R. c. Cowan, 2021 CSC 45

En droit criminel canadien, le concept de « l’intérêt de la justice » en est venu à être compris comme englobant l’intérêt de l’accusé et celui de la Couronne, des préoccupations sociales globales et l’intégrité du processus en matière criminelle.

[63] En outre, l’ordonnance accessoire n’en était pas une qu’exigeait la justice. En droit criminel canadien, le concept de « l’intérêt de la justice » en est venu à être compris comme englobant l’intérêt de l’accusé et celui de la Couronne, des préoccupations sociales globales et l’intégrité du processus en matière criminelle (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; R. c. M. (P.S.) (1992), 1992 CanLII 2785 (ON CA), 77 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), par. 32‑36; R. c. Owen, 2003 CSC 33, [2003] 1 R.C.S. 779, par. 52; R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146, par. 16; R. c. Bernardo (1997), 1997 CanLII 2240 (ON CA), 105 O.A.C. 244, par. 16 et 20). Dans le présent cas, à mon avis, l’ordonnance accessoire menace l’intégrité du processus en matière criminelle en dénaturant la fonction de recherche de la vérité des tribunaux.

[64] L’un des objectifs du processus en matière criminelle étant de favoriser la recherche de la vérité, la justice ne peut exiger que soit restreinte la capacité du juge des faits à établir si un accusé a participé à une infraction donnée et, le cas échéant, de quelle façon il y a participé. Le juge des faits doit plutôt être en mesure d’examiner toutes les thèses relatives à la responsabilité qui semblent vraisemblables sur le fondement de la preuve présentée au nouveau procès (Huard, par. 60). Empêcher prospectivement le juge des faits d’examiner une thèse viable relative à la responsabilité aurait pour effet de miner sa capacité à exercer sa fonction principale, soit de décider si la Couronne a prouvé que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée. Cette approche est compatible avec le raisonnement de la Cour dans l’arrêt MacKay, où la juge Charron a déclaré que la « portée de la directive appropriée concernant la définition des voies de fait au nouveau procès ne [pouvait] être déterminée qu’en fonction de la preuve soumise lors de ce nouveau procès » (par. 4).

[65] En pratique, confirmer l’ordonnance accessoire de la Cour d’appel signifierait que si, au nouveau procès, la défense présentait des éléments de preuve montrant que M. Cowan n’avait ni encouragé ni conseillé une autre personne puisqu’il était, en réalité, l’auteur principal de l’infraction, et si le juge des faits ajoutait foi à ces éléments de preuve ou si ceux‑ci soulevaient un doute raisonnable, le juge des faits n’aurait d’autre choix que d’acquitter M. Cowan relativement à l’accusation de vol à main armée. Un tel résultat couvrirait de ridicule le système de justice et ne saurait être ce que la justice exige.

[66] Il importe de noter que ma conclusion selon laquelle la Cour d’appel n’était pas autorisée à limiter la portée du nouveau procès à certaines thèses relatives à la responsabilité ne signifie pas que les cours d’appel n’ont pas le pouvoir de restreindre la portée d’un nouveau procès en toutes circonstances. Par exemple, les tribunaux ont statué qu’une cour d’appel peut limiter la portée d’un nouveau procès à une infraction moindre et incluse si elle est convaincue que l’erreur justifiant l’infirmation de la décision n’a entaché que le verdict rendu à l’égard de cette infraction et si elle annule uniquement le verdict rendu à l’égard de cette accusation (voir, p. ex., R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579; R. c. Guillemette, 1986 CanLII 59 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 356; R. c. Alec, 1974 CanLII 151 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 720; R. c. Cook (1979), 1979 CanLII 2937 (ON CA), 47 C.C.C. (2d) 186 (C.A. Ont.); R. c. Ruptash (1982), 1982 ABCA 165 (CanLII), 36 A.R. 346 (C.A.); R. c. Druken, 2002 NFCA 23, 211 Nfld. & P.E.I.R. 219). La distinction cruciale, cependant, est que l’infraction moindre et incluse constitue une infraction distincte et non, comme en l’espèce, une façon de commettre une même infraction. De la même façon, dans l’arrêt R.V., la question portait sur les verdicts qui auraient été incohérents dans le contexte de trois infractions distinctes — une situation très différente du cas qui nous occupe, où il est question d’un seul chef d’accusation de vol qualifié qui aurait pu être commis de différentes façons. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où « la Couronne cherche à annuler des acquittements afin d’essayer de changer de thèse ou de stratégie, ou à présenter la même affaire à d’autres décideurs dans l’espoir d’obtenir un résultat différent » (motifs du juge Rowe, par. 91). Aucun de ces motifs irréguliers ne peut être attribué à la Couronne.

Aucune partie ne peut être empêchée de remettre en cause une question lorsqu’un verdict est annulé et que la tenue d’un nouveau procès est ordonnée.

[67] Avant de conclure, je souhaite examiner brièvement la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Monsieur Cowan a fait valoir que la Cour ne peut pas ordonner un nouveau procès complet parce que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la remise en cause de la thèse de la Couronne portant qu’il est coupable de vol qualifié à titre d’auteur principal. Plus précisément, il soutient que les exigences de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont satisfaites, étant donné que la conclusion du juge du procès selon laquelle la Couronne ne s’était pas déchargée de son fardeau de prouver qu’il était l’auteur principal de l’infraction : (1) avait un caractère définitif; (2) avait été tirée dans une instance antérieure; (3) concernait les mêmes parties (citant R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, [2008] 3 R.C.S. 316, par. 52 et 55‑56). Soit dit en tout respect, je suis d’avis de rejeter les observations de M. Cowan sur ce point. Bien que cette doctrine puisse être invoquée par un accusé dans le contexte du droit criminel, M. Cowan ne peut l’invoquer, en l’espèce, pour empêcher la Cour d’ordonner la tenue d’un nouveau procès complet pour l’accusation de vol à main armée.

[68] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas du seul fait qu’un procès ait eu lieu. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Mahalingan, la décision qui constitue le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée doit avoir été prise dans une instance antérieure et devait avoir un caractère définitif (par. 52‑55). Cette affaire, toutefois, concernait deux instances distinctes et non, comme en l’espèce, un procès initial et un nouveau procès tenu à la suite d’un appel fructueux dans une seule et même affaire. On ne peut dire qu’une décision à caractère définitif a été rendue dans une instance antérieure si une cour d’appel conclut qu’un verdict d’acquittement à l’égard d’une seule accusation criminelle était entaché d’une erreur de droit et, en conséquence, invalide ce verdict dans son ensemble en l’annulant et en ordonnant la tenue d’un nouveau procès pour l’accusation en question. Cette prémisse a été résumée succinctement il y a plus d’un siècle dans l’arrêt Gray c. Dalgety & Co. Ltd. (1916), 21 C.L.R. 509 (H.C.A.), p. 521, où le juge en chef Griffith a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’ai jamais entendu dire auparavant qu’une ordonnance de nouveau procès constituait une décision définitive sur quelque point que ce soit; elle signifie seulement que l’affaire devra être examinée plus en profondeur ».

[69] En outre, comme l’ont expliqué les auteurs G. Spencer‑Bower et A. K. Turner dans l’ouvrage The Doctrine of Res Judicata (2e éd. 1969), par. 168 (cité et approuvé dans l’arrêt R. c. Duhamel (no 2) (1981), 1981 ABCA 295 (CanLII), 131 D.L.R. (3d) 352, p. 357 (C.A. Alta.), conf. par 1984 CanLII 126 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 555), aucune partie ne peut être empêchée de remettre en cause une question lorsqu’un verdict est annulé et que la tenue d’un nouveau procès est ordonnée :

[traduction] Aucune conclusion tirée par la cour ou le jury dans le cadre d’un procès qui a avorté, et pour lequel la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée, ne pourra donner ouverture à un plaidoyer de préclusion valable. Et un jugement de la cour annulant le verdict d’un jury ou infirmant une décision rendue selon ce verdict, et qui ordonnera la tenue d’un nouveau procès, ne pourra faire en sorte qu’une partie se voie opposer la chose jugée comme fin de non‑recevoir relativement à toute conclusion de fait contenue dans le jugement ordonnant la tenue d’un nouveau procès, puisque ce jugement ne signifie rien de plus que cela : le premier procès présentait des lacunes, et les questions qui y ont été tranchées devraient être à nouveau soumises à la cour pour réexamen. [Notes en bas de page omises.]

Lorsqu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès dans le cadre d’une poursuite criminelle, elle le fait dans le but d’offrir l’occasion de corriger les erreurs commises lors du premier procès. Un tel nouveau procès se veut un réexamen d’une affaire sur le fondement de la même dénonciation ou du même acte d’accusation , ce qui suppose qu’un procès s’est tenu et que, pour des motifs suffisants, il a été annulé de sorte que les questions peuvent être examinées de novo.

[70] Je souscris à cette déclaration. Lorsqu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès dans le cadre d’une poursuite criminelle, elle le fait dans le but d’offrir l’occasion [traduction] « de corriger les erreurs commises lors du premier procès » (Welch c. The King, 1950 CanLII 8 (SCC), [1950] R.C.S. 412, p. 417). Un tel nouveau procès se veut un « réexamen d’une affaire sur le fondement de la même dénonciation ou du même acte d’accusation », ce qui « suppose qu’un procès s’est tenu et que, pour des motifs suffisants, il a été annulé de sorte que les questions peuvent être examinées de novo » (ibid. (italique omis)).

[72] Le raisonnement du juge du procès a été confirmé par la Cour d’appel :

[traduction] Le troisième procès ne remettait pas en cause une question qui avait été débattue à fond par les parties puisque l’issue du deuxième procès avait été annulée entièrement et que la tenue d’un nouveau procès portant sur toutes les questions avait été ordonnée. Des erreurs de droit contenues dans l’accusation au deuxième procès avaient mis en doute le verdict. L’appel de la Couronne, dans le cadre du deuxième procès, invoquait trois motifs justifiant l’annulation du verdict du jury. Notre Cour a jugé nécessaire de statuer sur un seul de ces motifs, mais il est implicite dans la décision que l’ensemble du verdict était entaché et devait être annulé. Autrement, il aurait été nécessaire de statuer sur les autres motifs invoqués à l’encontre de l’ensemble du verdict. Par conséquent, aucune des questions de fait n’avait été tranchée et elles ont dû être examinées de nouveau au troisième procès. Il n’y a eu aucun « scandale de décisions contradictoires ». Aucune question n’avait été tranchée de façon définitive au deuxième procès et, à mon avis, le principe de la chose jugée et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquent pas. [par. 22]

[73] De même, dans le présent cas, aucune question ne peut être considérée comme ayant été tranchée de façon définitive au premier procès puisque l’issue de celui‑ci — l’acquittement à l’égard de la seule accusation de vol à main armée — a été entièrement annulée. Comme le juge du procès a commis une erreur de droit qui a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement de M. Cowan, ce verdict est nécessairement invalide. Les conclusions tirées au premier procès, qui ont mené à l’acquittement de M. Cowan, doivent donc être annulées et ne peuvent être utilisées pour invoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.