R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16
Le tort causé par une violation des droits linguistiques d’un accusé au cours d’une instance criminelle ne pourra en aucun cas être tempéré par le fait que ce dernier a néanmoins été en mesure de présenter une défense pleine et entière.
[24] Les droits linguistiques visent à « protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais » (Beaulac, par. 41). Ils constituent « un outil essentiel » au maintien et à l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada (Beaulac, par. 25, se référant au Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 850; voir aussi Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261, par. 32; Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 11 et 18). Ni « négatifs » ni « passifs », ce sont des droits substantiels qui requièrent des actions positives de la part de l’État afin d’assurer leur mise en œuvre (Beaulac, par. 20, 24 et 28; Mazraani, par. 20; Bessette c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535, par. 38; Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 111).
[25] Dans le contexte judiciaire, les droits linguistiques doivent être distingués des garanties liées à l’équité procédurale. Comme l’a réitéré le juge Bastarache dans l’affaire Beaulac, il s’agit d’un « type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale », en ce qu’ils ne cherchent pas à « imposer des conditions minimales en vertu desquelles un procès sera considéré équitable » (par. 25 et 47). Ces droits visent plutôt à assurer à toute personne l’obtention d’« un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle » (par. 45; voir aussi MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 500-501; Mazraani, par. 20 et 46; Bessette, par. 38).
[26] Cette distinction est particulièrement importante dans les affaires de droit criminel. Elle signifie que le tort causé par une violation des droits linguistiques d’un accusé au cours d’une instance criminelle ne pourra en aucun cas être tempéré par le fait que ce dernier a néanmoins été en mesure de présenter une défense pleine et entière. Concrètement, cela signifie qu’en présence d’une violation des droits linguistiques de l’accusé, la réparation accordée ne sera pas influencée par l’absence d’incidence sur l’équité du procès (Beaulac, par. 41 et 47; Mazraani, par. 46).
Le lien inextricable entre le bilinguisme judiciaire institutionnel et la protection des minorités linguistiques, tout comme l’importance de ces deux concepts, se reflètent dans le tissu constitutionnel canadien.
[28] Le présent pourvoi concerne le bilinguisme judiciaire institutionnel, lequel assure aux membres des communautés linguistiques du Canada l’accès égal aux tribunaux (voir Beaulac, par. 28; Bessette,par. 20). Le lien inextricable entre le bilinguisme judiciaire institutionnel et la protection des minorités linguistiques, tout comme l’importance de ces deux concepts, se reflètent dans le tissu constitutionnel canadien (voir Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, par. 12, le juge en chef Wagner, et par. 188-189, les juges Brown et Rowe, dissidents; J. D. Richard, « Le bilinguisme judiciaire au Canada » (2001), 42 C. de D. 389, p. 395).
[29] D’abord, la Loi constitutionnelle de 1867 édicte des droits positifs limités protégeant l’utilisation des langues française et anglaise dans certaines institutions fédérales et québécoises, notamment les institutions judiciaires :
133 Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
[30] Ensuite, faisant écho à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et renforçant la protection constitutionnelle offerte aux minorités linguistiques partout au pays, les art. 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés offrent une série de garanties juridiques qui assurent le bilinguisme institutionnel au niveau fédéral. Ces dernières ne sont pas assujetties à la clause dérogatoire prévue par l’art. 33 de la Charte (voir R. J. Sharpe et K. Roach, The Charter of Rights and Freedoms (7e éd. 2021), p. 433-434).
[31] En l’espèce, il convient de s’attarder tout particulièrement aux art. 16 et 19 de la Charte. Après avoir énoncé, au premier paragraphe, que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et que ces deux langues ont « un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », l’art. 16 précise, au troisième paragraphe, que le Parlement et les législatures demeurent en tout temps libres « de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais ». Pour sa part, l’art. 19 garantit notamment, au premier paragraphe, le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux fédéraux et dans tous les actes de procédure qui en découlent (voir Sharpe et Roach, p. 433).
[32] L’effet conjugué de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et du par. 19(1) de la Charte garantit à toute personne le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix en matière judiciaire au niveau fédéral et au Québec (Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549, p. 574-575; R. c. Mercure, 1988 CanLII 107 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 234, p. 297-298, le juge Estey, dissident; Hogg et Wright, § 56:9; Sharpe et Roach, p. 433). Cette garantie constitue un « minimum constitutionnel » qui peut être complété par des lois fédérales et provinciales pour favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais en conférant des garanties linguistiques additionnelles (voir les par. 16(1) et 16(3) de la Charte; Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, 1974 CanLII 164 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 182, p. 192-193; MacDonald, p. 496; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1992 CanLII 115 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 212, p. 222-223; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774, par. 56; Sharpe et Roach, p. 432).
L’article 530 C.cr. va au-delà du droit constitutionnel de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, en assurant de plus à tout accusé le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite s’exprimer et être compris par le juge ou le juge et le jury, et ce, sans que ces derniers aient recours à des services d’interprétation ou de traduction.
[33] La Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), est un exemple de législation fédérale adoptée à cette fin. En effet, cette loi élargit « les garanties juridiques accordées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, tant par sa portée géographique que par la gamme de services offerts » (Richard, p. 391; voir aussi Beaulac, par. 22; V. Gruben, « Le bilinguisme judiciaire », dans M. Bastarache et M. Doucet, dir., Les droits linguistiques au Canada (3e éd. 2013), 301, p. 350-369). Notamment en matière de bilinguisme judiciaire institutionnel, l’art. 16 impose aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que le juge qui entend une affaire comprenne, sans avoir recours aux services de traduction, la langue dans laquelle l’affaire se déroule.
[34] L’article 530 C. cr. constitue un autre exemple de disposition adoptée dans le but « de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais » (voir Beaulac, par. 22 et 34; Gruben, p. 350-351 et 370-371). Cet article complète le minimum constitutionnel garanti par le jeu de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et du par. 19(1) de la Charte. En effet, il va au-delà du droit constitutionnel de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, en assurant de plus à tout accusé le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite s’exprimer et être compris par le juge ou le juge et le jury, et ce, sans que ces derniers aient recours à des services d’interprétation ou de traduction (voir Beaulac, par. 28; Bessette, par. 20).
Cette disposition garantit à tout accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix à la condition, d’une part, que la demande soit présentée à temps et, d’autre part, que l’accusé soit en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie.
[38] Traitant du par. 530(1) C. cr., notre Cour a indiqué que cette disposition garantit à tout accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix à la condition, d’une part, que la demande soit présentée à temps et, d’autre part, que l’accusé soit en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie (Beaulac, par. 28, 31, 34 et 37). Pour se prévaloir de ce droit absolu, l’accusé n’a qu’à « affirmer » quelle langue officielle est la sienne. Le juge doit alors accéder à sa demande, à moins que le ministère public ne démontre que cette affirmation est sans fondement (par. 34). En cas de contestation par le ministère public de l’affirmation de l’accusé, le juge ne doit pas examiner de critères spécifiques pour déterminer une identité culturelle dominante, ni se pencher sur les préférences linguistiques personnelles de l’accusé. Il vérifie seulement que les conditions d’application du par. 530(1) C. cr. sont réunies (par. 34). Bref, s’il agit à temps et s’il n’y a pas de preuve établissant qu’il ne maîtrise pas suffisamment la langue choisie pour se prévaloir de son droit, l’accusé a le droit absolu, garanti par le par. 530(1) C. cr., de choisir la langue officielle que devront utiliser et comprendre le juge ou le juge et le jury devant lesquels il subira son procès (par. 56).
En présence d’une violation du droit fondamental d’un accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, un nouveau procès constituera généralement la réparation juste, convenable et proportionnelle.
[42] Enfin, il importe de souligner qu’il est bien établi que la violation de ce droit fondamental constitue un préjudice important pour lequel la réparation convenable est généralement la tenue d’un nouveau procès. Dans Beaulac, notre Cour a affirmé que le rejet erroné d’une demande présentée en vertu des par. 530(1) ou (4) C. cr. viole le droit de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix et sera toujours préjudiciable à l’accusé. Il s’ensuit qu’en cas de violation de ce droit fondamental de l’accusé, le ministère public ne peut en aucun cas invoquer avec succès l’une ou l’autre des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr., et ce, même si la violation n’a eu aucune incidence sur l’équité du procès et la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière (Beaulac, par. 52-54; Bessette,par. 38). Ainsi, en présence d’une violation du droit fondamental d’un accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, un nouveau procès constituera généralement la réparation juste, convenable et proportionnelle (voir Beaulac; Mazraani, par. 47-48).
Le juge doit s’assurer, de manière proactive et systématique, que l’accusé est correctement informé, et ce, indépendamment du fait que celui-ci semble appartenir à une minorité linguistique ou qu’il ait pu être informé de ce droit ou pourrait l’être par une autre personne, par exemple son avocat. Bref, il doit prendre les mesures nécessaires afin de ne « pas avoir de doute » que l’accusé est bien au fait de son droit et de ses modalités.
Cela exige que le juge de la première comparution prenne les moyens nécessaires pour que l’accusé soit informé de son droit et de ses modalités, s’il constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé ou doute qu’il l’a été.
[44] Le texte du par. 530(3) C. cr. prévoit que le juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois « veille » (« shall ensure » dans la version anglaise) à ce que l’accusé soit « avisé » (« advised » dans la version anglaise) de son droit et des délais dans lesquels celui-ci doit être exercé. L’utilisation de ces termes dans chacune des versions indique que le législateur entend que le juge s’assure (« make certain ») que chaque accusé soit informé de son droit et des modalités de son exercice afin d’être en mesure de s’en prévaloir en temps opportun (Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004), à l’entrée « ensure »; The Dictionary of Canadian Law (5e éd. 2020), à l’entrée « ensure »; Le Grand Robert de la langue française (version électronique), à l’entrée « aviser »; Grand Robert & Collins (version électronique), aux entrées « advise » et « aviser »). En d’autres mots, le juge doit faire montre de « vigilance » et « [s’]occuper activement » à faire en sorte que l’accusé soit dûment informé de son droit et des modalités de son exercice (Le Grand Robert de la langue française (version électronique), à l’entrée « veiller »). Il ne peut présumer le choix de l’accusé ou tenir pour acquis que ce dernier a été avisé de son droit et de ses modalités ou le sera. Le juge doit s’assurer, de manière proactive et systématique, que l’accusé est correctement informé, et ce, indépendamment du fait que celui-ci semble appartenir à une minorité linguistique ou qu’il ait pu être informé de ce droit ou pourrait l’être par une autre personne, par exemple son avocat. Bref, il doit prendre les mesures nécessaires afin de ne « pas avoir de doute » que l’accusé est bien au fait de son droit et de ses modalités (Mazraani,par. 34; voir aussi les par. 25, 32, 38, 44 et 60; R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10, 181 C.C.C. (3d) 485, par. 12; Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681, par. 49 (CanLII)).
[45] Il convient ici de souligner que si le juge constate que l’accusé n’a pas été correctement informé, ou encore s’il subsiste encore un doute à cet effet dans son esprit, il doit faire en sorte que l’accusé soit informé de son droit et des modalités de son exercice. S’il est vrai que cela n’est pas énoncé explicitement dans le texte, il s’agit néanmoins de l’interprétation la plus harmonieuse avec l’intention du législateur, telle qu’elle ressort de l’objet de la disposition et de l’historique législatif. Commençons par examiner l’objet du par. 530(3) C. cr. Cette disposition vise avant tout à favoriser la protection du droit fondamental de l’accusé de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite subir son procès, en s’assurant qu’il dispose en temps opportun de l’information nécessaire à l’exercice de ce droit. Dans le contexte des droits linguistiques, la jurisprudence enseigne que, lorsqu’il est question de la protection du droit de choisir d’une langue officielle, il est primordial que l’exercice de ce choix personnel soit libre et éclairé (Mazraani, par. 42 et 44). Ultimement, le but visé par le par. 530(3) C. cr. est donc d’assurer que soit communiquée en temps opportun à l’accusé l’information sur son droit fondamental et ses modalités afin de favoriser l’exercice par celui-ci d’un choix libre et éclairé de langue officielle. Cela exige que le juge de la première comparution prenne les moyens nécessaires pour que l’accusé soit informé de son droit et de ses modalités, s’il constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé ou doute qu’il l’a été.
Il découle de ce qui précède que le juge de la première comparution qui omet de s’assurer activement que l’accusé a été informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice, ou qui, lorsque les circonstances l’exigent, omet de faire en sorte que l’accusé en soit informé, contrevient à l’obligation d’information lui incombant. Une telle omission de la part du juge constitue un manquement au par. 530(3) C. cr. et porte atteinte au droit de l’accusé.
[46] L’historique législatif du par. 530(3) C. cr. révèle aussi qu’un principe de prudence doit guider en tout temps le juge chargé de veiller au respect du droit de l’accusé d’être avisé de ses droits linguistiques protégés par l’art. 530 C. cr., de sorte que le moindre doute doit l’amener à prendre les moyens nécessaires pour s’assurer que l’accusé est dûment informé. La version antérieure du paragraphe limitait l’obligation d’information imposée au juge aux cas où l’accusé se représentait seul. Il était alors présumé que les avocats informeraient correctement leurs clients de leurs droits linguistiques (voir Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, no 33, 3e sess., 30e lég., 31 mai 1978, p. 5-6; Gruben, p. 379). En 2008, en réponse à des critiques formulées par les tribunaux et d’autres institutions et organismes concernés selon lesquelles cette présomption était mal fondée en pratique, le législateur a modifié le par. 530(3) C. cr. afin d’étendre l’application de l’obligation d’information du juge à tous les accusés, indépendamment du fait qu’ils se représentent seuls ou qu’ils sont représentés par avocat (voir Beaulac, par. 37; Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications), L.C. 2008, c. 18, art. 18; Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, nº 65, 1re sess., 39e lég., 2 mai 2007, p. 2-3; Commissaire aux langues officielles, L’utilisation équitable du français et de l’anglais devant les tribunaux au Canada (1995), p. 104-105).
[47] Cette modification est importante. Elle constitue la reconnaissance législative d’un principe de prudence en vertu duquel il faut éviter de présumer, sans autre vérification diligente et proactive, qu’un accusé a été dûment informé de son droit et de ses modalités avant sa première comparution. Si ce principe de prudence s’applique à l’égard des accusés qui sont représentés par des avocats, malgré le fait que ces derniers ont généralement l’obligation déontologique d’informer leurs clients de leur droit fondamental à un procès dans la langue de leur choix, il s’applique à plus forte raison, à mon avis, à l’égard des accusés qui ne sont pas représentés par avocat ainsi qu’à l’égard de ceux qui auraient censément été informés de leur droit par une autre personne ou d’une autre façon avant leur première comparution.
[48] En outre, cette modification reflète l’intention du législateur de faire du juge l’ultime gardien du droit fondamental de chaque accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, et de ce fait l’ultime gardien du caractère libre et éclairé du choix de la langue officielle par l’accusé. En imposant au juge l’obligation de prendre part activement au respect de ce droit fondamental, cette modification législative consacre le principe de l’offre active en matière de droits linguistiques (voir Débats du Sénat, vol. 144, nº 14, 2e sess., 39e lég., 21 novembre 2007, p. 274-275). Elle reconnaît l’importance que dans un contexte aussi intimidant que celui d’un procès criminel, où la liberté de l’accusé est en jeu, ce soit la personne en situation d’autorité, en l’occurrence le juge, qui assure, avec vigilance, prudence et proactivité, la protection des droits linguistiques de l’accusé consacrés par l’art. 530 C. cr., afin particulièrement d’atténuer toute crainte liée à l’exercice de ces droits et de favoriser le caractère libre et éclairé du choix (voir R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309, 126 O.R. (3d) 691, par. 62; voir aussi Commissariat aux services en français de l’Ontario, L’offre active de services en français : la clé de voûte à l’atteinte des objectifs de la Loi sur les services en français de l’Ontario (2016), p. 11).
[49] Il découle de ce qui précède que le juge de la première comparution qui omet de s’assurer activement que l’accusé a été informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice, ou qui, lorsque les circonstances l’exigent, omet de faire en sorte que l’accusé en soit informé, contrevient à l’obligation d’information lui incombant. Une telle omission de la part du juge constitue un manquement au par. 530(3) C. cr. et porte atteinte au droit de l’accusé.
Une cour d’appel ne peut généralement intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Autrement, il s’agit d’une erreur sans conséquence juridique, sous réserve des cas où l’erreur, sans causer un préjudice direct à l’accusé, est grave au point d’ébranler la confiance de la population dans l’administration de la justice.
[54] L’alinéa 686(1)a) C. cr. permet à une cour d’appel d’intervenir seulement si l’appelant réussit à démontrer que le verdict est déraisonnable, qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu erreur judiciaire. Ces trois motifs d’intervention ont en commun le même principe sous-jacent : une cour d’appel ne peut généralement intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Autrement, il s’agit d’une erreur sans conséquence juridique, sous réserve des cas où l’erreur, sans causer un préjudice direct à l’accusé, est grave au point d’ébranler la confiance de la population dans l’administration de la justice (voir R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 51, citant R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222, par. 89; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 67-68).
[55] Le sous-alinéa 686(1)a)(i) C. cr. vise les situations intrinsèquement préjudiciables à l’accusé, soit celles où ce dernier fait l’objet d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, c’est-à-dire que le verdict de culpabilité ne peut raisonnablement s’appuyer sur la preuve ou est vicié par un raisonnement illogique ou irrationnel (R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 7, se référant à R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, et R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; voir aussi Sinclair, par. 76, la juge Charron, motifs concordants, citant R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), p. 219). Le sous-alinéa 686(1)a)(ii), pour sa part, lorsqu’il est considéré de pair avec les dispositions réparatrices des sous-al. 686(1)b)(iii) et (iv), présume qu’une erreur de droit est préjudiciable à l’accusé, à moins que le ministère public ne puisse démontrer le contraire avec la certitude requise (voir R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 16; Sinclair,par. 76, citant Morrissey, p. 219; S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 566-567, 574, 578 et 581-582). Enfin, le sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr. permet à une cour d’appel d’intervenir dans toute autre situation causant un préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire. Ce sera le cas lorsque l’accusé a été déclaré coupable au terme d’un procès qui, dans les faits ou en apparence, est inéquitable, par exemple lorsque ce dernier a plaidé coupable alors qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte de son plaidoyer qui, si elle avait été connue, l’aurait incité à agir différemment (Davey, par. 51, citant Wolkins, par. 89; Kahsai, par. 67, se référant à Khan, par. 69 et 73; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 5, 25 et 39, les juges Moldaver, Gascon et Brown, et par. 44, 79 et 85, le juge Wagner, dissident).
[56] Bref, en règle générale, une cour d’appel ne peut intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Les verdicts déraisonnables (sous-al. 686(1)a)(i) C. cr.) et les erreurs judiciaires (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.) sont la plupart du temps, par nature, préjudiciables à l’accusé, alors que les erreurs de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.) sont présumées l’être (voir Khan, par. 16; Coughlan, pp. 574-575 et 582).
L’intérêt principal de la distinction entre les erreurs de droit et les autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) C. cr.réside avant tout dans l’attribution du fardeau de démontrer le caractère préjudiciable ou non de l’erreur.
[57] En conséquence, l’intérêt principal de la distinction entre les erreurs de droit et les autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) C. cr.réside avant tout dans l’attribution du fardeau de démontrer le caractère préjudiciable ou non de l’erreur. Lorsqu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’une telle erreur est présumée être préjudiciable à l’accusé, c’est alors au ministère public qu’il incombe, au stade de l’analyse fondée sur l’une des deux dispositions réparatrices, de démontrer l’absence de préjudice. Lorsqu’il s’agit d’un autre type d’erreur, le fardeau de démontrer le caractère préjudiciable de l’erreur revient à l’accusé qui interjette appel de sa déclaration de culpabilité (voir R. c. Arradi, 2003 CSC 23, [2003] 1 R.C.S. 280, par. 38; Morrissey, p. 219; Coughlan, p. 574).
[58] Cela signifie qu’il est en principe moins lourd pour un accusé de faire la démonstration d’une erreur de droit que de faire la démonstration des deux autres types d’erreurs visés par l’al. 686(1)a) C. cr. Dans le premier cas, il suffit de démontrer l’existence d’une erreur ou d’une irrégularité pour faire naître une présomption de préjudice et, de ce fait, pour permettre l’intervention d’une cour d’appel. Il revient ensuite au ministère public, s’il le souhaite, dans le cadre de l’analyse fondée sur l’une ou l’autre des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr., de réfuter cette présomption en démontrant que l’erreur de droit en cause n’a, dans les faits, causé aucun préjudice à l’accusé (voir Khan, par. 23; Coughlan, p. 574-575 et 582; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2023 (30e éd. 2023), nº 51.238). Dans le second cas, le simple fait de démontrer l’existence d’une erreur ou d’une irrégularité est insuffisant. Il faut, en plus, que l’accusé démontre que celle-ci lui a été préjudiciable.
Un manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., de telle sorte qu’un accusé n’a qu’à la dénoncer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr.
[82] À mon avis, un manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., de telle sorte qu’un accusé n’a qu’à la dénoncer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. La question de savoir si l’erreur de droit a été préjudiciable à l’accusé et, si oui, dans quelle mesure, est importante. Mais elle se pose dans le cadre de l’application de la disposition réparatrice et il incombe alors au ministère public de convaincre la cour d’appel que l’erreur n’a pas été préjudiciable à l’accusé (Khan, par. 23; Coughlan, p. 574-575; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.238). Avant d’aborder cet aspect de l’analyse, je vais expliquer pourquoi un manquement au par. 530(3) C. cr.constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. et non, comme le suggèrent le ministère public et deux de mes collègues, une erreur judiciaire.
[83] Comme je l’ai expliqué précédemment, la jurisprudence enseigne que constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. toute erreur dans l’application d’une règle de droit, pour autant qu’elle soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge — que ce soit le juge du procès ou un autre juge, incluant un juge de paix. En outre, cette erreur dans l’application d’une règle de droit peut découler tant d’une décision erronée en droit que d’une omission fautive. Elle peut aussi être liée à une règle de droit procédurale ou substantielle. Lorsque ces trois éléments sont réunis, le jugement du tribunal de première instance est entaché d’une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., ce qui permet de présumer l’existence d’un préjudice et peut justifier l’annulation de la déclaration de culpabilité.
[84] L’omission du juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois de respecter l’obligation d’information qui lui incombe en vertu du par. 530(3) constitue une erreur dans l’application d’une règle de droit (Arradi, par. 39; Khan, par. 22; Coughlan, p. 574-575). En omettant erronément d’appliquer une règle de droit impérative d’application générale, le juge commet ce que j’ai désigné comme étant une « omission fautive ». De plus, parce que cette irrégularité est liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et commise par un juge, elle a pour effet d’entacher le jugement du tribunal de première instance d’une manière qui permet l’intervention d’une cour d’appel en vertu du sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.
[85] Enfin, bien que ce ne soit pas déterminant, j’estime utile de souligner que ma conclusion trouve écho dans la jurisprudence sur les droits linguistiques, où notre Cour a affirmé que l’omission pour un juge de tenir compte des droits linguistiques d’un justiciable constitue une erreur de droit (voir Mazraani, par. 48).
[86] Cette conclusion est également appuyée par l’objet de l’art. 530, tel qu’il a été interprété et mis en œuvre dans l’affaire Beaulac. En effet, comme je l’ai mentionné plus tôt, dans cet arrêt notre Cour a réduit le fardeau d’un accusé qui souhaite exercer tardivement son droit fondamental de subir son procès dans la langue officielle de son choix en énonçant qu’une présomption joue en sa faveur, en plus de préciser qu’il revient au ministère public de réfuter cette présomption (par. 42 et 56). De même, le fait de qualifier le manquement au par. 530(3) C. cr. d’erreur de droit réduit le fardeau de l’appelant en faisant jouer une présomption en sa faveur une fois le manquement établi, tout en accordant au ministère public la possibilité de réfuter cette présomption en démontrant l’absence de violation du droit fondamental de l’appelant de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
Il est tout à fait répréhensible pour une partie de tenter de tirer avantage d’une violation de ses droits linguistiques à des fins purement stratégiques.
[95] À cet égard, à l’instar de la Cour d’appel, je souligne l’importance de prévenir l’instrumentalisation en appel des violations des droits linguistiques. Comme l’a indiqué notre Cour dans Mazraani, il est tout à fait répréhensible pour une partie de tenter de tirer avantage d’une violation de ses droits linguistiques à des fins purement stratégiques (par. 38-39 et 52). De telles manœuvres sont condamnables et doivent, autant que possible, être sanctionnées. Cela dit, je suis d’avis que le cadre d’analyse applicable permet d’établir un juste équilibre entre, d’une part, l’importance constitutionnelle des droits linguistiques au Canada et, d’autre part, les risques d’instrumentalisation de ces droits en appel.
[96] D’abord, si un manquement au par. 530(3) n’implique pas, par le fait même, une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, le cadre d’analyse mis de l’avant permet néanmoins à un accusé de bénéficier d’une présomption de violation de son droit fondamental en cas de manquement au par. 530(3) C. cr. Comme l’a énoncé notre Cour dans Mazraani, le choix effectué par une personne eu égard à ses droits linguistiques doit être libre et éclairé (par. 42, 44 et 73). Lorsque le juge, l’ultime gardien des droits linguistiques, contrevient au mécanisme instauré par le législateur afin d’assurer le caractère libre et éclairé de ce choix — c’est-à-dire l’obligation d’information prévue au par. 530(3) C. cr. — il est tout à fait légitime et équitable de présumer, en l’absence d’une preuve à l’effet contraire, que cet objectif n’a pas été atteint.
Il est désormais bien établi que le ministère public peut validement invoquer la disposition réparatrice de manière implicite.
[103] Monsieur Tayo Tompouba prétend que le ministère public se heurte à un obstacle insurmontable : il a expressément informé la Cour d’appel qu’il n’invoquait pas les dispositions réparatrices, de sorte qu’il n’est pas possible de les appliquer sans contrevenir à la règle proscrivant leur application proprio motu par une cour d’appel. Ce seul fait imposerait à la Cour d’accueillir son appel. Je ne suis pas d’accord.
[104] En règle générale, une disposition réparatrice n’est disponible en appel que si elle est invoquée par le ministère public. Une telle disposition ne peut en effet être appliquée par une cour d’appel de son propre chef (Pétel, p. 17). Il s’agit d’une règle jurisprudentielle qui vise, d’une part, à éviter que l’accusé subisse un préjudice en étant privé du droit de soumettre des observations sur l’applicabilité d’une telle disposition, et, d’autre part, à respecter l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public en matière de poursuites — pouvoir envers lequel les tribunaux font typiquement montre de déférence (voir R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, par. 46-47; Samaniego, par. 66; R. c. Cole, 2021 ONCA 759, 158 O.R. (3d) 680, par. 154-160).
[105] En ce qui concerne l’application de cette règle, il est désormais bien établi que le ministère public peut validement invoquer la disposition réparatrice de manière implicite. C’est le cas, par exemple, lorsque ses arguments reviennent essentiellement à plaider que l’erreur ou l’irrégularité constatée n’a dans les faits causé aucun préjudice à l’accusé, comme en témoignent les propos suivants de notre Cour sur le sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. :
. . . les cours d’appel peuvent l’appliquer si la Couronne l’a invoquée implicitement en plaidant essentiellement qu’il ne s’est produit aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ou encore que la preuve de la culpabilité est à ce point accablante que le verdict aurait été le même en l’absence de l’erreur (R. c. Ajise, 2018 CSC 51, [2018] 3 R.C.S. 301, par. 1, conf. 2018 ONCA 494, 361 C.C.C. (3d) 384, par. 32; R. c. Cole, 2021 ONCA 759, par. 155‑158 (CanLII); R. c. Hudson, 2020 ONCA 507, 391 C.C.C. (3d) 208, par. 49).
(Samaniego, par. 66)
Le fait qu’une personne bilingue s’exprime dans la langue de la majorité ne reflète pas nécessairement une préférence pour cette langue.
[114] Tout d’abord, le fait qu’une personne bilingue s’exprime dans la langue de la majorité ne reflète pas nécessairement une préférence pour cette langue. Comme l’a expliqué notre Cour dans Mazraani, une « personne qui n’est pas au fait de ses droits linguistiques pourrait penser qu’elle doit s’exprimer dans l’autre langue officielle » (par. 44). Il convient de rappeler que c’était la première fois que M. Tayo Tompouba était arrêté, et il a affirmé qu’il ignorait être en position d’exiger quoi que ce soit des policiers (voir le d.a., vol. II, p. 109 et 122). Il est donc peu surprenant qu’il ait communiqué en anglais avec le policier francophone bilingue, considérant que ce dernier l’a, de son propre aveu, abordé exclusivement en anglais (p. ex., motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 12(2), reproduits au d.a., vol. I, p. 8; voir le d.a., vol. II, p. 74 et 80). De même, le fait que M. Tayo Tompouba se soit exprimé en anglais avec son avocat ne permet pas non plus d’inférer qu’il aurait choisi l’anglais s’il avait su qu’il était possible de subir son procès en français, particulièrement si l’on tient compte de son témoignage selon lequel il n’a pas été capable de parler avec ce dernier en français (voir le d.a., vol. II, p. 122).
S’il est vrai que la présomption de compétence de l’avocat permet généralement de présumer, sauf preuve contraire, que ce dernier s’est conformé à ses obligations, l’intention du législateur s’oppose à l’application de cette présomption lorsqu’il est question des droits linguistiques prévus par l’art. 530 C. cr.
[123] Ensuite, et de manière générale, s’il est vrai que la présomption de compétence de l’avocat permet généralement de présumer, sauf preuve contraire, que ce dernier s’est conformé à ses obligations, l’intention du législateur s’oppose à l’application de cette présomption lorsqu’il est question des droits linguistiques prévus par l’art. 530 C. cr. D’une part, les modifications législatives de 2008 démontrent que le législateur entendait écarter la présomption de compétence de l’avocat. En effet, jusque-là, le juge était tenu d’informer les accusés de leurs droits linguistiques seulement s’ils n’étaient pas représentés par avocat. En 2008, le législateur a étendu en faveur de tous les accusés cette obligation d’information du juge. Si le manquement à cette obligation était remédié par la seule présence de l’avocat, l’obligation perdrait pratiquement son caractère obligatoire. D’autre part, le législateur a choisi de ne pas incorporer implicitement la présomption de compétence de l’avocat dans le régime de l’art. 530 C. cr., comme il l’a pourtant fait en matière de plaidoyer de culpabilité. Le paragraphe 606(1.2) C. cr. prévoit que l’omission du tribunal de « procéder à un examen approfondi » pour vérifier la réalisation de certaines conditions en matière de plaidoyer de culpabilité « ne porte pas atteinte à la validité du plaidoyer » de culpabilité. Si ce défaut n’a aucun effet sur la validité du plaidoyer de culpabilité, ce n’est pas parce que l’obligation du tribunal est sans importance, mais parce que le législateur considère que le tribunal peut légitimement s’en tenir à la présomption de compétence de l’avocat. L’article 530 C. cr. ne contient aucune disposition comparable au par. 606(1.2) C. cr., qui incorporerait implicitement la présomption de compétence de l’avocat. En conséquence, bien que le fait qu’un accusé n’était pas représenté par avocat soit un fait qui peut asseoir l’inférence selon laquelle un accusé n’a pas été informé des droits linguistiques prévus à l’art. 530 C. cr., l’inverse n’est pas vrai (voir Mazraani, par. 32 et 52). L’intention du législateur s’oppose ainsi à ce que le tribunal tire une inférence du fait que l’accusé était représenté par avocat.
Lorsque la preuve se révèle stérile sur une question devant être tranchée selon la norme de la prépondérance des probabilités, l’incertitude et le doute subsistants doivent être retenus à l’encontre de la partie qui a le fardeau de persuasion.
[125] À mon avis, la conclusion relative à la stérilité de la preuve doit être retenue contre le ministère public, puisque c’est à lui qu’incombe le fardeau de persuader la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a toutefois pas entraîné une violation du droit fondamental de M. Tayo Tompouba (voir O’Brien, par. 34; Esseghaier, par. 54; S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶5.66).
[126] Le fait que l’incertitude et le doute doivent bénéficier à M. Tayo Tompouba et être retenus à l’encontre du ministère public découle des principes généraux du droit de la preuve dans les cas où la « norme de persuasion » à laquelle doit satisfaire la partie ayant le fardeau de persuasion « n’est que celle applicable en matière civile, c’est‑à‑dire la prépondérance des probabilités » (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 277; voir aussi R. c. Schwartz, 1988 CanLII 11 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 443, p. 466-467; sur les deux normes de preuve possibles, voir D. Watt, Watt’s Manual of Criminal Evidence (2023), p. 214; Lederman, Fuerst et Stewart, ¶3.16 et 5.64). Comme l’affirme l’auteur P. Roberts dans son ouvrage Roberts & Zuckerman’s Criminal Evidence (3e éd. 2022) :
[traduction] Dans une instance accusatoire, le juge des faits est généralement invité à choisir entre les thèses ou narratifs opposés soumis par les parties. [. . .] Cependant, il est possible d’imaginer que le juge des faits puisse considérer qu’aucune des deux thèses n’est vraisemblable; peut-être que ni l’une ni l’autre des thèses n’est un tant soit peu plausible. Quand survient occasionnellement en pratique une situation où la conclusion est « Aucune de ces réponses », la partie qui supporte le fardeau [de persuasion] perd inévitablement sa cause. [p. 246, note 28]
[127] Le fait que, lorsque la preuve se révèle stérile sur une question devant être tranchée selon la norme de la prépondérance des probabilités, l’incertitude et le doute subsistants doivent être retenus à l’encontre de la partie qui a le fardeau de persuasion ressort également du traité sur la preuve de Lederman, Fuerst et Stewart :
[traduction] . . . le fardeau de persuasion ne joue pas dans le processus décisionnel si le juge des faits peut, à la lumière de la preuve, arriver à une conclusion déterminée. Si, toutefois, la preuve le laisse dans l’incertitude, le fardeau de persuasion s’applique et détermine l’issue de l’affaire. [¶3.16; note en bas de page omise.]
(Voir aussi R. P. Mosteller, McCormick on Evidence (8e éd. 2020), § 336.)