R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33
[2] Je conclus que lorsque le consentement à des rapports sexuels est conditionnel à l’utilisation d’un condom, le seul cadre d’analyse conforme au texte, au contexte et à l’objet de l’interdiction de l’agression sexuelle est qu’il n’y a pas de consentement à l’acte physique qui consiste à avoir des rapports sexuels sans condom. Les relations sexuelles avec ou sans condom sont des formes fondamentalement et qualitativement distinctes de contact physique. Une personne plaignante qui consent à une relation sexuelle à la condition que son partenaire porte un condom ne consent pas à une relation sexuelle sans condom. Cette approche respecte les dispositions du Code criminel, la jurisprudence constante de notre Cour sur le consentement et sur l’agression sexuelle, ainsi que l’intention du Parlement de protéger l’autonomie sexuelle et la dignité humaine de toutes les personnes au Canada. Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, « non, pas sans condom » ne peut vouloir dire « oui, sans condom ». Si le partenaire de la personne plaignante fait fi de sa condition, le rapport sexuel est non consensuel et l’autonomie sexuelle de la personne plaignante ainsi que sa capacité d’agir en toute égalité sur le plan sexuel ont été violées.
[16] Pour décider s’il y a lieu d’accueillir une requête faisant valoir l’absence de preuve, les juges qui président des procès doivent se demander « [s]’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité » (R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 21, citant États‑Unis d’Amérique c. Shephard, 1976 CanLII 8 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 1067, p. 1080; voir aussiR. c. Monteleone, 1987 CanLII 16 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 154, p. 160‑161). La Couronne doit présenter quelque preuve de culpabilité pour chaque élément essentiel de la définition du crime reproché (R. c. Charemski, 1998 CanLII 819 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 679, par. 2‑3). S’il existe un quelconque élément de preuve admissible, les juges ne peuvent imposer un verdict (Monteleone, p. 160‑161;R. c. Barros, 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 48).
[17] Pour trancher une requête faisant valoir l’absence de preuve, les juges des requêtes doivent, comme nous, tenir pour avérés les faits tels qu’exposés par la personne plaignante dans son témoignage. La personne accusée peut avoir une version différente des faits, mais la question qui importe est celle de savoir si le témoignage de la personne plaignante, advenant qu’il soit cru, justifierait une déclaration de culpabilité (Monteleone, p. 160‑161, citant Shephard, p. 1080).
…
Au début des années 1980, le Parlement a modernisé et fondamentalement restructuré les dispositions du Code criminel relatives aux infractions d’ordre sexuel. Ce changement reflétait le passage d’une [traduction] « catégorisation des infractions d’ordre sexuel fondée sur la nature de l’acte sexuel et la chasteté perçue de la victime vers une conception qui traite l’agression sexuelle beaucoup plus comme les autres crimes de violence »
[26] Au début des années 1980, le Parlement a modernisé et fondamentalement restructuré les dispositions du Code criminel relatives aux infractions d’ordre sexuel. Il a abrogé des règles de preuve discriminatoires et s’est éloigné des dispositions particulières antérieures, comme celles relatives à l’interdiction du viol, pour adopter plutôt des interdictions fondées sur le droit en matière de voies de fait. Ce changement reflétait le passage d’une [traduction] « catégorisation des infractions d’ordre sexuel fondée sur la nature de l’acte sexuel et la chasteté perçue de la victime vers une conception qui traite l’agression sexuelle beaucoup plus comme les autres crimes de violence » (J. Benedet, « Judicial Misconduct in the Sexual Assault Trial » (2019), 52 U.B.C. L. Rev. 1, p. 17).
[27] En conséquence, selon l’al. 265(1)a) du Code criminel, commet des voies de fait quiconque, d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement. Lorsque les voies de fait revêtent un caractère sexuel, il s’agit d’une infraction prévue à l’art. 271 du Code criminel. Le fait de placer les voies de fait au cœur des nouvelles infractions reflète le rôle central que le consentement est censé jouer pour faire la distinction entre une conduite sexuelle criminelle et l’activité sexuelle à laquelle une personne a donné son accord.
[28] Le caractère fondamental du consentement en ce qui concerne l’infraction d’agression sexuelle se dégage du rôle essentiel qu’il joue à l’égard tant de l’actus reus que de la mens rea de l’infraction. L’actus reus de l’infraction consiste en des « attouchements sexuels non souhaités », tandis que la mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle‑ci n’y consent pas ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement (R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 23). Pour ce qui est de l’actus reus, l’absence de consentement est entièrement subjective et dépendante de l’état d’esprit de la personne plaignante quant à son souhait que les attouchements aient lieu ou non au moment où ils se sont produits (Ewanchuk, par. 25‑27 et 31). À cette étape, il n’est pas nécessaire d’examiner la perspective de la personne accusée (R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 87 et 89).
En 1992, le Parlement a présenté d’autres modifications quant aux agressions sexuelles dans le projet de loi C‑49, la Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, c. 38, art. 1, pour corriger des approches désuètes qui liaient le non-consentement à la résistance physique et pour clore les débats sur la possibilité que la passivité, le silence, la non-résistance ou la soumission puissent constituer un consentement.
[29] En 1992, le Parlement a présenté d’autres modifications quant aux agressions sexuelles dans le projet de loi C‑49, la Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, c. 38, art. 1, pour corriger des approches désuètes qui liaient le non-consentement à la résistance physique et pour clore les débats sur la possibilité que la passivité, le silence, la non-résistance ou la soumission puissent constituer un consentement. Ces modifications ont défini le consentement pour la première fois au par. 273.1(1), elles ont énoncé certaines circonstances où il n’y a pas de consentement en droit au par. 273.1(2), et elles ont limité l’accès à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué à l’art. 273.2.
[30] Le Parlement a expressément énoncé l’objet et les objectifs réparateurs qui l’ont amené à adopter ces modifications dans le préambule au projet de loi C‑49. Ces modifications visaient à refléter les réalités, les préoccupations et les droits des personnes plaignantes, à réduire la crainte des agressions sexuelles et à encourager le signalement de ce crime traditionnellement sous‑signalé. « [L]es cas de violence et d’exploitation sexuelles au sein de la société canadienne préoccup[aient] sérieusement le Parlement du Canada, et en particulier la fréquence des agressions sexuelles contre les femmes et les enfants » (projet de loi C‑49, préambule). Le Parlement entendait assurer « la pleine protection des droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés »(qui protègent les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ainsi que le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination). Le Parlement avait notamment pour objectif principal de promouvoir l’égalité des sexes et de protéger l’autonomie personnelle des individus pour faire des choix au sujet de leurs corps et choisir de se livrer ou non à une activité sexuelle (voir Débats de la Chambre des communes, vol. VIII, 3e sess., 34e lég., 8 avril 1992, p. 9505‑9507). Ses objectifs se reflètent dans le cadre d’analyse en matière de consentement et dans le libellé des dispositions individuelles actuelles.
L’article 273.1 est une disposition clé et sert de point d’entrée en matière de consentement. Il s’applique aux infractions d’ordre sexuel en particulier, il est plus récent que le par. 265(3) et son adoption découle d’une prise de conscience du « caractère unique en son genre de l’infraction d’agression sexuelle ».
Bien que l’absence de consentement subjectif pour l’application du par. 273.1(1) soit directement liée à l’accord volontaire à l’activité sexuelle, les facteurs de viciation énoncés au par. 265(3) ou à l’al. 273.1(2)c) sont plutôt liés à diverses considérations d’intérêt public.
[31] L’article 273.1 est une disposition clé et sert de point d’entrée en matière de consentement. Il s’applique aux infractions d’ordre sexuel en particulier, il est plus récent que le par. 265(3) et son adoption découle d’une prise de conscience du « caractère unique en son genre de l’infraction d’agression sexuelle » (projet de loi C‑49, préambule). Le paragraphe 273.1(1) exige « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle ». Le paragraphe 273.1(2) dresse une liste non exhaustive de cas où le consentement ne se déduit pas en droit. À l’époque pertinente, l’art. 273.1 disposait[1] :
273.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 265(3), le consentement consiste, pour l’application des articles 271, 272 et 273, en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle.
(2) Le consentement du plaignant ne se déduit pas, pour l’application des articles 271, 272 et 273, des cas où :
a) l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers;
b) il est incapable de le former;
c) l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir;
d) il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité;
e) après avoir consenti à l’activité, il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à la poursuite de celle‑ci.
(3)Le paragraphe (2) n’a pas pour effet de limiter les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut se déduire.
[32] Les paragraphes (1) et (2) de l’art. 273.1 portent tous les deux sur le consentement et doivent être lus ensemble. Le paragraphe (2) comporte plusieurs facettes et nous éclaire sur la façon dont le législateur conçoit le consentement (R. c. J.A., 2011 CSC 28, [2011] 2 R.C.S. 440, par. 33 et 35). Tous les cas décrits au par. 273.1(2) sauf un s’appliquent de façon à clarifier ce qu’exige le consentement subjectif. Seule la situation prévue à l’al. 273.1(2)c) vicie le consentement, soit celle où le consentement de la personne plaignante obtenu par abus de confiance ou de pouvoir est présumé invalide en droit (R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 44).
[33] Le paragraphe 265(3) s’applique à toutes les formes de voies de fait (y compris l’agression sexuelle). Il énumère quatre situations dans lesquelles le droit présume l’absence de consentement, notamment lorsque celui‑ci est obtenu par la fraude. Dans ces cas, il y a consentement subjectif pour l’application de l’art. 273.1, mais le droit intervient pour vicier ce consentement. Le paragraphe 265(3) prévoit :
(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :
a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;
b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;
c) soit de la fraude;
d) soit de l’exercice de l’autorité.
[34] Le consentement à l’étape de l’actus reus est au cœur de la présente cause. Lorsque la viciation dont il est question au par. 265(3) est plaidée, l’arrêt Hutchinson prescrit une analyse en deux étapes pour décider s’il y a eu consentement, même s’il n’impose pas un ordre strict des opérations (G.F., par. 51‑52). À la première étape, il s’agit de se demander si la personne plaignante a consenti à se livrer à l’activité sexuelle au sens du par. 273.1(1) (Hutchinson, par. 4). Si elle a consenti, ou si sa conduite soulève un doute raisonnable quant à l’absence d’accord volontaire à l’activité sexuelle, la seconde étape consiste à se demander s’il existe des circonstances, parmi celles énumérées au par. 265(3) ou à l’al. 273.1(2)c) — y compris la fraude — qui vicient le « consentement apparent » de la personne plaignante (Hutchinson, par. 4). Si elle n’a pas consenti, il n’y a aucun consentement qui puisse être vicié pour l’application du par. 265(3) ou de l’al. 273.1(2)c).
[35] Dans l’arrêt G.F., notre Cour a expliqué que la distinction entre l’absence de consentement subjectif à l’activité sexuelle au sens du par. 273.1(1) et la viciation du consentement « est peut‑être subtile, mais elle est importante » (par. 36). Bien que l’absence de consentement subjectif pour l’application du par. 273.1(1) soit directement liée à l’accord volontaire à l’activité sexuelle, les facteurs de viciation énoncés au par. 265(3) ou à l’al. 273.1(2)c) sont plutôt liés à diverses considérations d’intérêt public (G.F., par. 36).
[39] Le point de départ et la disposition principale pour juger de l’existence ou non du consentement à l’activité sexuelle en matière d’infractions d’agression sexuelle est l’art. 273.1. Cette disposition particulière a été adoptée plus récemment que le par. 265(3)et elle a été spécialement conçue pour les infractions d’agression sexuelle, qu’elle visait en particulier. Cette définition législative du consentement joue un rôle central dans les interdictions du Parlement contre la violence sexuelle fondées sur les voies de fait. L’expression clé « activité sexuelle » utilisée au par. 273.1(1) existe dans la formule composée qui exige « l’accord volontaire [. . .] à l’activité sexuelle ». Nous devons chercher l’intention du Parlement qui ressort du texte, du contexte et de l’objet des dispositions en matière d’agression sexuelle et l’interpréter conformément à la jurisprudence abondante de notre Cour sur le consentement et « de façon harmonieuse » avec toutes les parties de l’art. 273.1, ainsi qu’avec le régime législatif dans son ensemble (J.A., par. 33).
[40] L’interprétation juridique donnée à l’expression « activité sexuelle » ne peut être étroitement délimitée ou fixée pour toutes les affaires. À l’instar du consentement dont elle est une partie intégrante, elle est liée au contexte et ne peut être appréciée dans l’abstrait; elle se rapporte à des comportements ou à des gestes particuliers (Hutchinson,par. 57; Barton,para. 88). Une bonne part de l’interprétation dépend des faits et des circonstances de l’espèce. De façon très concrète, elle est définie par la preuve et les allégations de la personne plaignante. Quel contact la personne plaignante qualifie‑t‑elle d’illicite? Quels actes ont dépassé les limites du consentement donné? L’activité sexuelle émerge d’une comparaison de ce qui s’est effectivement produit et de ce à quoi l’accord avait été donné, s’il en est. Cela varie inévitablement d’une affaire à l’autre.
Un rapport sexuel avec un condom est une activité sexuelle différente d’un rapport sexuel sans condom.
[42] Pour décider si l’accord de la plaignante à des rapports sexuels avec un condom signifie également qu’elle a donné son accord à des rapports sexuels sans condom, nous partons du principe de l’arrêt Hutchinson selon lequel « l’activité sexuelle » à laquelle la personne plaignante doit donner son accord est « l’acte sexuel physique spécifique » (par. 54 (italique omis)). L’accent doit donc être mis sur l’acte ou les actes sexuels spécifiques, définis par renvoi aux actes physiques en cause. Dans l’arrêt Hutchinson, notre Cour a également donné des exemples de différents actes physiques, comme « les baisers, les caresses, le sexe oral, les rapports sexuels ou l’utilisation d’accessoires sexuels » (par. 54). Les exemples donnés n’étaient que des illustrations et ils ne s’appliquent qu’en comparaison les uns avec les autres, en ce sens que les baisers ne constituent pas le même acte physique que les caresses, que les caresses ne sont pas la même chose que le sexe oral et que les rapports sexuels ne sont pas la même chose que l’utilisation d’accessoires sexuels. Il ne s’agit pas de catégories juridiques fermées ou d’application obligatoire d’activités sexuelles au sens large, sans égard aux allégations et aux éléments de preuve particuliers en cause.
[43] Compte tenu de l’accent que met l’arrêt Hutchinson sur « l’acte sexuel physique spécifique », l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle, puisqu’un rapport sexuel sans condom est un acte physique fondamentalement et qualitativement différent d’un rapport sexuel avec un condom. Il va sans dire que la différence physique est qu’un rapport sexuel sans condom implique un contact direct peau contre peau, tandis que le rapport sexuel avec un condom consiste en un contact indirect. De fait, certains hommes affirment que c’est cette différence, celle d’une expérience physique qui n’est pas la même, qui explique pourquoi ils préfèrent ne pas porter de condom (K. Czechowski et autres, « That’s not what was originally agreed to » : Perceptions, outcomes, and legal contextualization of non‑consensual condom removal in a Canadian sample, dans PLoS ONE, 14(7), 10 juillet 2019 (en ligne), p. 2).
[44] Le droit reconnaît que le consentement à la pénétration dans une partie du corps ne vaut pas consentement à la pénétration dans une autre partie, puisqu’il s’agit d’actes physiques distincts (Hutchinson, par. 54). De même, le consentement à une forme de contact peut dépendre de ce qui est utilisé pour toucher le corps, parce que le droit reconnaît qu’il y a une différence physique entre être touché par un doigt, un pénis, un accessoire sexuel ou un autre objet. Il est également clair, par exemple, que le droit voit des actes sexuels physiques spécifiques différents lorsqu’une personne qui a obtenu le consentement de toucher la poitrine d’une femme par‑dessus ses vêtements glisse la main sous ses vêtements pour toucher directement la peau de son sein nu. De la même façon, se faire toucher par un pénis couvert d’un condom n’est pas le même acte physique spécifique que se faire toucher par un pénis nu. Logiquement et juridiquement, un contact sexuel direct est un acte physique différent d’un contact indirect. De fait, vu l’importance de la distinction, la question de savoir si un condom est exigé est fondamentale à l’acte physique.
[45] Tous les principes d’interprétation législative commandent la conclusion selon laquelle un rapport sexuel avec un condom est une activité sexuelle différente d’un rapport sexuel sans condom. Il s’agit de la seule interprétation de l’expression « l’activité physique » qui considère l’art. 273.1 dans son ensemble et d’une manière qui s’harmonise avec la jurisprudence de notre Cour sur le consentement subjectif et affirmatif. En outre, elle répond à l’objectif du Parlement de donner effet aux finalités d’égalité et d’affirmation de la dignité qui sous‑tendent les interdictions d’agression sexuelle; elle est sensible au contexte et aux préjudices causés par le refus ou le retrait non consensuel du condom; et elle respecte le principe de la modération en droit criminel. Bien que la viciation par la fraude puisse survenir dans d’autres affaires, elle ne s’applique pas lorsque l’utilisation du condom est une condition du consentement.
…
[47] En adoptant une définition du consentement, le Parlement a énuméré, au par. 273.1(2), des situations dans lesquelles il n’y a aucun consentement en rapport avec les infractions d’agression sexuelle. Les alinéas 273.1(2)d) et e) en particulier prévoient qu’il n’y a pas de consentement si la personne plaignante « manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité » ou si, « après avoir consenti à l’activité, [elle] manifeste [. . .] l’absence d’accord à la poursuite de celle‑ci ». Pour que l’actus reus soit établi, il n’est pas nécessaire que la personne plaignante ait manifesté l’absence de consentement; toutefois, lorsqu’elle l’a manifestée, ce fait se rapporte directement à la question de savoir si elle a subjectivement consenti à l’activité sexuelle, et il peut également avoir une incidence sur la question de savoir, dans le cadre de l’analyse de la mens rea, si une croyance erronée au consentement pouvait être raisonnable (J.A., par. 23‑24, 41 et 45‑46).
[48] Ces alinéas mettent en évidence en quoi les paroles et les gestes de la personne plaignante se rapportent directement à la question de savoir s’il y a eu consentement ou non à l’activité sexuelle. D’après le témoignage de la plaignante en l’espèce, elle a manifesté, par ses paroles et son comportement, une absence d’accord à un rapport sexuel sans condom. L’alinéa 273.1(2)d) confirme expressément que le rejet manifeste d’une activité spécifique doit être respecté pour que le consentement ait un sens. L’utilisation d’un condom ne saurait être dépourvue de pertinence, secondaire ou accessoire, lorsque la personne plaignante a expressément rendu son consentement conditionnel à son utilisation. Comme l’a affirmé la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Ewanchuk, l’al. 273.1(2)d) « reconnaît que, lorsqu’une femme dit “non”, elle communique son absence de consentement, indépendamment de ce que l’accusé croyait qu’elle signifiait, et que cette manifestation de volonté a un effet juridique contraignant » (par. 101).
Reconnaître que l’utilisation du condom puisse faire partie de l’activité sexuelle est la seule façon de répondre à la nécessité que la personne plaignante ait donné son consentement affirmatif et subjectif à chaque acte sexuel, et ce, à chaque fois. En plus d’affirmer que tout individu a le droit de décider qui touche leur corps et de quelle manière, cela situe l’utilisation du condom au cœur de la définition du consentement, comme il se doit.
[49] En outre, reconnaître que l’utilisation du condom puisse faire partie de l’activité sexuelle est la seule façon de répondre à la nécessité que la personne plaignante ait donné son consentement affirmatif et subjectif à chaque acte sexuel, et ce, à chaque fois. En plus d’affirmer que tout individu a le droit de décider qui touche leur corps et de quelle manière, cela situe l’utilisation du condom au cœur de la définition du consentement, comme il se doit. Il s’agit de la seule interprétation cohérente avec les principes fondamentaux du consentement exprimés à l’art. 273.1 et dans la jurisprudence de longue date de notre Cour, y compris l’arrêt Hutchinson.
[50] Inclure l’utilisation du condom comme partie de l’activité sexuelle met à bon droit l’accent sur la question suivante qui est au cœur théorique de l’analyse de l’actus reus : y a‑t‑il eu consentement véritable au sens de l’art. 273.1? Depuis l’arrêt Ewanchuk,notre Cour a toujours insisté sur l’importance fondamentale du point de vue subjectif de la personne plaignante à l’étape de l’actus reus (J.A., par. 23 et 45‑46; Barton, par. 87‑89; G.F., par. 29 et 33). L’appréciation du consentement au sens de l’art. 273.1(1)est déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la personne plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu (Ewanchuk, par. 26 et 61). Il s’agit d’une approche purement subjective où seul le point de vue individuel de la personne plaignante est déterminant : elle a consenti ou elle n’a pas consenti (Ewanchuk, par. 27 et 31; J.A., par. 23; Barton, par. 89). Le point de vue de la personne accusée n’est pas pertinent à cette étape (Barton, par. 87 et 89).
Les raisons qu’a la personne plaignante de donner ou de refuser son consentement et d’insister sur l’utilisation d’un condom ne sont pas pertinentes.
La capacité de chaque personne de fixer les limites et les conditions dans lesquelles elle accepte d’être touchée repose sur des notions aussi importantes que l’inviolabilité physique, l’autonomie sexuelle et la capacité d’agir sur le plan sexuel, la dignité humaine et l’égalité.
[51] Selon les principes fondamentaux du consentement, les raisons qu’a la personne plaignante de donner ou de refuser son consentement et d’insister sur l’utilisation d’un condom ne sont pas pertinentes : « Si la plaignante n’a pas consenti subjectivement à l’activité (pour quelque raison que ce soit), l’actus reus est alors établi » (G.F., par. 33 (je souligne)). Que chacun ait droit de refuser un contact sexuel quelles que soient ses raisons, est un principe fondamental du droit canadien en matière d’agression sexuelle (J.A., par. 43; G.F., par. 33). Toutes les personnes « ont le droit inhérent d’exercer un contrôle complet sur leur corps, et de ne prendre part à des actes sexuels que si elles le désirent » (R. c. Park, 1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 38 et 42; Ewanchuk, par. 75, la juge L’Heureux‑Dubé, motifs concordants). La capacité de chaque personne de fixer les limites et les conditions dans lesquelles elle accepte d’être touchée repose sur des notions aussi importantes que l’inviolabilité physique, l’autonomie sexuelle et la capacité d’agir sur le plan sexuel, la dignité humaine et l’égalité (Ewanchuk, par. 28; G.F., par. 1). Comme l’a expliqué la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Mabior, « [d]e nos jours, la répression de l’agression sexuelle vise à protéger le droit de refuser un rapport sexuel : l’agression sexuelle est répréhensible en ce qu’elle nie la dignité de la victime en tant qu’être humain », omet de reconnaître chacun des partenaires sexuels comme « une personne autonome, égale et libre », et consiste en « l’exploitation illicite d’un être humain par un autre. Se livrer à des actes sexuels avec une autre personne sans son consentement c’est la traiter comme un objet et porter atteinte à sa dignité humaine » (par. 45 et 48). Voir aussi J. McInnes et C. Boyle, « Judging Sexual Assault Law Against a Standard of Equality » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 341, p. 353, note 30, et p. 357, note 38.
Lorsqu’une plaignante dit : « non, pas sans condom », notre droit en matière de consentement affirme haut et fort que cela veut réellement dire « non », et ne saurait être réinterprété pour devenir « oui, sans condom ».
L’accord volontaire aux rapports sexuels avec un condom ne suppose pas un consentement aux rapports sexuels sans condom, puisque le consentement ne peut se déduire des circonstances ou de la relation qu’entretenaient la personne accusée et la personne plaignante.
Une personne accusée ne peut pas faire fi des limites ou « tâter le terrain » pendant un deuxième rapport sexuel pour « voir » si la personne plaignante consent alors à des relations sexuelles sans condom, puisque le consentement doit être expressément renouvelé et communiqué « à chacun des actes sexuels ».
[52] On ne saurait faire abstraction du « non » de la personne plaignante à un rapport sexuel sans condom pour l’application tant du par. 273.1(1) que du par. 273.1(2), parce que, « [a]ujourd’hui, non veut dire non, et seul oui veut dire oui » (R. c. Goldfinch, 2019 CSC 38, [2019] 3 R.C.S. 3, par. 44). Par conséquent, lorsqu’une plaignante dit : « non, pas sans condom », notre droit en matière de consentement affirme haut et fort que cela veut réellement dire « non », et ne saurait être réinterprété pour devenir « oui, sans condom ».
[53] L’accord volontaire aux rapports sexuels avec un condom ne suppose pas un consentement aux rapports sexuels sans condom, puisque le consentement ne peut se déduire des circonstances ou de la relation qu’entretenaient la personne accusée et la personne plaignante (J.A., par. 47; Ewanchuk, par. 31; G.F., par. 32; Barton, par. 98 et 105). Rien ne remplace le consentement véritable de la personne plaignante à l’activité sexuelle au moment où celle‑ci a lieu, qui suppose son « accord volontaire [. . .] à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise » (J.A., par. 31). Une personne plaignante doit avoir donné son accord à l’acte sexuel spécifique, puisque « donner son accord à une forme de pénétration ne vaut pas consentement à toute forme de pénétration, et consentir à ce qu’une partie de son corps soit touchée ne vaut pas consentement à toute forme de contacts sexuels » (Hutchinson, par. 54; R. c. Olotu, 2017 CSC 11, [2017] 1 R.C.S. 168, conf. 2016 SKCA 84, 338 C.C.C. (3d) 321; R. c. Poirier, 2014 ABCA 59; R. c. Flaviano, 2014 CSC 14, [2014] 1 R.C.S. 270, conf. 2013 ABCA 219, 309 C.C.C. (3d) 163).
[54] Pareillement, une personne accusée ne peut pas faire fi des limites ou « tâter le terrain » pendant un deuxième rapport sexuel pour « voir » si la personne plaignante consent alors à des relations sexuelles sans condom, puisque le consentement doit être expressément renouvelé et communiqué « à chacun des actes sexuels » (J.A., par. 34; Barton, par. 118). Rendre implicite le consentement ranime les « mythes et stéréotypes voulant que, lorsqu’une femme dit “non”, elle veut plutôt dire “oui”, “essaie encore” ou “persuade‑moi” » (Ewanchuk, par. 87, la juge L’Heureux‑Dubé). Comme l’a plutôt affirmé la Cour dans l’arrêt Ewanchuk (le juge Major, par. 52) :
Le sens commun devrait dicter que, dès que la plaignante a indiqué qu’elle n’est pas disposée à participer à des contacts sexuels, l’accusé doit s’assurer qu’elle a réellement changé d’avis avant d’engager d’autres gestes intimes. L’accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d’avis et qu’elle consent . . .
Présumer que la personne plaignante a consenti à des rapports sexuels sans condom, après qu’elle a expressément rejeté cette forme de contact, reviendrait presque à rétablir la théorie rejetée du consentement implicite.
[55] Exclure l’utilisation exigée du condom du cœur de la définition du consentement pour l’application de l’art. 273.1 minerait ces principes et compromettrait les objectifs du Parlement. Suivant une interprétation trop restrictive de l’expression « activité sexuelle », la personne plaignante serait, en droit, présumée avoir consenti même si, en fait, elle n’a pas subjectivement donné son accord à des rapports sexuels sans condom. Pour certaines personnes — comme la plaignante en l’espèce — la différence entre utiliser ou non un condom signifie la différence entre subjectivement donner son accord à l’activité ou la refuser. Faire abstraction de limites physiques expresses dans la définition du consentement pour l’application de l’art. 273.1 aurait pour effet de supprimer le besoin d’un consentement subjectif et affirmatif. Présumer que la personne plaignante a consenti à des rapports sexuels sans condom, après qu’elle a expressément rejeté cette forme de contact, reviendrait presque à rétablir la théorie rejetée du consentement implicite (voir Ewanchuk, par. 31; J.A., par. 47; G.F., par. 32; Barton, par. 98 et 105). Reconnaître que lorsqu’une personne plaignante a donné son accord à un rapport sexuel avec un condom elle ne donnait pas son accord à l’acte physique différent d’avoir un contact direct peau contre peau sans condom est précisément ce que le juge Major a protégé dans l’arrêt Ewanchuk, lorsqu’il a affirmé que « [l]e pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain » (par. 28; voir aussi G.F., par. 1).
[56] Reconnaître que l’utilisation du condom puisse faire partie de l’activité sexuelle respecte le mieux les objectifs du Parlement de rechercher l’égalité et de promouvoir la dignité ainsi que son désir de refléter les réalités, les droits et les préoccupations des personnes plaignantes. Cette approche est celle qui respecte le plus les objectifs du Parlement, comme en témoigne l’historique législatif, le préambule aux modifications de 1992 qui ont défini le consentement pour la première fois, le contexte social de l’adoption de l’art. 273.1 ainsi que les problèmes actuels liés au refus et au retrait du condom (1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22, par. 6 et 14‑15; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, par. 5 et 37; Alberta (Affaires autochtones et Développement du Nord) c. Cunningham, 2011 CSC 37, [2011] 2 R.C.S. 670, par. 18, 63 et 69; R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, [2012] 1 R.C.S. 149, par. 30 et 38; R. c. Chartrand, 1994 CanLII 53 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 864; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 49‑51).
Des études empiriques récentes indiquent que les taux de refus ou de retrait non consensuels du condom pourraient être très élevés.
[57] Malheureusement, le refus ou le retrait du condom, même si son utilisation a été demandée et exigée, n’est pas chose rare. Au cours des dernières années, le phénomène est devenu l’objet de recherches en sciences sociales et de reconnaissance accrue au sein de la société (m.i., par. 79; m. interv. Barbra Schlifer Commemorative Clinic (« mémoire de la clinique Barbra Schlifer »), par. 4 et 7‑10, citant A. Brodsky, « “Rape‑Adjacent” : Imagining Legal Responses to Nonconsensual Condom Removal » (2017), 32 Colum. J. Gender & L. 183; A. Boadle, C. Gierer et S. Buzwell, « Young Women Subjected to Nonconsensual Condom Removal : Prevalence, Risk Factors, and Sexual Self‑Perceptions » (2021), 27 Violence Against Women 1696; R. L. Latimer et autres, Non‑consensual condom removal, reported by patients at a sexual health clinic in Melbourne, Australia, dans PLoS ONE, 13(12), 26 décembre 2018 (en ligne); Czechowski et autres; M. Ahmad et autres, « “You Do It without Their Knowledge.” Assessing Knowledge and Perception of Stealthing among College Students » (2020), 17:10 Int. J. Environ. Res. Public Health 3527 (en ligne), p. 6).
[58] Le refus ou le retrait non consensuel du condom englobe un éventail de conduites auxquelles certains ont recours pour éviter de se servir d’un condom avec une personne qui en souhaite l’utilisation. Cela comprend le refus d’entrée de jeu de porter un condom, que la personne accusée informe ou non la personne plaignante de son refus. Cela comprend aussi les cas de « furtivage », où la personne accusée fait semblant d’avoir mis un condom ou le retire à l’insu du partenaire ou de la partenaire. Il existe plusieurs formes de [traduction] « résistance à l’utilisation du condom » et elles peuvent comprendre le recours à la force physique, à la manipulation, aux menaces et à la tromperie pour avoir des rapports sexuels non protégés (m.i., par. 79; voir aussi par. 80‑85; mémoire de la clinique Barbra Schlifer, par. 6‑11; m. interv., West Coast Legal Education and Action Fund Association, par. 7).
[59] Des études empiriques récentes indiquent que les taux de refus ou de retrait non consensuels du condom pourraient être très élevés (Latimer et autres, p. 11; Czechowski et autres, p. 16 et 20‑21). L’intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic note que des universités canadiennes ont commencé à tenir compte du phénomène dans leurs politiques de prévention en matière de violence sexuelle (m. interv., par. 10, citant Université d’Ottawa, Politique 67B Prévention de la violence sexuelle, 9 décembre 2019; St. Francis Xavier University, Sexual Violence Response Policy, 1er février 2020, p. 4; Dalhousie University, Sexualized Violence Policy, 25 juin 2019, p. 5).
[60] Le refus ou le retrait non consensuel du condom est vécu et reconnu comme une forme de violence sexuelle qui engendre diverses formes de préjudice. Il y a des risques physiques manifestes, mais les conséquences psychologiques sont tout aussi réelles. On a constaté que les femmes qui avaient vécu le refus ou le retrait non consensuel du condom avaient développé une perception négative de leur capacité d’agir sur le plan sexuel et, parfois, une perception négative d’elles‑mêmes (Boadle, Gierer et Buzwell, p. 1708). Les victimes de refus ou de retrait non consensuel du condom le décrivent comme [traduction] « une violation paralysante et dégradante d’un accord en matière sexuelle », une violation du consentement, un bris de la relation de confiance, un déni de l’autonomie et un acte de violence sexuelle (Brodsky, p. 184 et 186; Czechowski et autres, p. 11‑13; S. Lévesque et C. Rousseau, « Young Women’s Acknowledgment of Reproductive Coercion : A Qualitative Analysis » (2021), 36 J. of Interpers. ViolenceNP8200 (en ligne), p. NP8210). Le témoignage de la plaignante — que nous devons tenir pour avéré à cette étape préliminaire — va manifestement dans le même sens que cette recherche. Elle décrit la conduite de l’appelant [traduction] « comme, un foutu viol, comme, parce que — comme, j’avais dit que je n’avais des relations sexuelles qu’avec des condoms » (d.a., vol. II, p. 63).
[61] À l’instar d’autres formes de coercition sexuelle, le risque de vivre le refus ou le retrait non consensuel du condom n’est pas distribué de manière égale dans la population. La dynamique du pouvoir sur laquelle il repose est exacerbée chez les femmes vulnérables — notamment les femmes qui vivent dans la pauvreté, les femmes racialisées et les femmes migrantes — ainsi que chez les personnes de diverses identités de genre et les travailleuses et travailleurs du sexe (mémoire de la clinique Barbra Schlifer, par. 9, citant K. T. Grace et J. C. Anderson, « Reproductive Coercion : A Systematic Review » (2018), 19 Trauma, Violence, & Abuse 371, p. 383‑385). Les femmes plus jeunes, qui peuvent donner leur accord à une activité sexuelle à la condition que des mesures de protection soient utilisées dans les contextes de rencontres occasionnelles ou de relations sexuelles sans attache avec des partenaires qu’elles ne connaissent pas bien (comme le démontrent les faits de l’espèce), sont aussi des cibles du refus ou du retrait non consensuel du condom (Boadle, Gierer et Buzwell, p. 1706‑1707; voir, p. ex., R. c. Lupi, 2019 ONSC 3713; R. c. Rivera, 2019 ONSC 3918; R. c. Kraft, 2021 ONSC 1970). Le phénomène est en outre particulièrement lié à la violence conjugale (mémoire de la clinique Barbra Schlifer, par. 9, citant Grace et Anderson, p. 385).
[62] L’agression sexuelle demeure un crime étroitement lié au genre (Goldfinch, par. 37‑38; Barton, par. 1). La violence sexuelle touche de façon disproportionnée les femmes et les personnes de genres divers, y compris les femmes et les filles trans et cisgenres et d’autres personnes trans, non binaires et bispirituelles. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les membres racialisés de ces communautés (m. interv., Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes, par. 18). Je suis d’accord avec le procureur général de l’Alberta pour dire qu’une interprétation restrictive de l’expression « activité sexuelle » toucherait de façon disproportionnée des groupes vulnérables, contribuerait à l’inégalité sexuelle et priverait les personnes canadiennes de l’égalité devant la loi (m. interv., par. 23). Lorsque le partenaire fait fi de ce qu’a souhaité une personne plaignante, avec ou sans tromperie, ne pas reconnaître l’utilisation du condom comme faisant partie de l’activité sexuelle pour les fins de son consentement aurait pour effet de ne pas reconnaître sa capacité d’agir sur le plan sexuel, son égalité et son droit de contrôler sa santé ainsi que son bien‑être reproductifs et physiques (mémoire de la clinique Barbra Schlifer, par. 17, citant E. C. Neilson et autres, « Psychological Effects of Abuse, Partner Pressure, and Alcohol : The Roles of in‑the‑Moment Condom Negotiation Efficacy and Condom‑Decision Abdication on Women’s Intentions to Engage in Condomless Sex » (2019), 36 J. of Interpers. Violence NP9416).
[63] Le refus ou le retrait du condom touche de façon disproportionnée les femmes, mais il peut être vécu par toute personne et les lois en matière d’agression sexuelle sont conçues pour assurer une protection égale à toutes les personnes. L’infraction d’agression sexuelle protège l’inviolabilité de chaque individu et elle est indissociable des notions de pouvoir et de contrôle. En plus de l’inégalité des sexes, il peut également y avoir inégalité dans les relations sexuelles. Exiger le port du condom témoigne de la capacité d’agir, mais négocier son utilisation se produit souvent dans des situations d’inégalité. L’identité de la personne qui a le pouvoir d’insister et de décider en fin de compte comment son corps sera touché est au cœur de la dignité humaine et de la capacité d’agir, en toute égalité, sur le plan sexuel. Faire fi de l’insistance d’une personne plaignante qu’un condom soit utilisé est à la fois la preuve et la pratique d’une relation d’inégalité. Cela permet à une personne de s’arroger la capacité de passer outre aux conditions du consentement de l’autre partenaire. Il s’agit d’un exercice manifeste de domination qui témoigne d’un mépris de la capacité de l’autre personne de dicter les limites de sa participation. Passer outre à l’insistance de la personne plaignante qu’un condom soit utilisé est illicite; une personne accusée ne peut pas faire primer son désir sur les limites expresses formulées par la personne plaignante et se servir d’elle comme moyen d’atteindre ses fins sexuelles.
Empêcher une personne de limiter son consentement à des circonstances où un condom est utilisé éroderait le droit de refuser ou de limiter le consentement à des actes sexuels spécifiques, ce qui laisserait [traduction] « le droit canadien gravement coupé de la réalité, et dysfonctionnel en ce qui concerne la protection qu’il accorde à l’autonomie sexuelle ».
[64] La reconnaissance que l’utilisation du condom, lorsqu’elle est exigée, fait partie de l’activité sexuelle fournit la protection nécessaire à toutes les personnes contre une conduite illégale qui engendre des préjudices complexes. Avoir le contrôle sur la manière dont son corps est touché doit comprendre le droit de choisir si son corps est pénétré par un pénis nu ou par un pénis enveloppé dans un condom et de limiter son consentement en conséquence. Cela ne diffère en rien du droit de choisir si son corps est touché par‑dessus ou sous les vêtements ou pénétré par un doigt ou par un accessoire sexuel ou de choisir où et comment la pénétration peut avoir lieu. Empêcher une personne de limiter son consentement à des circonstances où un condom est utilisé éroderait le droit de refuser ou de limiter le consentement à des actes sexuels spécifiques, ce qui laisserait [traduction] « le droit canadien gravement coupé de la réalité, et dysfonctionnel en ce qui concerne la protection qu’il accorde à l’autonomie sexuelle » (motifs de la C.A., par. 3).
La nécessité de prouver la tromperie et une privation oriente mal l’enquête et crée des lacunes qui privent de nombreuses personnes de la protection de la loi en lien avec l’agression sexuelle. Ceci n’est peut‑être guère surprenant, puisque les exigences en matière de fraude ne respectent ni ne suivent toujours les principes d’autonomie sexuelle, de dignité humaine et de capacité d’agir, en toute égalité, sur le plan sexuel qui sont au cœur des infractions d’agression sexuelle.
[69] La nécessité de prouver la tromperie et une privation oriente mal l’enquête et crée des lacunes qui privent de nombreuses personnes de la protection de la loi en lien avec l’agression sexuelle. Ceci n’est peut‑être guère surprenant, puisque les exigences en matière de fraude ne respectent ni ne suivent toujours les principes d’autonomie sexuelle, de dignité humaine et de capacité d’agir, en toute égalité, sur le plan sexuel qui sont au cœur des infractions d’agression sexuelle. Outre cette discordance, plusieurs raisons justifient de ne pas adopter l’approche que préconise l’appelant lorsque la personne plaignante n’a pas donné son accord à une relation sexuelle sans condom.
[70] Premièrement, exiger une preuve de privation ne prend pas en compte comment, en application de notre droit en matière de consentement, toute personne est capable de décider de consentir ou non en fonction de motifs qui sont significatifs pour elle. Suivant l’art. 273.1, le droit ne se soucie pas des raisons pour lesquelles une personne a donné ou refusé son consentement, puisque ses pensées, ses motivations et ses désirs ne regardent qu’elle. Ce qui importe, c’est l’existence ou non du consentement subjectif dans les faits. Ce respect du choix individuel, et des motivations personnelles qui le sous‑tendent, est au cœur de la capacité d’agir sur le plan sexuel. Exiger qu’une personne plaignante qui a insisté sur l’utilisation d’un condom fasse la preuve d’une privation avant que le consentement soit vicié serait incompatible avec le principe fondamental selon lequel une personne a le droit de refuser son consentement sans égard à ce qui la motive. Une personne peut insister pour qu’un condom soit utilisé, et ce, pour « quelque raison que ce soit » qu’elle juge importante — qu’elle soit fondée ou non sur le risque de grossesse ou d’ITS, ou qu’elle ait ou non un rapport avec le point de vue du droit à l’égard d’un risque important de lésions corporelles graves (G.F., par. 29 et 33). En Cour d’appel, le juge Groberman a eu raison de souligner, au par. 28 de ses motifs, que [traduction] « [l]imiter ainsi la définition de l’expression “activité sexuelle” serait absurde, puisque cela, sans la moindre justification, empêcherait une personne de limiter son consentement d’une manière qui est intimement liée à son autonomie personnelle et à l’intérêt public ».
[71] Deuxièmement, les préjudices engendrés par le refus ou le retrait non consensuel du condom ne se limitent pas au risque important de lésions corporelles graves et englobent bien plus que le risque de grossesse ou d’ITS. Interpréter le préjudice comme se limitant aux conséquences [traduction] « physiques » ou « corporelles » aurait pour effet d’« inhiber la reconnaissance juridique de la manière dont le préjudice est vécu comme dommageable et dégradant du fait qu’il transgresse les limites du consentement à l’activité sexuelle » (L. Gotell et I. Grant, « Non‑Consensual Condom Removal in Canadian Law Before and After R. v. Hutchinson » (2021), 44 Dal. L.J. 439, p. 442). En outre, cela renforcerait le mythe selon lequel un [traduction] « viol véritable » est défini par la violence physique qui dépasse la violence du contact non consensuel (Gotell et Grant, p. 456). Comme l’a souligné la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Cuerrier, l’essence de l’infraction est la violation de la dignité physique de la plaignante d’une façon contraire à son libre arbitre et cette violation est ce qui justifie une sanction pénale, indépendamment du risque ou de la gravité des lésions corporelles en cause (par. 18‑19).
[72] Troisièmement, l’exigence relative aux préjudices pour établir la fraude signifie en outre que certaines personnes et certains types de relations sexuelles ne bénéficieraient pas de la protection de la loi. La reconnaissance de la sécurité de la personne et de son égalité ne saurait dépendre de sa capacité à tomber enceinte ou de la possibilité que l’acte sexuel en cause emporte le risque de grossesse ou de transmission d’une ITS.
[73] Quatrièmement, faire la preuve d’un risque important de lésions corporelles graves supposerait vraisemblablement une appréciation condescendante de la question de savoir si les préjudices que la personne plaignante a subis étaient assez importants pour vicier un consentement qui, dans son esprit, n’a jamais été donné. Établir la privation serait susceptible d’être très intrusif pour les personnes plaignantes. En plus d’expliquer les circonstances de leur violation, elles seraient tenues d’établir qu’elles ont subi un risque important de lésions corporelles graves au‑delà de l’indignité d’avoir été agressées. L’exigence relative à la privation mettrait l’accent sur des renseignements extrêmement personnels, sensibles ou stigmatisants à propos de la personne plaignante, dont de l’information relative à la grossesse non désirée, à l’avortement, à la fertilité, à l’état ménopausique, aux pratiques de contraception, aux ITS, au sexe attribué à la naissance (lorsqu’il a une incidence sur la fertilité) et, peut‑être, à la santé mentale de la personne plaignante. Chacune de ces catégories de renseignements peut concerner la vulnérabilité préexistante de la personne plaignante à la grossesse, à une ITS ou aux deux, et la question fondamentale de savoir si la conduite de la personne accusée a véritablement causé le préjudice subi par la personne plaignante (ou le risque de telles lésions). Ces facteurs ne sont pas pertinents quant au consentement pour l’application de l’art. 273.1, et pourtant, ils jouent un rôle important, voire déterminant, pour l’application du par. 265(3).
L’avenue directe qui consiste à examiner s’il y a eu consentement subjectif à l’acte physiquement différent au sens de l’art. 273.1 est préférable à tous les égards : elle correspond à l’intention du Parlement, elle est logiquement antérieure, elle est plus respectueuse des personnes plaignantes, elle est supérieure sur le plan du fond, et elle va au cœur de la définition législative conçue pour s’attaquer à la violence sexuelle et à ses conséquences.
[74 Le droit en matière d’agression sexuelle fondé sur l’art. 273.1 protège le choix de la personne plaignante, sans égard à ses raisons, d’exiger le port d’un condom. Il n’est pas nécessaire de contourner les contraintes de l’application du concept de fraude en définissant largement la tromperie, en traitant le refus non divulgué d’utiliser un condom au chapitre de l’exigence de malhonnêteté, ou en concluant que l’atteinte aux droits relatifs à la dignité peut être assimilée à un risque important de lésions corporelles graves. Le Parlement a adopté sa définition rigoureuse du consentement prévue à l’art. 273.1 en partie parce que la disposition générale relative à la viciation prévue au par. 265(3) pour toutes les voies de fait était insuffisante dans le contexte précis de l’agression sexuelle. L’avenue directe qui consiste à examiner s’il y a eu consentement subjectif à l’acte physiquement différent au sens de l’art. 273.1 est préférable à tous les égards : elle correspond à l’intention du Parlement, elle est logiquement antérieure, elle est plus respectueuse des personnes plaignantes, elle est supérieure sur le plan du fond, et elle va au cœur de la définition législative conçue pour s’attaquer à la violence sexuelle et à ses conséquences. Il s’agit de la disposition qu’a privilégiée le Parlement pour répondre aux violations du consentement, puisqu’elle est plus particulière et plus récente que celle relative à la fraude (R. Sullivan, Statutory Interpretation (3e éd. 2016), p. 327‑328).
L’expression « activité sexuelle », correctement interprétée, est suffisamment large pour englober les aspects physiques qui étaient d’entrée de jeu essentiels à l’accord de la personne plaignante au contact spécifique.
[75] L’expression « activité sexuelle », correctement interprétée, est suffisamment large pour englober les aspects physiques qui étaient d’entrée de jeu essentiels à l’accord de la personne plaignante au contact spécifique. La réponse à la question de savoir si celle‑ci a consenti à l’acte physique distinct d’avoir des rapports sexuels non protégés peau contre peau ne saurait dépendre de la manière dont son consentement a été violé. Dans les cas de refus ou de retrait du condom, l’analyse relative à la fraude éloignerait l’attention des principes fondamentaux relatifs au consentement, porterait l’attention ailleurs et créerait des lacunes dans la protection qui seraient contraires à l’intention du Parlement d’aborder les droits, les réalités et les préjudices de la violence sexuelle. Tous les principes fondamentaux d’interprétation législative et du droit en matière de consentement appuient la proposition sensée voulant que les rapports sexuels avec un condom soient une activité sexuelle différente des rapports sexuels sans condom.
Il s’ensuit, par exemple, que la fraude serait la bonne méthode pour analyser (1) un mensonge portant sur l’état sérologique vis‑à‑vis d’une ITS qui amène la personne plaignante à donner son accord à des rapports sexuels non protégés et (2) un mensonge portant sur l’intégrité physique du condom.
[93] Enfin, je ne suis pas convaincue que les juges majoritaires aient statué, au par. 41 de l’arrêt Hutchinson, que l’absence de condom et l’utilisation d’un condom saboté revenaient au même. Ce paragraphe ne porte pas sur l’absence de condom. Il précise plutôt pourquoi les juges majoritaires affirment que l’adoption de l’approche fondée sur les « caractéristiques essentielles » ou celle basée sur la « façon dont l’acte s’est déroulé » (adoptées dans la juridiction d’instance inférieure et par les juges minoritaires) aurait pour effet de rendre le droit « incohérent, éminemment formaliste et excessivement incertain ». Il affirme que le droit doit traiter de façon uniforme un mensonge permettant d’obtenir le consentement d’une personne à des rapports sexuels non protégés et un mensonge concernant l’état d’un condom. Or, le premier mensonge se rapporte à quelque chose d’autre que l’activité sexuelle, parce qu’il amène la personne plaignante à donner son accord subjectif à avoir des rapports sexuels non protégés (plutôt que d’amener la personne plaignante à avoir à son insu des rapports sexuels sans condom, alors qu’elle n’avait donné son accord qu’à des rapports sexuels avec un condom). Dans le deuxième exemple, le mensonge concerne l’état du condom. Ce mensonge se rapporte à la question de savoir si le condom est efficace pour prévenir la transmission d’ITS ou la grossesse, et non à l’activité sexuelle. Il s’ensuit, par exemple, que la fraude serait la bonne méthode pour analyser (1) un mensonge portant sur l’état sérologique vis‑à‑vis d’une ITS qui amène la personne plaignante à donner son accord à des rapports sexuels non protégés et (2) un mensonge portant sur l’intégrité physique du condom. Ce paragraphe traite ces mensonges comme étant similaires, mais il n’empêche pas les gestes qui vont au cœur du consentement conditionnel qu’avait donné la personne plaignante de faire partie de l’activité sexuelle.
En clair, je distingue l’arrêt Hutchinson du cas de l’espèce, sans l’infirmer. Je réitère que les juges majoritaires dans cet arrêt n’ont pas explicitement examiné la différence entre la non‑utilisation d’un condom et le sabotage d’un condom, et ils n’ont pas non plus analysé l’incidence qu’aurait cette différence sur l’interprétation des par. 265(3) et 273.1(2).
L’interprétation que donne l’arrêt Hutchinson des articles pertinents du Code criminel continue de s’appliquer. Cette affirmation s’appuie sur une distinction — qui restreint la portée de l’arrêt — entre l’utilisation d’un condom efficace et la non‑utilisation d’un condom, à la lumière de l’utilisation d’un condom inefficace, un fait important dans cette affaire.
[97] À mon avis, il n’est pas nécessaire d’accéder à ces demandes, parce que l’arrêt Hutchinsonne s’applique pas à une affaire où le consentement dépend de l’utilisation d’un condom et où aucun condom n’est porté. Il n’y a pas lieu d’interpréter l’arrêt aussi largement que le propose l’appelant. En clair, je distingue l’arrêt Hutchinson du cas de l’espèce, sans l’infirmer. Je réitère que les juges majoritaires dans cet arrêt n’ont pas explicitement examiné la différence entre la non‑utilisation d’un condom et le sabotage d’un condom, et ils n’ont pas non plus analysé l’incidence qu’aurait cette différence sur l’interprétation des par. 265(3) et 273.1(2). Mon analyse, qui examine cette distinction, parce qu’elle est importante compte tenu des faits du présent pourvoi, repose sur la tradition consacrée qui consiste à interpréter la portée d’un arrêt antérieur. Certains auteurs ont dit de cette méthode qu’elle consistait à [traduction] « faire une distinction avec un précédent en en restreignant la portée » (voir, p. ex., G. Williams et A. T. H. Smith, Glanville Williams : Learning the Law (17e éd. 2020), p. 83‑85; N. Duxbury, The Nature and Authority of Precedent (2008), p. 114; D. Parkes, « Precedent Unbound? Contemporary Approaches to Precedent in Canada » (2006), 32 Man. L.J. 135, p. 141‑142). Cette méthode laisse le précédent en place et, à mon avis, elle est conforme au « principe fondamental de l’évolution de la common law au gré des situations qui surviennent » (R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, par. 57).
…
[103] Dans les affaires où un condom est en cause, l’arrêt Hutchinson s’applique lorsque la personne plaignante s’est aperçue après l’acte sexuel que la personne accusée portait un condom sciemment saboté. Cet arrêt demeure un précédent valable et ne s’applique qu’aux cas de tromperie, par exemple, lorsqu’un condom est utilisé, mais qu’il est rendu inefficace par un acte de sabotage et de tromperie. Si la personne plaignante s’aperçoit pendant l’acte sexuel que le condom a été saboté, elle peut alors révoquer son consentement subjectif, l’actus reus de l’agression sexuelle est établi, et il est inutile de procéder à l’analyse relative à la fraude.
En résumé :
Dans les affaires où un condom est en cause, l’arrêt Hutchinson s’applique lorsque la personne plaignante s’est aperçue après l’acte sexuel que la personne accusée portait un condom sciemment saboté.
Si la personne plaignante s’aperçoit pendant l’acte sexuel que le condom a été saboté, elle peut alors révoquer son consentement subjectif, l’actus reus de l’agression sexuelle est établi, et il est inutile de procéder à l’analyse relative à la fraude.
[99] À l’étape de l’actus reus de l’agression sexuelle, imposer comme condition du consentement l’utilisation d’un condom définit l’activité sexuelle à laquelle l’accord volontaire est donné au sens de l’art. 273.1. L’« activité sexuelle » à laquelle la personne plaignante doit consentir peut comprendre l’utilisation d’un condom.
[100] La question de savoir si l’utilisation du condom fait partie de l’activité sexuelle dépend des faits et de la question de savoir si elle était une condition du consentement de la personne plaignante dans ces circonstances particulières. Comme l’explique l’arrêt Ewanchuk (par. 29‑30), cela oblige le juge des faits à examiner le témoignage de la personne plaignante et à apprécier sa crédibilité à la lumière de l’ensemble de la preuve.
[101] En plus de clarifier le droit et d’en assurer la cohérence, reconnaître que l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle laisse intactes les limites soigneusement établies dans les arrêts Cuerrieret Mabior en lien avec la non-divulgation du VIH. Cette approche n’a absolument aucune incidence sur la criminalisation des personnes qui vivent avec le VIH, à moins qu’elles omettent de respecter la condition imposée par leur partenaire quant à l’utilisation du condom.
[102] Lorsque l’utilisation d’un condom est une condition du consentement de la personne plaignante à l’activité sexuelle, elle fait partie de « l’activité sexuelle » et de l’analyse du consentement visé à l’art. 273.1. Si l’actus reus est établi, l’examen portera ensuite sur la mens rea. Si la personne accusée a cru par erreur au consentement de la personne plaignante et n’a pas fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard et si elle a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, elle peut possiblement faire valoir un moyen de défense à l’étape de la mens rea de l’analyse (art. 273.2; Ewanchuk, par. 25, 47 et 49; J.A., par. 42; Barton, par. 90‑94). Le juge des faits est le mieux placé pour évaluer si, eu égard à la preuve, un condom a été retiré au mépris du consentement conditionnel de la personne plaignante ou si, par exemple, il est accidentellement tombé sans que la personne accusée l’ait remarqué.
[103] Dans les affaires où un condom est en cause, l’arrêt Hutchinson s’applique lorsque la personne plaignante s’est aperçue après l’acte sexuel que la personne accusée portait un condom sciemment saboté. Cet arrêt demeure un précédent valable et ne s’applique qu’aux cas de tromperie, par exemple, lorsqu’un condom est utilisé, mais qu’il est rendu inefficace par un acte de sabotage et de tromperie. Si la personne plaignante s’aperçoit pendant l’acte sexuel que le condom a été saboté, elle peut alors révoquer son consentement subjectif, l’actus reus de l’agression sexuelle est établi, et il est inutile de procéder à l’analyse relative à la fraude.
[104] Reconnaître que l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle ne revient pas à élargir la portée de l’art. 273.1 et n’est pas contraire au principe de modération en droit criminel. Le Parlement a affirmé à maintes reprises que le fait d’imposer à une victime, contre son gré ou à son insu, un acte sexuel auquel elle n’a pas consenti constitue une conduite criminellement répréhensible. Le refus ou le retrait non consensuel du condom est une forme de violence sexuelle qui engendre des préjudices et qui brime l’égalité, l’autonomie et la dignité humaine des personnes plaignantes. Il ne s’agit pas simplement d’un comportement [traduction] « indésirable » (motifs de première instance, par. 30).
[105] Il n’y a aucune crainte au chapitre de l’imprécision ou de la certitude si l’utilisation du condom, y compris le refus ou le retrait non consensuel du condom, est considérée comme une partie de l’activité sexuelle. Le fait de se demander si un condom a été exigé et, dans l’affirmative, s’il a été utilisé comporte la certitude nécessaire pour empêcher la criminalisation à outrance. Bien que la modération soit un principe important du droit criminel, elle ne saurait l’emporter sur l’impératif absolu du Parlement d’adopter des lois en matière d’agression sexuelle qui respectent les droits et les réalités des personnes qui font l’objet de cette violence. Exclure de tels aspects physiques de l’activité sexuelle laisserait une lacune évitable et indésirable dans le droit en matière d’agression sexuelle, où certaines violations de l’intégrité physique d’une personne ainsi que sa capacité d’agir, en pleine égalité, sur le plan sexuel seraient rétrogradées comme étant moins dignes de protection. Cela serait contraire au principe fondamental selon lequel les motifs qu’a eu une personne plaignante de donner son accord uniquement à des rapports sexuels avec un condom ne sont pas pertinents.
[106] Le témoignage de la plaignante en l’espèce était clair : elle ne consentait pas à des relations sexuelles avec l’appelant sans condom, mais l’appelant a néanmoins choisi de se livrer à des rapports sexuels sans en porter un. Par conséquent, il existait certains éléments de preuve démontrant que la plaignante n’avait pas subjectivement consenti à l’activité sexuelle. Le juge du procès a commis une erreur en tirant une conclusion différente.