Demontigny c. R., 2022 QCCA 2

La valeur d’une expertise est liée à la qualité de la preuve qui la supporte.

[38]      Même si l’argument a théoriquement un certain mérite, il perd sa force vu la manière dont s’est développé le problème au procès et la manière dont il est maintenant débattu en appel. D’abord, je remarque que le contenu des rapports d’experts a été une source de préoccupations pour la juge et les parties, et ce, jusqu’à la décision finale de l’appelant de témoigner, et encore. En effet, jusqu’à ce moment se posait la question de l’effet préjudiciable de certains passages des rapports et, surtout, de la valeur probante des rapports eux-mêmes vu la règle incontestée « que la valeur d’une expertise est liée à la qualité de la preuve qui la supporte » : R. c. Lorfanor, 2021 QCCA 1400, par. 15, citant R. c. Lavallee, 1990 CanLII 95 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 852, 893, 896 et R. c. Boucher, 2005 CSC 72 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 499, par. 31. Ensuite, il est difficile de saisir précisément de quelle manière l’appelant s’est vu forcé de témoigner. Il n’a jamais témoigné à cet effet ou offert d’explications puisqu’il n’a jamais soulevé ce problème en première instance. Bien que les rapports d’expert aient été discutés à quelques reprises, l’appelant ne démontre pas non plus, et pas plus au procès qu’en appel, les éléments auxquels la juge aurait fait obstacle de manière à le forcer à témoigner pour sa défense. Il se campe plutôt dans un argumentaire général, sinon générique, pour contester une décision jamais formellement rendue de la part de la juge et devenue théorique compte tenu de sa décision de témoigner.

[43]      En l’occurrence, l’appelant était représenté par deux avocats. Il ne peut pas se plaindre d’une décision qu’il a prise en raison de conseils reçus de ses avocats sans soulever formellement devant la juge sa préoccupation. Mais il y a plus important. Pour la réussite de la défense présentée, il était nécessaire pour l’appelant de témoigner pour établir la nature des drogues consommées et le profil de consommation ayant mené à la psychose toxique, ce qui n’était pas autrement établi par la preuve. Ces éléments étaient fondamentaux et justifiaient à eux seuls la décision de témoigner.

[44]      Ainsi, et plus important encore, la défense de l’appelant le plaçait devant une contrainte tactique. Il est bien établi qu’un inculpé n’est pas protégé contre la contrainte tactique de témoigner, comme c’est le cas lorsqu’un accusé assume le fardeau de présentation d’un moyen de défense : R. c. Darrach, 2000 CSC 46 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 443, par. 47-48; R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 187, par. 93.

La vraie question est de savoir si la manière de procéder avec le témoin autorise ensuite l’attaque de sa crédibilité sur la base d’un ou des points importants alors que ce témoin ne pouvait s’attendre à cette attaque, n’ayant jamais eu raison de croire que ce ou ces points étaient importants pour soutenir sa crédibilité.

Évidemment, s’il connaît les embûches susceptibles d’affecter sa crédibilité, cela fait partie du contexte et permet de conclure à l’absence d’iniquité

[52]      D’abord, il y a maintenant plus de 120 ans, l’arrêt Browne v. Dunn énonçait un principe de base et non une règle rigide, soit le principe cardinal de l’équité envers les parties et les témoins, en rappelant qu’un témoin doit avoir la possibilité de s’expliquer avant qu’on attaque sa crédibilité. Cet arrêt, qui traduisait déjà une certaine aversion pour les procès par embuscade, a été rendu bien avant l’arrêt R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326. Aujourd’hui, ce principe ne prête plus à controverse : R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 193, par 65. R. c. Chandroo, 2018 QCCA 1429, par. 13 ; R. v. Quansah, 2015 ONCA 237, par. 75 et s.

[53]      Toutefois, pour déterminer si le témoin a pu répondre à l’attaque contre sa crédibilité, et le bémol est à la fois important et essentiel, il faut tenir compte du contexte. Cette « décision relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire » : R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 193, par. 65. Comme le rappelait la Cour suprême, « l’effet à donner à l’absence de contre-interrogatoire ou à sa brièveté dépend des circonstances de chaque affaire. Il ne peut y avoir de règle générale ou absolue » : R. c. Palmer, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, 781. En écrivant ainsi, le juge McIntyre, pour la Cour, approuvait sans réserve la citation tirée de l’arrêt Browne v. Dunn, à la p. 79 où Lord Morris expliquait :

I therefore wish it to be understood that I would not concur in ruling that it was necessary, in order to impeach a witness’s credit, that you should take him through the story which he had told, giving him notice by the questions that you impeached his credit.

[54]      En l’espèce, au procès, l’appelant a effectivement soulevé le caractère inéquitable de la présentation en « preuve » de ses « déclarations antérieures » en raison du fait que l’intimée ne l’avait pas réellement confronté avec les « contradictions » qu’elles contenaient. L’appelant a expliqué que le ministère public avait abandonné trop vite son contre-interrogatoire devant ses réponses et qu’il n’avait jamais tenté de lui rafraîchir la mémoire. Le ministère public avait répondu que l’appelant avait témoigné n’avoir aucun souvenir de ses déclarations faites aux autres psychiatres. Par conséquent, il ne pouvait poser davantage de questions. La juge était essentiellement d’accord avec la position défendue par le ministère public.

[55]      Sans reprendre l’ensemble de l’argumentaire du ministère public en appel, je ne peux écarter d’emblée, comme il le propose, l’application des enseignements de Browne v. Dunn uniquement parce que l’appelant connaissait le contenu du rapport du Dr Watts ou que les paroles rapportées n’étaient pas une « preuve » et ne servaient qu’à expliquer le fondement de l’opinion du psychiatre. Comme je l’ai mentionné, cet arrêt a été interprété comme le reflet de l’équité qui, me semble-t-il, n’est pas un concept qui puisse d’emblée être laissé de côté. Je crois qu’il faut être clair sur ce point. L’équité se mesure, s’évalue et s’applique de manière contextuelle.

[56]      La vraie question est de savoir si la manière de procéder avec le témoin autorise ensuite l’attaque de sa crédibilité sur la base d’un ou des points importants alors que ce témoin ne pouvait s’attendre à cette attaque, n’ayant jamais eu raison de croire que ce ou ces points étaient importants pour soutenir sa crédibilité : Browne v. Dunn, p. 71 ; R. c. Chandroo, 2018 QCCA 1429 ; R. v. Quansah, 2015 ONCA 237.

[57]      Évidemment, s’il connaît les embûches susceptibles d’affecter sa crédibilité, cela fait partie du contexte et permet de conclure à l’absence d’iniquité : à titre d’exemples, voir R v. Malou, 2013 ABCA 167, par. 20 ; R. c. Shephard, 2019 NBCA 76, par. 78 ; R. v. Dieckmann, 2017 ONCA 575, par. 62.