Dejala c. R., 2021 QCCA 248

Le verdict de culpabilité à une infraction incluse doit-il être soumis au jury en matière d’accusation de meurtre au premier degré par aide ou encouragement?

[86] L’homicide involontaire coupable est une infraction incluse dans le meurtre au premier degré[87]. Le juge Claude C. Gagnon de notre Cour décrit ainsi les éléments essentiels de l’homicide coupable :

(1) une conduite qui constitue un acte illégal, (2) l’acte illégal a causé la mort d’un être humain, (3) l’acte illégal ne constitue pas une infraction de responsabilité absolue, (4) l’acte illégal est objectivement dangereux, (5) l’intention criminelle requise pour l’acte illégal sous-jacent et (6) la prévisibilité subjective de la mort ou de lésions corporelles que le délinquant sait de nature à causer la mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non dans le cas d’une accusation de meurtre ou la prévisibilité objective de lésions corporelles en ce qui concerne une accusation d’homicide involontaire coupable.[88]
[Soulignements dans l’original; renvoi omis]

[87] Dans l’arrêt Joseph c. R.[89], le juge Doyon résume le droit applicable à la question de savoir si le verdict de culpabilité à une infraction incluse doit être soumis au jury en matière d’accusation de meurtre au premier degré par aide ou encouragement :

[19] […] Le verdict de culpabilité à une infraction incluse doit être disponible et expliqué au jury lorsqu’il est vraisemblable en regard de la preuve : R. c. Aalders, 1993 CanLII 99 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 482, R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 505. Conséquemment, le juge du procès n’a pas nécessairement l’obligation d’instruire le jury à l’égard de toutes les infractions incluses, mais il doit le faire si le verdict est vraisemblable, même s’il contredit la thèse de la défense, puisque le jury peut tirer des inférences différentes de celles qui lui sont proposées : Ménard c. R., 2014 QCCA 877.

[20] Par ailleurs, à moins qu’il ne s’agisse d’une décision stratégique, l’omission de s’opposer aux directives ne constitue pas, dans tous les cas, une fin de non-recevoir en appel : Barboza-Pena c. R., 2008 QCCA 1133, paragr. 103.

[21] Enfin, on sait que le complice peut être déclaré coupable d’une infraction incluse même si l’auteur réel est coupable de l’infraction initiale : R. c. Kirkness, 1990 CanLII 57 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 74; R. c. Jackson, 1993 CanLII 53 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 573. Ce sera le cas, notamment, lorsque le complice n’aura que la mens rea de l’infraction incluse.

[…]

[24] […] Lorsque la participation à l’infraction de meurtre au premier degré se fait par aide ou encouragement (art. 21(1)b) et c) C.cr.), la poursuite doit prouver que l’accusé a agi ou a omis d’agir avec l’intention d’aider ou d’encourager la perpétration d’un meurtre au premier degré. Il devait donc savoir, au moment de l’aide ou de l’encouragement, que le meurtre était prémédité et serait de propos délibéré : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 411.

[25] De plus, le jury peut entretenir un doute sur cet aspect, non seulement en raison d’une preuve positive, mais aussi en raison d’une absence de preuve ou d’une carence dans la preuve, d’où la nécessité d’évaluer l’air de vraisemblance (« the air of reality ») aussi à la lumière des faiblesses de la preuve.
[Soulignements ajoutés]

L’insistance de la défense à refuser l’idée d’un verdict de meurtre au deuxième degré peut découler de l’intérêt stratégique à ne laisser que la possibilité d’un acquittement si le jury entretient un doute au niveau de la connaissance par les complices qu’ils participaient à la perpétration d’un meurtre au premier degré

[103] Il appert de ces extraits que la défense s’opposait à la mention au jury d’un possible verdict pour une infraction incluse dans celle de meurtre au premier degré pour des raisons stratégiques, telles que celles identifiées par le juge Watt dans Luciano, à savoir le risque d’un verdict de « compromis »[92]. Comme l’explique le juge Doyon dans Joseph, l’insistance de la défense à refuser l’idée d’un verdict de meurtre au deuxième degré peut découler de l’intérêt stratégique à ne laisser que la possibilité d’un acquittement si le jury entretient un doute au niveau de la connaissance par les complices qu’ils participaient à la perpétration d’un meurtre au premier degré[93].

[109] En somme, considérant la position stratégique de la défense qui s’opposait à la mention d’un possible verdict pour une infraction incluse et considérant l’absence d’air de vraisemblance d’un verdict d’homicide involontaire coupable eu égard à l’ensemble de la preuve, il n’y pas lieu d’intervenir.

Lorsque le juge du procès détermine si la valeur probante d’un élément de preuve l’emporte sur son effet préjudiciable, il lui est permis de tenir compte des directives qu’il donnera au jury pour le mettre en garde contre l’utilisation inadmissible et les inférences négatives qu’il risquerait autrement de faire et de tirer de cette preuve, et ainsi, d’en atténuer l’effet préjudiciable, notamment en matière de preuve de propension ou de mauvais caractère.

[137] L’admissibilité d’un élément de preuve dépend de sa pertinence au sens du « lien logique entre l’élément de preuve et une question faisant l’objet du litige »[101], de l’applicabilité ou non d’une règle d’exclusion et de la question de savoir si sa valeur probante l’emporte sur ses effets préjudiciables[102].

[138] Le risque de préjudice généralement associé à une preuve de propension concerne la préoccupation voulant que le jury risque d’accorder plus de poids qu’il est logiquement justifié de le faire à la preuve en litige (« préjudice par raisonnement ») ou de déclarer l’accusé coupable de manière injustifiée en raison d’une conduite répréhensible (« préjudice moral »)[103]. La preuve peut également être préjudiciable car trompeuse, puisque son effet sur le jury est alors disproportionné par rapport à sa fiabilité[104].

[139] La preuve n’est toutefois pas préjudiciable du simple fait qu’elle va à l’encontre des intérêts d’une partie ou augmente le risque de condamnation. Le préjudice réside davantage dans le risque d’une déclaration de culpabilité injustifiée, soit que le juge des faits attache à cette preuve un poids indu ou l’utilise à des fins inadmissibles[105]. Le préjudice n’est pas inversement proportionnel à l’augmentation de la valeur probante de la preuve[106].

[140] L’appréciation de la valeur probante et de l’effet préjudiciable d’un élément de preuve eu égard à son admissibilité au procès dépend du contexte et commande une grande déférence[107]. Lorsque le juge du procès détermine si la valeur probante d’un élément de preuve l’emporte sur son effet préjudiciable, il lui est permis de tenir compte des directives qu’il donnera au jury pour le mettre en garde contre l’utilisation inadmissible et les inférences négatives qu’il risquerait autrement de faire et de tirer de cette preuve, et ainsi, d’en atténuer l’effet préjudiciable, notamment en matière de preuve de propension ou de mauvais caractère[108].

[141] Dans l’arrêt Calnen, la juge Martin a récemment réitéré ces principes et le rôle des directives restrictives afin d’atténuer l’effet préjudiciable d’un élément de preuve :

Les directives au jury font en sorte que le mode de raisonnement admissible a été adéquatement expliqué aux jurés et que ces derniers ont reçu les mises en garde et les directives restrictives nécessaires sur les utilisations qu’ils peuvent faire de certains éléments de preuve. Outillés de directives claires sur le plan du droit, les jurys peuvent rendre des verdicts valables, légitimes et raisonnables.[109]

[142] En matière de procès conjoint, il est bien établi que chaque accusé a droit à un procès équitable et aux protections afférentes, incluant le droit d’être jugé en fonction uniquement de la preuve admissible à son égard. Par contre, il ne bénéficie pas d’un droit absolu à ce que la preuve admise dans le cadre d’un procès conjoint soit identique à celle qui serait admissible s’il subissait un procès individuel[110]. La jurisprudence reconnaît que le juge du procès jouit d’un pouvoir discrétionnaire d’évaluer si le jury sera en mesure de cerner le rôle limité des éléments de preuve admissibles pour un seul des coaccusés[111]. En cette matière, il est acquis que des directives soigneusement formulées permettent de prévenir les risques de préjudice ou de mauvaise utilisation de la preuve par le jury[112].

Pour être admissible, une preuve photographique doit être exacte et fidèle à la réalité, ne pas avoir été modifiée dans le but de tromper, et être authentifiée d’une quelconque manière par une preuve sous serment. L’amélioration de la qualité d’une telle preuve par « rehaussement » est permise dans la mesure où son exactitude et sa fidélité à la réalité sont préservées.

[151] Pour être admissible, une preuve photographique doit être exacte et fidèle à la réalité, ne pas avoir été modifiée dans le but de tromper, et être authentifiée d’une quelconque manière par une preuve sous serment[122]. L’amélioration de la qualité d’une telle preuve par « rehaussement » est permise dans la mesure où son exactitude et sa fidélité à la réalité sont préservées[123] et, comme le juge de première instance le souligne, le rehaussement est un fait qui doit être prouvé comme tous les autres faits qu’une partie veut établir.

[167] M. Acelin ne soulève aucune erreur de droit. Il se contente d’exposer « que pour être admissible, une preuve photographique doit être exacte et fidèle à la réalité et ne pas avoir été modifiée dans le but de tromper ». Ce faisant, l’argument se rapporte davantage à une erreur de fait commise par le juge par rapport à sa conclusion selon laquelle le rehaussement des images numériques n’a pas porté atteinte à leur caractère exact et fidèle.

[168] L’argument de M. Acelin voulant que les modifications apportées aux photographies reposent sur des « a priori » est tiré d’une réponse du témoin M. Marcoux concernant une version modifiée des images que le ministère public a clairement annoncé ne pas avoir l’intention de déposer en preuve au procès. Suivant les prétentions de M. Acelin, une preuve photographique améliorée ou rehaussée ne serait jamais admissible puisque, par définition, une telle preuve ne reflète pas exactement ce qui apparaît sur les photographies originales.

[169] Il a tort. Le critère pertinent est de savoir si l’image numérique rehaussée reflète « la réalité » et non l’image numérique originale. Or, considérant le témoignage de M. Marcoux, il serait même possible de conclure que les photographies rehaussées représentent plus exactement et plus fidèlement la réalité que les originales.

[170] Le résumé par le juge des techniques de rehaussement appliquées par M. Marcoux et leur résultat est en tout point conforme à la preuve[131]. Sa conclusion selon laquelle le rehaussement des images n’en a pas altéré le caractère exact et fidèle est supportée par le témoignage de M. Marcoux.

[171] Ce dernier a précisé avoir utilisé les outils de base du logiciel de retouche Photoshop, internationalement reconnu, afin de rendre les photographies plus conformes à la réalité que les originales en appliquant des filtres de manière globale sur les images, ce qui fait ressortir les informations contenues dans les fichiers originaux, sans aucun ajout. Il a spécifié à plusieurs reprises n’avoir appliqué aucun réglage localisé sur les images. Il ressort notamment de son témoignage que les techniques utilisées consistent à ajuster certains paramètres qui ont pour effet d’appliquer des formules mathématiques standardisées de manière indiscriminée sur la totalité des photographies, de sorte à en améliorer la luminosité, la netteté et le naturel des couleurs, tout en éliminant les pixels parasites.

[172] En ce qui a trait à l’incapacité de M. Desjardins de confirmer que l’arme apparaissant sur la photographie est l’arme du crime, celui-ci a clairement établi que la qualité de la photographie empêchait une telle conclusion avec certitude, tout en précisant qu’il était tout de même d’avis que l’arme en question ressemblait plus à une vraie arme qu’à une imitation, et qu’elle était compatible avec l’arme du crime, notamment parce que le chargeur visible sur les photographies litigieuses était davantage compatible avec l’arme et les cartouches retrouvées sur la scène de crime.

[173] M. Acelin semble confondre le rôle d’un expert en balistique et celui du juge des faits. Le juge a correctement conclu que le jury, en tant que juge des faits, était en mesure d’évaluer la question de savoir si l’arme visible sur les photographies litigieuses était bien l’arme utilisée pour commettre le meurtre de M. Lafond. Il importe de rappeler ici que le jury devait se prononcer hors de tout doute raisonnable, et non à la lumière d’une norme de certitude absolue, et bénéficiait, contrairement aux experts qui ont témoigné dans le cadre du voir-dire, de l’ensemble de la preuve afin de tirer des inférences raisonnables.

[174] Bref, le juge n’a commis aucune erreur en admettant les photographies en preuve pour l’usage limité qu’il décrit et ses directives ont suffisamment mis en garde le jury contre une utilisation préjudiciable de cette preuve.

Lorsqu’un danger pour l’équité du procès se présente, le juge peut refuser un avortement de procès s’il estime qu’une directive appropriée permettrait de neutraliser le risque de préjudice. L’intervention en appel est limitée à la question de savoir si le juge s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de « présenter un danger réel de porter atteinte au droit à un procès équitable »

[197] L’avortement de procès est une mesure de dernier ressort qui n’est accordée qu’en présence d’un risque manifeste de dommage irréparable à l’équité du procès, alors qu’il n’existe aucune autre réparation possible[139]. La décision d’avorter ou non un procès commande la déférence en appel puisqu’elle relève du pouvoir discrétionnaire du juge qui bénéficie d’une position privilégiée pour évaluer l’impact d’une erreur sur le jury et décider de la mesure réparatrice appropriée[140].

[198] Ainsi, lorsqu’un danger pour l’équité du procès se présente, le juge peut refuser un avortement de procès s’il estime qu’une directive appropriée permettrait de neutraliser le risque de préjudice[141]. L’intervention en appel est limitée à la question de savoir si le juge s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de « [présenter] un danger réel de porter atteinte au droit à un procès équitable »[142].

[199] Le juge du procès a l’obligation de donner des directives appropriées sur les questions importantes tant à l’égard du droit que des faits pertinents[143]. À cette fin, il lui est permis d’exprimer une opinion sur une question de fait lorsque justifiée, à la condition de clarifier que le jury est le seul juge des faits[144].

[200] Il y a toutefois une distinction à faire entre, d’une part, le juge qui exprime son opinion sur sa compréhension d’un élément de preuve afin de faciliter le travail des jurés ou pour contextualiser la pertinence d’une mise en garde, tout en précisant que ces derniers sont les seuls juges des faits, et, d’autre part, le juge qui formule une opinion ou une directive sur une conclusion de fait principale du litige ou sur le verdict[145]. Dans le second cas, une directive réparatrice pourrait ne pas être suffisante et l’équité du procès risquerait d’être irrémédiablement entachée[146].