Par Me Félix-Antoine T. Doyon

La Cour suprême du Canada a rendu une décision unanime vendredi dernier dans R c. Pham, 2013 CSC 15, dans laquelle elle mentionne que le juge qui prend une décision lors de la détermination de la peine peut prendre en compte les conséquences indirectes que subiraient un accusé. En l’espèce, il s’agissait de prendre en compte une mesure qui émane du droit de l’immigration.

Voici les passages pertinents :

[11] À la lumière de ces principes, les conséquences indirectes découlant d’une peine s’entendent de tout effet qu’a celle‑ci sur le délinquant concerné.  Elles peuvent être prises en compte dans la détermination de la peine en tant que facteurs liés à la situation personnelle du délinquant.  Cependant, ces conséquences ne constituent pas, à proprement parler, des facteurs atténuants ou aggravants, puisque, par définition, de tels facteurs se rattachent uniquement à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (al. 718.2a) du Code criminel).  Leur pertinence découle de l’application des principes d’individualisation et de parité.  Les conséquences indirectes pourraient également être pertinentes à l’égard de l’objectif de la détermination de la peine qui consiste à favoriser la réinsertion sociale des délinquants (al. 718d) du Code criminel).  En conséquence, lorsque deux peines sont appropriées eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, la peine qui convient le mieux pourrait être celle qui favorise le plus la réinsertion sociale de ce dernier.

[12] Toutefois, le poids devant être accordé aux conséquences indirectes varie d’une affaire à l’autre et il doit être déterminé en tenant compte de la nature de l’infraction et de sa gravité.  Le professeur Manson a donné les explications suivantes à cet égard :

[traduction]  Par suite de la perpétration d’une infraction, le délinquant peut subir des conséquences physiques, émotives, sociales ou financières.  Bien que ces conséquences ne constituent pas vraiment des punitions au sens de peines ou de fardeaux imposés par l’État à la suite d’une déclaration de culpabilité, elles sont souvent prises en compte aux fins d’atténuation de la peine. . . .

. . .

L’effet atténuant des conséquences indirectes doit être examiné au regard de la réinsertion future du délinquant et de la nature de l’infraction.  Les difficultés et fardeaux découlant d’une condamnation sont pertinents s’ils rendent plus ardu le chemin vers la réinsertion sociale.  Parmi ces situations difficiles, mentionnons la perte de mesures de soutien financier ou social.  En effet, les gens perdent leur emploi, les familles sont divisées, les sources d’aide se volatilisent.  Malgré le besoin de dénonciation, les conséquences indirectes découlant de la stigmatisation ne peuvent être dissociées du processus de détermination de la peine si elles ont une incidence sur la capacité du délinquant de mener une vie productive dans la collectivité.  L’atténuation de la peine dépendra de l’appréciation de ces obstacles par rapport au degré approprié de dénonciation requis par l’infraction.  [Je souligne.]

(The Law of Sentencing (2001), aux p. 136‑137)

[13] Pour ces raisons, les conséquences indirectes en matière d’immigration peuvent être pertinentes pour fixer adéquatement la peine, mais leur importance dépend des faits particuliers de chaque affaire et doit être déterminée en fonction de ceux‑ci.

[14] La règle générale demeure : la peine doit être juste eu égard au crime commis et au délinquant concerné.  Autrement dit, le juge qui détermine la peine peut exercer son pouvoir discrétionnaire et tenir compte des conséquences indirectes en matière d’immigration, pourvu que la peine qui est infligée en définitive reste proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

[15] La souplesse que permet notre processus de détermination de la peine ne doit pas donner lieu à l’infliction de peines inappropriées et artificielles dans le but d’éviter les conséquences indirectes susceptibles de découler d’un régime législatif ou autre texte de loi donné et, ainsi, d’éluder la volonté du législateur.

[16]                          Il ne faut pas permettre que ces conséquences dominent dans la détermination de la peine ou encore aient pour effet de dénaturer ce processus, et ce, que ce soit en faveur ou à l’encontre de l’expulsion.  Qui plus est, elles ne doivent pas conduire à l’établissement d’un régime distinct de détermination de la peine qui serait assorti, dans les faits sinon en droit, d’une fourchette spéciale de décisions applicables dans les cas où l’expulsion constitue un risque.

[…]

[18] Il s’ensuit que, lorsqu’une peine est modifiée afin d’éviter des conséquences indirectes, plus cette peine s’écarte de la fourchette des peines par ailleurs appropriées, moins elle est susceptible de demeurer proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  En revanche, plus la peine modifiée se rapproche des peines par ailleurs appropriées, plus il est probable qu’elle reste proportionnelle et, de ce fait, raisonnable et juste.

[… ]

[22] Bref, les conséquences indirectes en matière d’immigration peuvent s’avérer tout aussi pertinentes pour la détermination de la peine que les conséquences indirectes susceptibles de découler d’autres textes de loi ou de la situation particulière du délinquant.