R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16

[24] Les droits linguistiques visent à « protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais » (Beaulac, par. 41). Ils constituent « un outil essentiel » au maintien et à l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada (Beaulac, par. 25, se référant au Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 850; voir aussi Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261, par. 32; Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 11 et 18). Ni « négatifs » ni « passifs », ce sont des droits substantiels qui requièrent des actions positives de la part de l’État afin d’assurer leur mise en œuvre (Beaulac, par. 20, 24 et 28; Mazraani, par. 20; Bessette c. Colombie‑Britannique (Procureur général)2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535, par. 38; Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 111).

[25] Dans le contexte judiciaire, les droits linguistiques doivent être distingués des garanties liées à l’équité procédurale. Comme l’a réitéré le juge Bastarache dans l’affaire Beaulac, il s’agit d’un « type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale », en ce qu’ils ne cherchent pas à « imposer des conditions minimales en vertu desquelles un procès sera considéré équitable » (par. 25 et 47). Ces droits visent plutôt à assurer à toute personne l’obtention d’« un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle » (par. 45; voir aussi MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 500-501; Mazraani, par. 20 et 46; Bessette, par. 38).

[26] Cette distinction est particulièrement importante dans les affaires de droit criminel. Elle signifie que le tort causé par une violation des droits linguistiques d’un accusé au cours d’une instance criminelle ne pourra en aucun cas être tempéré par le fait que ce dernier a néanmoins été en mesure de présenter une défense pleine et entière. Concrètement, cela signifie qu’en présence d’une violation des droits linguistiques de l’accusé, la réparation accordée ne sera pas influencée par l’absence d’incidence sur l’équité du procès (Beaulac, par. 41 et 47; Mazraani, par. 46).

Le lien inextricable entre le bilinguisme judiciaire institutionnel et la protection des minorités linguistiques, tout comme l’importance de ces deux concepts, se reflètent dans le tissu constitutionnel canadien.

[28] Le présent pourvoi concerne le bilinguisme judiciaire institutionnel, lequel assure aux membres des communautés linguistiques du Canada l’accès égal aux tribunaux (voir Beaulac, par. 28; Bessette,par. 20). Le lien inextricable entre le bilinguisme judiciaire institutionnel et la protection des minorités linguistiques, tout comme l’importance de ces deux concepts, se reflètent dans le tissu constitutionnel canadien (voir Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, par. 12, le juge en chef Wagner, et par. 188-189, les juges Brown et Rowe, dissidents; J. D. Richard, « Le bilinguisme judiciaire au Canada » (2001), 42 C. de D. 389, p. 395).

[29] D’abord, la Loi constitutionnelle de 1867 édicte des droits positifs limités protégeant l’utilisation des langues française et anglaise dans certaines institutions fédérales et québécoises, notamment les institutions judiciaires :

133 Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

[30] Ensuite, faisant écho à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et renforçant la protection constitutionnelle offerte aux minorités linguistiques partout au pays, les art. 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés offrent une série de garanties juridiques qui assurent le bilinguisme institutionnel au niveau fédéral. Ces dernières ne sont pas assujetties à la clause dérogatoire prévue par l’art. 33 de la Charte (voir R. J. Sharpe et K. Roach, The Charter of Rights and Freedoms (7e éd. 2021), p. 433-434).

[31] En l’espèce, il convient de s’attarder tout particulièrement aux art. 16 et 19 de la Charte. Après avoir énoncé, au premier paragraphe, que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et que ces deux langues ont « un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », l’art. 16 précise, au troisième paragraphe, que le Parlement et les législatures demeurent en tout temps libres « de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais ». Pour sa part, l’art. 19 garantit notamment, au premier paragraphe, le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux fédéraux et dans tous les actes de procédure qui en découlent (voir Sharpe et Roach, p. 433).