Bent c. Platnick, 2020 CSC 23

La liberté d’expression est limitée notamment par le droit en matière de diffamation, qui protège la réputation personnelle contre les attaques injustifiées.

[1] La relation entre la liberté d’expression et la protection de la réputation a toujours fait l’objet d’une mise en balance assidue et judicieuse dans la jurisprudence de notre Cour. Bien qu’elle reconnaisse l’importance de la liberté d’expression en tant que pierre angulaire d’une démocratie pluraliste, dans l’arrêt 1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection, 2020 CSC 22, notre Cour reconnaît également que la liberté d’expression n’est pas absolue — « [e]lle est limitée notamment par le droit en matière de diffamation, qui protège la réputation personnelle contre les attaques injustifiées » (Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640, par. 2, la juge en chef McLachlin). En effet, « la liberté d’expression n’autorise pas à ternir les réputations » (par. 58). Il en est ainsi parce que notre Cour assimile la réputation à [traduction] « une plante à croissance délicate qu’il est difficile de faire refleurir, une fois les fleurs tombées » (People ex rel. Karlin c. Culkin, 162 N.E. 487 (N.Y. 1928), p. 492, le juge Cardozo, cité par le juge Cory dans l’arrêt Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., 1995 CanLII 60 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 3, par. 92). Comme toute valeur, la liberté d’expression appelle des considérations qui la contrebalancent.

La bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous‑tend tous les droits garantis par la Charte » et elle doit être soigneusement mesurée en regard du droit tout aussi important à la liberté d’expression :

[167] Toutefois, avec beaucoup d’égards pour l’opinion de ma collègue, j’estime qu’elle omet de tenir compte d’un élément essentiel de l’expression de Me Bent. Permettre que l’action en diffamation de Dr Platnick suive son cours dissuadera d’autres personnes non pas de dénoncer des pratiques partiales et injustes, comme le prétend ma collègue, mais de viser inutilement un particulier d’une manière qui a peu ou rien à voir avec l’intérêt public. Cela dissuadera également d’autres personnes de tenir des propos diffamatoires à l’égard d’un particulier sans d’abord corroborer, ou tenter de corroborer, la véracité de leurs allégations. De cette façon, plutôt que de décourager les gens de dénoncer des pratiques injustes et partiales, cela les encouragera à faire preuve de diligence raisonnable et à adapter leur expression de façon à éviter de diffamer inutilement une personne qui dépend de sa réputation pour gagner sa vie.

[168] À mon humble avis, voilà l’équilibre approprié, au stade particulier de l’examen d’une motion fondée sur l’art. 137.1, entre la liberté d’expression et les considérations liées à la réputation, que notre Cour a historiquement cherché à atteindre : la bonne réputation de l’individu « représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous‑tend tous les droits garantis par la Charte » et elle « doit être soigneusement mesurée en regard du droit tout aussi important à la liberté d’expression » (Hill, par. 120‑121).

Preuve nouvelle: la diligence raisonnable n’est pas un facteur rigide et il s’agit d’un concept pratique dont l’application est tributaire du contexte.

[60] Dans la mesure où elles sont incompatibles avec ce qui précède, les conclusions tirées par le juge de la motion sont erronées. Il ne faut pas oublier que la diligence raisonnable [traduction] « n’est pas un facteur rigide » (Kuczera (Re), 2018 ONCA 322, 58 C.B.R. (6th) 227, par. 16) et qu’il s’agit d’un « concept pratique » (Calaheson c. Gift Lake Metis Settlement, 2016 ABCA 185, 38 Alta. L.R. (6th) 30, par. 14) dont l’application est « tributaire du contexte » (R. c. 1275729 Ontario Inc., 2005 O.A.C. 359, par. 29; voir aussi Elliott c. Sagl, 2019 ONSC 2490, par. 36‑38 (CanLII); D. J. M. Brown, avec l’assistance de D. Fairlie, Civil Appeals (feuilles mobiles), p. 10‑19 à 10‑21). Comme je l’ai expliqué précédemment, Dr Platnick a dû constituer son dossier en réponse à la motion dans un délai de 25 jours, alors qu’il régnait une incertitude considérable au sujet des motions fondées sur l’art. 137.1, vu l’absence d’indications jurisprudentielles sur la norme à respecter, ainsi que sur la nature et le caractère exhaustif du dossier à déposer pour obtenir le rejet d’une telle motion. J’ai tenu compte de ces facteurs dans mon appréciation.