R. c. Leblanc, 2021 QCCA 1283

[W]hen prosecuting an offence under sections 255(2.1) and (3.1) the Crown had to prove that the accused’s operation was a significant contributing cause of the collision from which death or bodily harm ensured. The Crown did not have to prove a marked departure from the norm. This is justifiable, because the element of moral blameworthiness is supplied by the accused’s decision to drink and drive.

[101] Puisque les paragraphes 255(2.1) et (3.1) se fondent aussi sur des infractions sous-jacentes[28], l’arrêt DeSousa trace la voie analytique applicable, ce qui exige de circonscrire l’élément de faute requis par ces infractions.

[102] L’infraction sous-jacente en l’espèce est la conduite d’un véhicule automobile avec une alcoolémie supérieure à la limite permise.

[103] Dans l’arrêt R. c. Penno, la Cour suprême a conclu que « la mens rea de l’infraction [consistant à avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors qu’on est en état d’ébriété] réside non pas dans l’intention d’assumer la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur, mais dans le fait de s’intoxiquer volontairement »[29].

[104] Par la suite, dans l’arrêt R. c. Daynard[30], la Cour d’appel de l’Ontario adopte cette conclusion à l’égard de l’infraction d’avoir eu une alcoolémie supérieure à la limite légale.

[105] Ainsi, l’état d’esprit blâmable ou la mens rea requis par les infractions prévues aux paragraphes 255(2.1) et (3.1) réside dans le fait de s’être intoxiqué volontairement[31]. Cet élément moral a été jugé suffisant d’un point de vue constitutionnel dans l’arrêt Penno, même s’il exclut la défense d’intoxication[32].

[106] Je partage donc la conclusion exprimée par les auteurs de l’ouvrage Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences: A Practitioner’s Handbook quant à la portée des paragraphes 255(2.1) et (3.1) qui n’exigent pas la preuve d’un écart marqué par rapport à la norme du conducteur raisonnable :

[W]hen prosecuting an offence under sections 255(2.1) and (3.1) the Crown had to prove that the accused’s operation was a significant contributing cause of the collision from which death or bodily harm ensured. The Crown did not have to prove a marked departure from the norm. This is justifiable, because the element of moral blameworthiness is supplied by the accused’s decision to drink and drive[33].

[107] Comme l’expliquent les mêmes auteurs :

The consumption of alcohol is an indication of a mindset and a willingness to assume a risk as opposed to someone who makes the conscious decision not to drink before driving[34].

[108] L’élément de faute requis pour ces infractions ayant été circonscrit, qu’en est-il des conséquences qui en découlent?

Une personne n’est pas moralement innocente simplement parce qu’elle n’avait pas prévu une conséquence particulière d’un acte illégal. En punissant pour des conséquences imprévisibles, le droit ne punit pas ceux qui sont moralement innocents, mais ceux qui causent un préjudice en commettant une action illégale qu’ils pouvaient éviter.

[109]   Les infractions prévues aux paragraphes 255(2.1) et (3.1), tout comme celle de conduite d’un moyen de transport alors qu’on a les facultés affaiblies, criminalisent « le danger inhérent qui découle normalement du seul fait de […] « la combinaison de l’alcool et de l’automobile » »[35], ce qui constitue un « risque réaliste de danger »[36].

[110]   Puisque la conduite d’une automobile « avec une alcoolémie supérieure à la limite fixée par la loi, présente un risque intrinsèque de danger »[37], il découle de ce constat que cette infraction criminelle peut, à juste titre, être considérée comme objectivement dangereuse[38]. À cet égard, un tel « élément de dangerosité suggère un élément de faute »[39].

[111]   J’estime donc, qu’en raison du risque inhérent associé à la conduite d’une automobile et la conjonction de ce risque avec une alcoolémie supérieure à la limite légale, la commission de cette infraction objectivement dangereuse comporte la prévisibilité objective de certaines conséquences comme les lésions corporelles ou la mort, et ce, qu’elles aient été prévues ou non par l’accusé. Dès lors, la culpabilité de l’accusé sera établie s’il a causé l’accident et que cet accident occasionne des lésions corporelles ou la mort.

[112]   Comme l’explique le juge Sopinka dans l’arrêt DeSousa, dans de telles circonstances, « [u]ne personne n’est pas moralement innocente simplement parce qu’elle n’avait pas prévu une conséquence particulière d’un acte illégal. En punissant pour des conséquences imprévisibles, le droit ne punit pas ceux qui sont moralement innocents, mais ceux qui causent un préjudice en commettant une action illégale qu’ils pouvaient éviter » [Les italiques sont ajoutés][40].

[113]   Dans un article intitulé The Creighton Quartet : Enigma Variations in a Lower Key[41], le professeur Healy (tel était alors son titre) identifie soigneusement la portée de l’arrêt DeSousa :

[T]he actual conclusion was that creating a risk of causing bodily harm was sufficient for actually causing bodily harm. […] The essence […] is the creation and realization of a risk of a specified harm.

[114]   Les auteurs Plaxton et Mathen formulent une observation similaire dans leur analyse de l’arrêt DeSousa. Ils indiquent que la responsabilité criminelle de l’accusé à l’égard des conséquences ne pose aucun problème dans ces circonstances, car celui-ci choisit volontairement de prendre un risque :

The person who knowingly or unreasonably takes a risk with others’ well-being has, in an important sense, chosen to gamble with his fate just as he has gambled with their own, and cannot justly complain if the scale of their injuries—and his punishment—is more severe than he anticipated[42].

[115]   Il en est de même des infractions dont l’intimé était accusé. À mon avis, ces précisions sont essentielles pour comprendre la nature particulière de la dangerosité inhérente à la conduite d’un moyen de transport avec une alcoolémie supérieure à la limite légale.

La preuve d’un écart marqué n’étant pas essentielle, les décisions qui concernent cette exigence dans l’infraction de conduite dangereuse lors d’un accident de la route ne conservent qu’une pertinence limitée et mitigée dans l’analyse de la causalité.

[117] D’autre part, la preuve d’un écart marqué n’étant pas essentielle, les décisions qui concernent cette exigence dans l’infraction de conduite dangereuse lors d’un accident de la route ne conservent qu’une pertinence limitée et mitigée dans l’analyse de la causalité. En effet, la prudence doit guider la transposition de ces décisions à l’égard, par exemple, de l’inattention momentanée dans le contexte de l’infraction de conduite dangereuse pour les appliquer à l’analyse de la causalité dans le cadre des paragraphes 255(2.1) et (3.1), une question qui s’avère différente. J’aborde cette question plus loin dans mes motifs.

[118] Une fois établie la commission de l’infraction sous-jacente, seule demeure la preuve des deux liens de causalité décrits dans l’arrêt Gaulin, ce que j’aborde maintenant.

La poursuite doit démontrer plus qu’un lien temporel entre la conduite et l’accident. Il doit y avoir une démonstration d’un double lien de causalité : 1) le conducteur a causé l’accident; 2) l’accident a occasionné des blessures à une personne ou sa mort.

L’utilisation du mot « cause » indique que le législateur entendait exclure les cas où l’on ne peut rattacher une responsabilité du conducteur à l’accident. Le conducteur doit être la cause effective de l’accident.

[119] Tout d’abord, rappelons que, selon l’arrêt Gaulin, la preuve d’un lien de causalité entre l’alcoolémie et les lésions corporelles ou la mort n’est pas nécessaire dans le cadre des paragraphes 255(2.1) et (3.1).

[120] Cela dit, la poursuite doit démontrer plus qu’un lien temporel entre la conduite et l’accident. Il doit y avoir une démonstration d’un double lien de causalité : 1) le conducteur a causé l’accident; 2) l’accident a occasionné des blessures à une personne ou sa mort[44].

[121] L’utilisation du mot « cause » indique que le législateur entendait exclure les cas où l’on ne peut rattacher une responsabilité du conducteur à l’accident. Le conducteur doit être la cause effective de l’accident.

[122] La norme de causalité applicable exige que la conduite de l’accusé ait contribué de façon appréciable à l’accident, c’est-à-dire de façon plus que mineure[45]. Il s’agit d’un seuil qui n’est pas très élevé[46]. Il n’est donc pas nécessaire que les actes de l’accusé soient la cause unique de la conséquence qui lui est reprochée[47].

[123] À l’instar de l’arrêt Gaulin, notre Cour réitère dans l’arrêt Collin que « [l]e lien causal recherché n’est pas physique ou mécanique, mais lié à la culpabilité morale du délinquant, ce qui n’est pas un exercice machinal ou mathématique. Il faut se demander si un accusé doit être tenu responsable en droit des conséquences de son geste, […] afin de ne pas punir des personnes moralement innocentes »[48].