R. c. Duval, 2018 QCCQ 1614

On reproche au requérant d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang ainsi que d’avoir conduit ce même véhicule alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue.

Il présente une requête en exclusion de la preuve en vertu des articles 9, 10b) et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Est-ce que le requérant a eu recours sans délai à l’assistance d’un avocat ? De plus, les échantillons de sang ont-ils été prélevés dans les meilleurs délais après la commission de l’infraction alléguée conformément au sous-alinéa 258(1)d)ii) du Code criminel?

[45]        Puisque les violations des droits constitutionnels invoquées par le requérant sont intimement liées entre elles vu les explications fournies par les agents Côté et Cloutier, elles seront traitées simultanément.

[46]        Dans le présent cas, les policiers ont obtenu l’échantillon d’haleine du requérant immédiatement. Ils arrivent sur les lieux à 4 h 1, ils doivent sécuriser l’endroit étant donné la position du véhicule de ce dernier sur l’accotement de la voie de gauche d’une autoroute et ils doivent s’assurer que les ambulanciers prodiguent les soins que requiert son état de santé de telle sorte que le premier échantillon a été obtenu vers 4 h 10.

[47]        Le procureur du requérant admet d’ailleurs que les échantillons à l’ADA ont été obtenus conformément à l’alinéa 254(2)b) du Code criminel.

[48]        En contre-interrogatoire, la procureure de la poursuite a demandé au requérant si, après sa mise en état d’arrestation, il a mentionné aux policiers qu’il avait un cellulaire en sa possession. Celui-ci a répondu qu’il ne l’a pas fait parce que les ambulanciers sont arrivés au même moment. Il ajoute que ceux-ci l’ont couché sur une civière, ils l’ont fait monter dans l’ambulance et ils ont procédé à une évaluation pour finalement lui suggérer de se rendre à l’hôpital. Il conclut que c’est sans doute la raison pour laquelle la possibilité de communiquer avec un avocat n’a pas été envisagée. De toute évidence, le requérant comprenait que les circonstances ne se prêtaient pas à l’exercice de son droit de consulter un avocat.

[49]        Le procureur du requérant plaide qu’en refusant d’examiner la possibilité que le requérant consulte un avocat avant de fournir un échantillon d’haleine dans l’ADA, les policiers n’ont pas été proactifs. En d’autres mots, il leur reproche d’avoir dit à ce dernier que l’exercice de son droit de consulter un avocat n’existe que s’il est placé en état d’arrestation sans examiner avec lui les opportunités d’exercer ce droit. Le Tribunal ne partage pas cette opinion.

[50]        Les policiers doivent informer une personne détenue des droits qui lui sont garantis par la Charte. Ils n’ont pas l’obligation de lui fournir des conseils juridiques ou d’examiner avec elle toutes les hypothèses ou les nuances infinies qui découlent de ces droits.

[51]        Contre-interrogée à ce sujet par le procureur du requérant, l’agente Cloutier déclare qu’elle aurait agi autrement dans le cas où il y aurait eu une opportunité réaliste d’exercer le droit à l’avocat, par exemple lorsqu’un délai d’attente est nécessaire pour l’arrivée de la dépanneuse[16].

[52]        Dans le cas présent, les policiers ont informé le requérant qu’il ne pouvait exercer son droit à l’assistance d’un avocat à l’étape de l’ADA sur le bord de la route. Ils ont suivi à la lettre les principes émis dans l’arrêt Thomsen[17].

[53]        Les policiers étaient justifiés d’agir comme ils l’ont fait dans les circonstances d’autant plus qu’ils avaient un ADA en leur possession, prêt à être utilisé.

[54]        La défense soutient aussi que les policiers auraient pu descendre de l’ambulance, faire sortir les ambulanciers et permettre au requérant, placé sur une civière, de consulter un avocat en toute confidentialité.

[55]        Or, il faut rappeler que le requérant se plaint de violents maux de tête. Dans son témoignage, il précise qu’il avait l’impression que « sa tête allait éclater ». Il se dit ébranlé et sous le choc. Les ambulanciers lui prodiguent les premiers soins. Il manifeste son désir d’être conduit à l’hôpital. Toutes ces personnes se trouvent aux abords d’une autoroute la nuit. Les policiers ont dû fermer partiellement une voie de cette autoroute et disposer des fusées éclairantes pour sécuriser les lieux. Ils sont entourés d’un témoin et d’un patrouilleur du ministère des Transports qu’il faut rencontrer et ils doivent obtenir l’assistance de collègues pour le remorquage du véhicule et pour continuer l’enquête sur cet accident.

[56]        Conséquemment, le Tribunal estime que les policiers ne pouvaient raisonnablement envisager dans les circonstances des mesures aussi extrêmes quant au recours à l’assistance d’un avocat.

[57]        Dès que le requérant reçoit les premiers soins et qu’il donne son consentement, il est conduit en ambulance à l’hôpital. Un délai de 15 minutes fut nécessaire pour s’y rendre. Lors de son témoignage, ce dernier reconnaît qu’à son arrivée, il a dû patienter avant d’être placé dans la salle de réanimation. Il confirme que pendant ce temps, il était entouré de plusieurs personnes près du triage médical. Selon la preuve entendue, consulter un avocat privément pendant cette période d’attente s’avérait impossible.

[58]        Les policiers ont informé le personnel médical de leur intention de permettre au requérant de consulter un avocat le plus tôt possible et d’obtenir par la suite un prélèvement sanguin[18].

[59]        Contre-interrogée sur le fait qu’elle avait la possibilité d’entrer dans la salle de réanimation pour offrir au requérant l’opportunité d’exercer son droit à l’avocat, l’agente Cloutier déclare ce qui suit[19] :

« R. … on n’a pas le droit… on n’a pas le droit d’aller là, l’hôpital, ce n’est pas notre…ce n’est pas un poste de police, là, nous, on ne fait pas ce qu’on veut là, là, on aimerait bien ça arriver, puis que ça soit comme à la maison, mais ce n’est pas ça, là. Nous, l’hôpital, il faut être respectueux des procédures puis des infirmières puis des médecins, ça fait qu’on ne peut pas débarquer dans la salle de réanimation sans autorisation.

Ça fait que c’est sûr qu’en quelque part il y a quelqu’un qui… puis ça peut être un signe de tête, je m’en souviens plus, mais on n’a pas le droit d’être là sans autorisation. »

[60]        Un peu plus loin, elle ajoute ceci[20] :

« Q. Vous n’avez pas le droit d’être dans la même pièce que lui?

R. Bien, ce n’est pas qu’on n’a pas le droit, mais on est dans les jambes de tout le monde, puis on nous demande poliment d’attendre à l’extérieur de la salle. »

[61]        La poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer que les circonstances étaient telles qu’une conversation téléphonique privée n’était pas raisonnablement possible en pratique avant 5 h 27.

[62]        Le Tribunal considère par ailleurs que la preuve permet de conclure qu’en l’espèce, le délai écoulé avant de procéder au prélèvement sanguin est expliqué et justifié[21].

[63]        La jurisprudence nous enseigne que l’exigence de donner l’ordre de fournir un échantillon d’haleine ou de sang « dans les meilleurs délais » signifie que l’ordre doit être donné dans un délai raisonnablement court dans les circonstances, et non le plus tôt possible[22].

[64]        Les policiers doivent laisser les ambulanciers, les infirmières et le médecin prodiguer les premiers soins au requérant.

[65]        Les agents devaient aussi rencontrer le médecin de garde et l’informer de leur désir de sommer le requérant de fournir un échantillon de sang. Cette procédure ne peut nécessairement être autorisée qu’après un examen médical du requérant permettant de déterminer si les prélèvements mettraient ou non en danger la vie ou la santé du requérant[23].

[66]        Les policiers étaient placés devant l’inévitable. Ils ne pouvaient abréger ces délais sans entraver le travail des ambulanciers, infirmiers et médecin au risque de porter atteinte à l’intégrité de la santé physique du requérant.

[67]        En définitive, les délais écoulés entre le moment où le requérant a été détenu et celui où il a été en mesure d’exercer son droit à l’avocat ou encore celui du prélèvement de l’échantillon sanguin sont amplement justifiés dans les circonstances et le Tribunal en vient à la conclusion qu’il n’y a pas de violation des articles 9 ou 10b) de la Charte.