Ivanov c. R., 2025 QCCA 301

La conclusion hautement péremptoire selon laquelle un contrevenant ne présente aucun risque de récidive ne peut autrement que reposer sur une prévisibilité périlleuse, voire insoutenable, au regard des aléas de la vie. La juge commettait donc une erreur en fixant la barre au niveau du risque de récidive inexistant.

[44] En somme, je considère que la lecture du rapport présentenciel ne soutient aucune autre idée que celle d’un risque de récidive faible.

[45] Cela dit, il n’entre pas dans la mission de l’agent de probation de prédire l’avenir. La conclusion hautement péremptoire selon laquelle un contrevenant ne présente aucun risque de récidive ne peut autrement que reposer sur une prévisibilité périlleuse, voire insoutenable, au regard des aléas de la vie.

[46] La juge commettait donc une erreur en fixant la barre au niveau du risque de récidive inexistant. Cette erreur l’a conduite à mettre en opposition les facteurs que sont le processus de réhabilitation de l’appelant et le véritable risque de récidive qu’il représente. Les passages suivants du jugement illustrent ce qui précède :

[47]      Le processus de réhabilitation de l’accusé est donc bien amorcé, ce qui constitue certes une circonstance atténuante.

[…]

[69]      Il s’est écoulé cinq ans depuis les événements et tout porte à croire que l’accusé a respecté les conditions auxquelles il est assujetti.

[…]

[71]      Néanmoins, malgré le passage du temps, le risque de récidive ne peut être complètement écarté, comme nous l’avons vu précédemment.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[47] Même si la juge considère la réhabilitation de l’appelant comme étant un facteur atténuant, elle neutralise cette conclusion en estimant que le niveau d’avancement de la réhabilitation de l’appelant n’est rendu qu’au stade de l’amorce.

La réhabilitation de l’appelant n’avait pas à être complétée pour pleinement produire ses effets, car autrement « ce serait nier l’idée qu’une personne criminelle peut aspirer à se réhabiliter ».

[48]  À mon avis, près de cinq ans de paix sociale et de bonne conduite constituent plus qu’un simple point de départ marquant la réhabilitation de l’appelant. Lorsqu’on regarde son passé sans tache, outre bien entendu le geste isolé pour lequel il a plaidé coupable, auquel s’ajoutent les outils thérapeutiques acquis durant ses thérapies et la longue période de bonne conduite depuis son geste criminel, l’appelant a depuis longtemps franchi le stade de l’amorce. Il est maintenant partie prenante d’un processus de réhabilitation bien ancré dans une réalité quotidienne en dépit de tous les écueils et défis que comporte la vie en société.

[49] D’ailleurs, la réhabilitation de l’appelant n’avait pas à être complétée pour pleinement produire ses effets, car autrement « ce serait nier l’idée qu’une personne criminelle peut aspirer à se réhabiliter »[17].

[50] Le dossier d’appel fait aussi voir que l’appelant n’a pas de condamnation antérieure ni de cause pendante. Il ne souffre d’aucune dépendance à l’alcool ou à des drogues et il bénéficie du soutien de sa famille et de ses amis. Voilà autant de conditions gagnantes qui expliquent pourquoi la réhabilitation de l’appelant évolue toujours positivement.

Ce n’est pas parce qu’un contrevenant consent à l’avance à s’investir dans un programme à être identifié par le service de probation qu’il faille tirer l’inférence de son inhabilité à évoluer au sein de sa communauté sans l’aide d’un encadrement formel.

[58] De plus, ce n’est pas parce qu’un contrevenant consent à l’avance à s’investir dans un programme à être identifié par le service de probation qu’il faille tirer l’inférence de son inhabilité à évoluer au sein de sa communauté sans l’aide d’un encadrement formel. Une démarche visant à rassurer le système de justice et à appuyer l’idée de s’amender ne signifie pas pour autant qu’un contrevenant a perdu confiance en sa capacité de s’intégrer harmonieusement dans la société.

[59] Bref, la question du besoin d’encadrement résulte d’une mauvaise application du droit. En conséquence, cette conclusion de la juge ne pouvait pas participer à l’appréciation du risque de récidive.

[60] Je note que la juge a reconnu l’intérêt de l’appelant à l’obtention d’une absolution sous conditions. Cette conclusion permet d’inférer que sa situation n’incite pas à une plus grande dissuasion spécifique, un objectif pénologique normalement centré sur le risque de récidive[18]. Il me semble pour le moins contradictoire de conclure, d’une part, que l’absolution est dans l’intérêt véritable de l’appelant, mais, d’autre part, que ce dernier présente tout de même un risque de récidive suffisant pour être apprécié au stade de l’analyse de l’intérêt public, une étape où le tribunal doit avant tout considérer le besoin de dissuasion générale.

La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Bertrand Marchand, rappelle que « [l]a réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[21]. Cette règle s’applique « même en présence d’une infraction violente ».

[64]  Ces considérations notées, il y a également la situation du jeune délinquant primaire qui nécessite d’accorder un poids certain, voire important, au principe de modération[20]. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Bertrand Marchand, rappelle que « [l]a réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[21]. Cette règle s’applique « même en présence d’une infraction violente »[22].

[65] Plusieurs années avant cet arrêt de la Cour suprême, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait dans l’arrêt R. c. Beauchamp que le jeune âge d’un contrevenant primaire commandait d’apporter un poids important à sa réhabilitation :

[379] It is well-established that rehabilitation and specific deterrence are the paramount considerations on the sentencing of a youthful first offender; undue weight should not be placed on general deterrence.[23]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[66]  Ce n’est pas dire que les critères applicables à la détermination de la peine en matière de violence conjugale sont inconciliables avec ceux applicables à celle d’un jeune contrevenant primaire au point d’exclure les facteurs pertinents liés à la seconde situation pour ne retenir que ceux concernés par la première. En cette matière, tout est une question de pondération et non d’opposition.

[67]  Ma collègue la juge Bich exprime avec clarté l’exercice de pondération applicable à la situation du jeune contrevenant primaire visé par une accusation dont la nature oblige d’apporter une attention particulière à la dénonciation et à la dissuasion :

[51]  Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[24]

[Soulignements ajoutés; renvoi omis; italique dans l’original]

[68] Si on applique ces enseignements à la situation de l’espèce, soit celle d’un jeune contrevenant primaire accusé de mauvais traitement à l’égard d’une partenaire intime, l’exercice de pondération auquel la juge devait se livrer consistait à porter « une attention particulière » aux objectifs d’exemplarité et de dissuasion générale tout en accordant « un poids important » aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.

[69] Au regard de ce qui précède, les passages suivants du jugement sur la peine s’éloignent de ces critères au point de constituer une erreur de principe :

[122] Dans les cas de violence conjugale, l’absolution ne sera donc imposée que dans les cas exceptionnels où il serait indiqué, par exemple, de mettre de côté les principes de dénonciation et de dissuasion qui doivent prédominer dans ce genre de dossier.

[…]

[125]   Le Tribunal tire cette conclusion malgré le fait que la réinsertion sociale et la dissuasion spécifique soient les premiers objectifs lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction. Car en matière de violence conjugale, notre Cour d’appel nous enseigne que l’objectif de la réinsertion sociale ne devrait pas avoir préséance sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[70] Tout d’abord, la jurisprudence de notre Cour ne soutient pas l’idée selon laquelle, en matière de violence conjugale, seuls « les cas exceptionnels » pourront bénéficier d’une absolution sous conditions. Bien que les objectifs de dénonciation et de dissuasion prennent dans ce contexte une importance particulière et que l’absolution soit octroyée avec parcimonie, chaque cas doit être évalué à son mérite[25]. En l’espèce, la restriction invoquée par la juge est susceptible de heurter les enseignements de la Cour suprême concernant la réinsertion sociale du jeune contrevenant qui en est à sa première infraction[26].

[71] Ensuite, la juge oppose le contexte de violence conjugale à l’âge du contrevenant pour prioriser la première situation. Cette façon de faire a conduit à un déséquilibre entre le poids à accorder à un geste isolé posé en matière de violence conjugale et les chances élevées de réhabilitation de l’appelant.

[72] En ne considérant pas à leur juste valeur les facteurs que sont la réhabilitation et la dissuasion, la juge commet une erreur similaire à celle relevée dans l’arrêt M.P. c. R. :

[16] Enfin, le juge estime que l’octroi d’une absolution, conditionnelle ou inconditionnelle, ne pourra se faire sans nuire à l’intérêt public. Il s’appuie sur les dispositions du Code criminelprévoyant que la peine imposée pour mauvais traitement à un enfant par une personne en autorité doit privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[17] […] L’imposition d’une peine pour une infraction de cette nature commande au juge d’accorder une « attention particulière » à ces objectifs, mais il ne peut pour autant négliger de prendre en compte les autres objectifs de détermination de la peine. En insistant déraisonnablement sur les facteurs de dénonciation et de dissuasion, et en occultant les efforts considérables consentis par l’appelant pour se réhabiliter aux yeux de la société, le juge commet une erreur de principe justifiant l’intervention de la Cour.[27]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[73] De plus, l’approche retenue par la juge a eu pour effet d’occulter la conséquence d’une condamnation sur le statut de l’appelant au Canada à titre de circonstance particulière (et non « exceptionnelle ») pouvant donner ouverture à une absolution sous conditions.

[74] En résumé, je suis d’avis que la juge a commis une erreur de principe au moment de conclure qu’en matière de violence conjugale « l’objectif de la réinsertion sociale ne devrait pas avoir préséance sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation »[28].

En ce qui a trait au maintien de la confiance du public dans le système judiciaire, ce facteur doit être apprécié au regard de l’opinion d’une personne raisonnable et bien informée sur le fonctionnement du système de justice, du contexte infractionnel et du profil du contrevenant.

[75] Bien que la juge liste les éléments à considérer dans l’analyse de l’intérêt public[29], il semble qu’elle les évalue à l’aune du facteur de la confiance du public envers le système judiciaire. En effet, les constats qu’elle dresse à partir des facteurs pertinents ressortent de ces passages du jugement sur la peine :

[109] Ce critère doit s’apprécier en tenant compte de ce que pourrait penser une personne raisonnable et renseignée, advenant l’imposition d’une telle mesure.

[110] Ainsi, y a-t-il un risque que le justiciable perde confiance dans le système judiciaire si tel était le cas?

[111] Le tribunal répond par l’affirmative à cette question.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[76] Cette réponse a conduit au rejet de la demande d’absolution :

[124] Le Tribunal conclut en effet que l’absolution ne constitue pas une peine juste et proportionnée en l’espèce. Car absoudre l’accusé irait à l’encontre des objectifs selon lesquels il faut dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et accroître la confiance des victimes et du public dans l’administration de la justice.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[77] Tout en étant des notions distinctes, la confiance du public dans le système de justice participe avec d’autres facteurs à évaluer l’intérêt public au sens où l’entend le paragraphe 730(1) C.cr.

[78] L’intérêt public s’apprécie notamment au regard du besoin de dissuasion générale, de la gravité objective et subjective de l’infraction et de son incidence dans la collectivité. Il est aussi bon de préciser que l’octroi de l’absolution n’a pas à être dans l’intérêt public, même s’il ne doit pas lui nuire[30].

[79] En ce qui a trait au maintien de la confiance du public dans le système judiciaire, ce facteur doit être apprécié au regard de l’opinion d’une personne raisonnable et bien informée sur le fonctionnement du système de justice, du contexte infractionnel et du profil du contrevenant[31].

Il est dans l’intérêt public de ne pas nuire aux efforts déjà entrepris par l’accusé afin d’assurer sa réinsertion sociale.

[80] Dans le cadre de tout ce processus d’évaluation, le juge de la peine ne doit pas perdre de vue la possibilité, si démontrée, qu’un contrevenant devienne un jour une personne utile à sa communauté[32]. Les auteurs Parent et Desrosiers écrivent « [qu’]il est dans l’intérêt public de ne pas nuire aux efforts déjà entrepris par l’accusé afin d’assurer sa réinsertion sociale »[33].

[81] Le motif principal retenu par la juge pour exclure la possibilité d’une ordonnance d’absolution sous conditions repose sur l’insuffisance de la dénonciation que comporte cette mesure en matière de violence conjugale avec comme conséquence d’affecter la confiance du public dans le système de justice. Ce faisant, la juge commet une erreur similaire à celle relevée par mon collègue le juge Vauclair dans Harbour c. R. :

[97] S’il faut, à l’occasion de l’évaluation de l’intérêt public, être sensible à la réaction de la personne raisonnable et bien renseignée […], cette sensibilité ne peut amener le juge [à] refuser une peine si elle est adéquate.[34]

[Renvois omis]

[82] Dans R. c. Umakanthan, au soutien de sa décision de confirmer une ordonnance d’absolution prononcée en première instance, la Cour écrit :

[4] […] The conditions that accompany the conditional discharge express a clear concern for denunciation and deterrence in a manner that is consistent with other objectives of sentencing.[35]

[Renvoi omis]

[83] De plus, l’arrêt de la Cour suprême rendu dans R. c. Bertrand Marchand[36] enseigne qu’une absolution assortie de conditions strictes peut servir les objectifs de dissuasion et de dénonciation dans certaines circonstances[37].

[84] En somme, surseoir au prononcé de la peine et l’absolution sous conditions sont deux mesures orientées sur la réinsertion sociale du contrevenant. L’imposition de certaines conditions facultatives dans l’ordonnance de probation jointe à ces mesures permet de concilier la clémence associée à ces deux modalités tout en leur conférant un certain aspect punitif.

Sur le plan de la dissuasion générale, une composante importante de l’intérêt public, je doute qu’une absolution assortie des mêmes conditions que celles prévues dans une ordonnance de probation (conditions facultatives) jointe à une ordonnance de surseoir à la peine suscite une grande inquiétude chez l’observateur averti en mesure de comprendre les mécanismes inhérents à chacune de ces modalités.

[85] Cela dit, je reconnais aisément qu’en matière de dissuasion spécifique, ces deux modalités de peine emportent des conséquences juridiques distinctes sur la personne du contrevenant. Toutefois, sur le plan de la dissuasion générale, une composante importante de l’intérêt public, je doute qu’une absolution assortie des mêmes conditions que celles prévues dans une ordonnance de probation (conditions facultatives) jointe à une ordonnance de surseoir à la peine suscite une grande inquiétude chez l’observateur averti en mesure de comprendre les mécanismes inhérents à chacune de ces modalités.