R. c. Giacometti, 2018 QCCQ 4365

 

Jean-Paul Giacometti est accusé d’avoir conduit un véhicule alors que la concentration d’alcool dans son sang dépassait la limite permise. Cette infraction serait survenue le 24 janvier 2016 à Bromont.

Il présente une défense indiquant notamment qu’une condition médicale qu’il a provoque chez lui des éructations fréquentes et incontrôlées et que cette condition a pu fausser le résultat de l’alcootest utilisé pour tester son haleine.

 

[19] L’accusation contre Jean-Paul Giacometti est d’avoir conduit un véhicule alors que le taux d’alcool dans son sang dépassait la limite permise.

[20] Comme pour toute autre accusation criminelle, la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé et elle doit le faire hors de tout doute raisonnable. Lorsqu’un accusé fournit un échantillon d’haleine, la poursuite bénéficie d’un régime de preuve particulier décrit, en ce qui est ici pertinent, à l’alinéa 258(1)c) du Code criminel. Cet alinéa se lit comme suit :

258 (1) Dans des poursuites engagées en vertu du paragraphe 255(1) à l’égard d’une infraction prévue à l’article 253 ou au paragraphe 254(5) ou dans des poursuites engagées en vertu de l’un des paragraphes 255(2) à (3.2) :

(…)

c) lorsque des échantillons de l’haleine de l’accusé ont été prélevés conformément à un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3), la preuve des résultats des analyses fait foi de façon concluante, en l’absence de toute preuve tendant à démontrer à la fois que les résultats des analyses montrant une alcoolémie supérieure à quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang découlent du mauvais fonctionnement ou de l’utilisation incorrecte de l’alcootest approuvé et que l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise ne dépassait pas quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang, de l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’à celui où l’infraction aurait été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu’ils sont identiques, ou au plus faible d’entre eux s’ils sont différents, si les conditions suivantes sont réunies :

(…)

[21] Le célèbre arrêt R. c. St-Onge Lamoureux[1] de la Cour suprême du Canada a examiné la validité constitutionnelle de cette section du Code criminel et en a retiré certaines fractions. Aujourd’hui, il demeure que le certificat d’analyse correctement obtenu fait preuve de son contenu, sous réserve que la défense ne soulève un doute raisonnable relativement à un mauvais fonctionnement ou une utilisation incorrecte de l’alcootest.

[22] La preuve faite révèle un ensemble de circonstances particulières, sinon exceptionnelles dans le dossier.

[23] Premièrement, le policier qui a agi en première ligne auprès de l’accusé, sans être le technicien qualifié à l’alcootest toutefois, note à son rapport qu’à 18 h 32, il remarque un rot de l’accusé et pour cette raison, il convient avec la technicienne qualifiée Riendeau de suspendre le test, de manière à laisser 15 minutes s’écouler. Il explique que cette attente est nécessaire pour ne pas risquer de fausser le résultat de l’alcootest. Pourtant, le premier test est effectué à 18 h 41, soit 9 minutes plus tard. Il n’a aucune explication à donner pour ce défaut apparent d’attendre le délai qu’il indique lui-même être nécessaire pour s’assurer d’un résultat à l’abri de défaillance.

[24] Deuxièmement, le même policier collige à deux endroits distincts des taux qu’il prétend être ceux de l’accusé aux trois prélèvements d’haleine effectués. À un endroit, il consigne les taux de 156, 133 et 142 mg d’alcool par 100 ml de sang (page 4 de son rapport) alors qu’il note plutôt 144, 139 et 142 mg à la page 5 de son rapport. Questionné sur ces différences, il suppose qu’il s’agit de taux qu’il aurait confondus avec ceux d’un autre dossier, sans être plus précis ou formel à ce sujet.

[25] Troisièmement, la technicienne Riendeau, qui a opéré l’alcootest, explique que la nécessité d’un troisième test découlait de la différence supérieure à 20 mg d’alcool entre le premier et le deuxième test. Elle énonce que ce deuxième test n’était pas à sa satisfaction. Elle explique que Jean-Paul Giacometti ne soufflait pas assez fort, selon la marche à suivre qu’elle lui donnait.

[26] Bien candidement, je précise que ses explications sont loin d’être claires à ce sujet. La policière Riendeau explique tant bien que mal que l’appareil qu’elle a utilisé et qui serait très sophistiqué, est en mesure de détecter le volume et le débit d’air nécessaire à l’analyse, de manière à capter uniquement l’air « alvéolaire », à savoir celui utile pour l’analyse. Autrement dit, l’appareil est suffisamment performant et efficace pour détecter l’air non approprié à l’analyse.

[27] Je comprends mal, si tel est le cas, comment elle-même peut être en mesure de dire que le souffle ou l’échantillon est insuffisant, si l’appareil, lui, le considère adéquat. Je ne dis pas qu’une telle preuve n’est pas concevable, mais la preuve faite ici est loin d’atteindre ce niveau.

[28] Quant à la policière Riendeau, en conséquence, le deuxième test était vicié et ne devrait pas être pris en compte.

[29] En conséquence, malgré que l’appareil en ait fait une lecture, il m’apparaît que de l’aveu même de la personne qui a fait le test, le résultat de ce deuxième examen n’est pas de nature à établir une preuve suffisamment solide pour permettre de fonder une condamnation.

[30] Quatrièmement, malgré des efforts valeureux du Ministère public pour tenter d’obtenir une « opinion » de la technicienne qualifiée quant aux distinctions possibles entre l’appareil qu’elle a utilisé dans le cas de Jean-Paul Giacometti, un DATA MASTER, et un autre appareil plus ancien, cette preuve est absente. En effet, on a tenté de distinguer l’appareil de la Sûreté municipale de Bromont de ceux utilisés dans d’autres affaires rapportées en jurisprudence. Je comprends que le but de l’exercice était de démontrer que des conclusions tirées par d’autres tribunaux pouvaient difficilement être appliquées vu l’appareil différent et plus récent.

[31] De même, je comprends que ces mêmes efforts visaient à établir que l’appareil, en cas de mauvais fonctionnement, affiche un message d’erreur. Cette fonction de l’appareil viendrait ainsi possiblement contrecarrer les arguments évoqués dans le passé.

[32] Or, malheureusement pour le Ministère public, si les questions pouvaient porter à supposer le type de réponse attendue, les réponses, elles, n’ont pas suivies. Il n’en ressort rien d’autre que des suppositions, rien de plus.

[33] Cinquièmement, s’il est vrai que la défense n’a fait entendre aucun expert ni de médecin quant à l’effet possible de l’éructation sur l’alcootest, une telle « preuve » figure tout de même au dossier.

[34] En effet, il m’apparaît qu’en général il soit préférable qu’une certaine preuve soit faite de cet impact. Pendant quelle période de temps après la consommation d’alcool est-il pertinent de s’inquiéter de ce phénomène? Combien de temps après un rot est-il utile d’attendre avant de sommer quelqu’un à fournir un échantillon d’haleine? Quelle incidence un tel phénomène peut avoir sur le résultat? L’appareil est-il en mesure de faire une différence entre l’air des poumons et le rot?

[35] Toutes ces questions ont ici une importance somme toute réduite puisqu’il m’apparaît que les policiers, tant l’agent Keys que l’agent Riendeau ont, au moins implicitement, reconnu qu’au-delà des instructions qu’ils avaient reçues, ils savaient ou croyaient que l’éructation puisse affecter les résultats de l’appareil.

[36] Enfin, il y a l’affirmation non contredite que l’accusé Giacometti a éructé. Cela est même admis quant à ce qui précède le premier test. On ne parle donc pas, ici, de pure spéculation. On ne me demande pas de fonder un doute raisonnable quant à une utilisation incorrecte ou un mauvais fonctionnement de l’alcootest sur l’étrange croyance que quelque chose à propos de laquelle absolument aucune preuve n’existe ait pu se produire parce que l’on n’aurait pas regardé sans cligner de l’œil un accusé ou entretenu conformément à son mode d’emploi un appareil, pour ne reprendre que ces exemples évidents.

[37] Revenant à la question de base énoncée dans l’arrêt R. c. St-Onge Lamoureux[2] et qui consiste à déterminer si la preuve faite ici suscite dans mon esprit un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats d’analyse des échantillons d’haleine, je considère qu’il en est ainsi. Le faisceau de circonstances identifié plus haut provoque un tel doute dans mon esprit et POUR CES MOTIFS, l’accusé est ACQUITTÉ.