appelant, qui souffre, au surplus, d’importants problèmes de santé physique et mentale, en plus d’avoir vécu des traumatismes spécifiques à titre de victime d’abus sexuel dans l’enfance et d’agression sexuelle grave au début de l’âge adulte.