Une inférence possible constitue une simple possibilité théorique, ou de la spéculation, et ne peut donc soulever un doute raisonnable.
[41] Les principes applicables à la possibilité pour une cour d’appel de réformer l’appréciation de la preuve par le juge du procès sont bien connus. Ce corridor est étroit et la barre à franchir au bout du corridor est haute. Les principes ont été rappelés clairement et simplement par la Cour suprême dans R. c. Clark[15] :
[9] […] Les cours d’appel ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait du juge du procès, à moins qu’elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables. De plus, l’erreur imputée doit être clairement relevée. Il faut aussi démontrer qu’elle a influé sur le résultat.[…].
[Nos soulignements]
[42] Dans l’arrêt récent Dubourg c. R.[16], notre Cour rappelait les principes applicables lorsqu’un appelant soutient que le verdict est déraisonnable parce que le juge du procès ne pouvait conclure que sa culpabilité est la seule conclusion raisonnable pouvant être tirée de la preuve circonstancielle:
[18] Les principes qui s’appliquent à ce moyen d’appel sont bien connus. Un verdict est déraisonnable s’il ne peut s’appuyer sur une évaluation pondérée et soigneuse de l’ensemble des éléments de preuve ou s’il se fonde sur un raisonnement illogique. L’exercice requiert une importante déférence envers l’appréciation de la preuve faite en première instance par le juge des faits. Il ne s’agit pas de savoir si la Cour en serait arrivée au même verdict, mais si une évaluation raisonnable de la preuve peut y mener. Le passage suivant dans Richard, fréquemment cité, résume avec justesse les principes applicables :
[…]
[25] Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. Sinclair, R. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :
1. Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;
2. Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;
3. Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;
4. Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;
5. La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Elle doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.
[Nos soulignements]
[43] La Cour ajoutait les considérations particulières suivantes dans cet arrêt Dubourg[17] lorsque les accusations sont fondées, en tout ou pour un élément essentiel, uniquement sur de la preuve circonstancielle :
[19] La Cour suprême dans Villaroman a établi qu’une preuve circonstancielle hors de tout doute raisonnable est faite lorsque la seule inférence raisonnable qu’elle peut soutenir est celle de la culpabilité de l’accusé. Si ce n’est pas le cas et qu’une inférence raisonnable est compatible avec son innocence, il subsiste forcément un doute raisonnable et il doit être acquitté. Les inférences compatibles avec l’innocence n’ont pas à être fondées sur la preuve ou sur des faits prouvés, puisque le doute raisonnable peut découler de l’absence de preuve.
[20] (…) En résumé, les conclusions tirées de la preuve par le juge des faits et la conclusion que la seule inférence raisonnable est celle de la culpabilité sont-elles raisonnables?
[21] Pour répondre à cette question, il faut souligner que lorsque la Cour dans Villaroman parle de « la seule inférence raisonnable », il faut être exact sur le sens de ces mots. Deux précisions s’imposent. Premièrement, comme la Cour le dit, la seule inférence raisonnable se distingue de la seule inférence rationnelle puisqu’une inférence peut être rationnelle sur un plan logique sans pour autant être raisonnable après une évaluation de tous les éléments de preuve et même l’absence de la preuve. Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, la seule inférence raisonnable n’implique aucunement que cette inférence soit la seule possible dans le même sens qu’une preuve hors de tout doute raisonnable n’équivaut pas à une preuve hors de tout doute possible.
[Nos soulignements et caractères gras; références omises]
[44] Ainsi, une inférence possible constitue une simple possibilité théorique, ou de la spéculation, et ne peut donc soulever un doute raisonnable. Si une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité, ces inférences, toutefois, « doivent être raisonnables compte tenu de l’appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens.[18]», d’une part, et ne sauraient constituer des conjectures, d’autre part[19]. La ligne de démarcation entre une thèse plausible non compatible avec la culpabilité et de simples conjectures ou spéculations n’est toutefois pas toujours facile à tracer[20] et il importe donc en ces matières de respecter l’important principe qu’il «… appartient fondamentalement au juge des faits de tracer dans chaque cas la ligne de démarcation entre le doute raisonnable et les conjectures. Cette appréciation du juge des faits ne peut être écartée que si elle est déraisonnable[21]».