R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19

La disposition réparatrice impose un lourd fardeau à la Couronne. L’accusé a « droit à ce que le verdict soit prononcé par un jury ayant reçu des directives appropriées, et les cours d’appel doivent faire preuve de prudence afin de ne pas empiéter sur ce droit fondamental ».

[33] Enfin, il faut distinguer le rôle de la cour d’appel lors du contrôle de directives au jury afin de déterminer si elles comportent des erreurs de droit de la question de l’application de la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. L’approche décrite dans les présents motifs sert à déterminer si une erreur de droit a été commise dans des directives données au jury par un juge. En revanche, l’application de la disposition réparatrice ne doit être envisagée que dans les cas où une erreur de droit a au préalable été identifiée; il s’agit alors de déterminer si l’erreur peut être « réparée » de manière qu’il n’est pas justifié pour la cour d’appel d’annuler le verdict et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Bien que certaines considérations puissent permettre de déterminer à la fois si une erreur a été commise et si elle peut être « réparée », les deux analyses doivent demeurer distinctes sur le plan conceptuel. L’accusé doit démontrer l’existence d’une erreur de droit. Une fois qu’il s’est acquitté de ce fardeau, la Couronne, si elle invoque la disposition réparatrice, a le fardeau d’établir l’une ou l’autre des conditions d’application de cette disposition : (1) l’erreur de droit était « inoffensive », (2) malgré la présence d’une erreur de droit potentiellement préjudiciable, la preuve contre l’accusé est « accablante » (R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505, par. 25). La disposition réparatrice impose un lourd fardeau à la Couronne. L’accusé a « droit à ce que le verdict soit prononcé par un jury ayant reçu des directives appropriées, et les cours d’appel doivent faire preuve de prudence afin de ne pas empiéter sur ce droit fondamental » (par. 23).

Les principes qui sous‑tendent l’approche fonctionnelle.

[35] Je me permets ici de réitérer les principes qui sous‑tendent cette approche fonctionnelle. L’accusé a le droit d’être jugé par un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites (Jacquard, par. 2 et 62; Daley, par. 31; Araya, par. 39; R. c. Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 R.C.S. 301, par. 9). L’exposé au jury doit être considéré dans son ensemble (Cooper, p. 163; Daley, par. 31 et 53; Calnen, par. 8). C’est la teneur de l’exposé qui importe, et non la question de savoir s’il respecte une formule préétablie ou une séquence donnée (Daley, par. 30 et 53; Calnen, par. 8). Il faut examiner l’exposé non pas isolément, mais plutôt dans le contexte du procès dans son ensemble (Daley, par. 58; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32). La question essentielle consiste à déterminer si le jury comprenait le droit qu’il devait appliquer à la preuve ou s’il était « convenablement outillé » à cet égard pour trancher l’affaire (Calnen, par. 9; Jacquard, par. 14). Chacun de ces principes illustre un aspect de l’approche fonctionnelle. La façon dont les cours d’appel y ont donné effet a occasionnellement manqué d’uniformité.

Il est utile de considérer qu’un jury convenablement outillé est un jury qui a reçu des directives à la fois a) exactes et b) suffisantes. Cela requiert que la cour d’appel examine à la fois ce que le juge a dit et n’a pas dit dans ses directives.

Une déclaration inexacte peut être compensée par une déclaration exacte ailleurs dans l’exposé, pourvu que le jury ait compris avec exactitude le droit qu’il doit appliquer.

Un énoncé problématique dans une partie de l’exposé risque moins de miner un énoncé approprié formulé dans une partie plus importante de l’exposé. À l’inverse, il y a potentiellement davantage de risques que le jury soit induit en erreur lorsque le juge énonce le droit correctement dans une partie plus générale de son exposé, mais le reformule ensuite de manière inexacte dans une partie plus importante ou substantielle de son exposé. Il existe un risque plus grand que le jury ait une compréhension inexacte du droit lorsque l’énoncé inexact est formulé dans un exposé supplémentaire en réponse à une question du jury; cela peut fort bien exacerber l’effet d’une telle erreur et, de ce fait, sa gravité.

[40] Une directive n’est pas inexacte simplement parce que certains mots n’y sont pas employés ou parce qu’elle ne reprend pas une formule de façon stricte; « ce qui importe [c’est] le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités » (Daley, par. 30; voir aussi Khela, par. 53; R. c. Avetysan, 2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745, par. 11; Starr, par. 233). La question consiste à déterminer si le jury a reçu des directives exactes lui permettant de trancher l’affaire conformément au droit et à la preuve (Jacquard, par. 32).

[41] L’exposé au jury doit être considéré dans son ensemble. Comme l’a indiqué la Cour, « le droit d’un accusé à un jury ayant reçu des directives appropriées n’équivaut pas au droit à un jury ayant reçu des directives parfaites » (Jacquard, par. 32). Une seule ambiguïté ou déclaration problématique dans une partie de l’exposé ne constitue pas nécessairement une erreur de droit lorsque l’exposé dans son ensemble a permis de transmettre au jury une compréhension exacte de la question de droit pertinente (R. c. Goforth, 2022 CSC 25, par. 35 et 40; Jaw, par. 32; Cooper, p. 163‑164). Une déclaration inexacte peut être compensée par une déclaration exacte ailleurs dans l’exposé, pourvu que le jury ait compris avec exactitude le droit qu’il doit appliquer (White 2011, par. 82 et 84; Ménard, par. 30; Jacquard, par. 20).

[42] L’organisation de l’exposé et l’endroit où se trouvent les inexactitudes alléguées dans celui‑ci permettent d’apprécier l’exactitude globale de cet exposé (Jaw, par. 33). Par exemple, un énoncé problématique dans une partie de l’exposé risque moins de miner un énoncé approprié formulé dans une partie plus importante de l’exposé (voir, p. ex., Khela, par. 55; R. c. Athwal, 2017 ONCA 222, par. 2‑3 (CanLII)). À l’inverse, il y a potentiellement davantage de risques que le jury soit induit en erreur lorsque le juge énonce le droit correctement dans une partie plus générale de son exposé, mais le reformule ensuite de manière inexacte dans une partie plus importante ou substantielle de son exposé (voir, p. ex., R. c. Subramaniam, 2022 BCCA 141, 413 C.C.C. (3d) 56, par. 73‑77; R. c. Bryce (2001), 2001 CanLII 24103 (ON CA), 140 O.A.C. 126, par. 13‑15 et 20). Il existe un risque plus grand que le jury ait une compréhension inexacte du droit lorsque l’énoncé inexact est formulé dans un exposé supplémentaire en réponse à une question du jury (Brydon, par. 19; R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 139); cela peut fort bien exacerber l’effet d’une telle erreur et, de ce fait, sa gravité.

Lorsqu’on demande au jury d’appliquer des dispositions qui ont été interprétées par les tribunaux, il sera souvent insuffisant pour le juge de simplement citer les dispositions pertinentes aux jurés, sans leur expliquer le sens que la jurisprudence leur a donné.

[52] Lorsqu’on demande au jury d’appliquer des dispositions qui ont été interprétées par les tribunaux, il sera souvent insuffisant pour le juge de simplement citer les dispositions pertinentes aux jurés, sans leur expliquer le sens que la jurisprudence leur a donné (C. Granger, The Criminal Jury Trial in Canada (2e éd. 1996), p. 246; voir, p. ex., R. c. Maxwell (1975), 1975 CanLII 1251 (ON CA), 26 C.C.C. (2d) 322 (C.A. Ont.)). Il n’est pas inhabituel que les tribunaux considèrent que des dispositions du Code criminel incluent des exigences ou des restrictions qui ne ressortent pas de façon évidente du texte de ces dispositions. Par exemple, dans R. c. Boudreault, 2012 CSC 56, [2012] 3 R.C.S. 157, notre Cour a jugé que le libellé de l’infraction relative à la garde ou au contrôle d’un véhicule à moteur par une personne dont les capacités sont affaiblies — infraction qui était prévue au par. 253(1) du Code criminel(maintenant abrogé) — exigeait qu’il existe un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien. Dans de telles circonstances, le simple fait de citer au jury le texte de la disposition serait insuffisant.

Le caractère suffisant d’une directive peut être défini au moyen de deux questions interreliées : (i) La directive était‑elle requise? (ii) S’il s’agissait d’une directive requise, a‑t‑elle été donnée avec suffisamment de détails?

[53] Comme c’est le cas pour l’exactitude, le caractère suffisant d’une directive doit être évalué dans le contexte de l’exposé au jury dans son ensemble. Il est possible qu’une directive insuffisamment détaillée dans une partie de l’exposé soit toutefois complétée dans une autre partie de l’exposé, et qu’en conséquence le jury ait été outillé avec une compréhension suffisante du droit pour trancher l’affaire (Calnen, par. 6; Daley, par. 31; Jacquard, par. 14 et 20).