Fort Théagène c. R., 2021 QCCA 637

CE DOSSIER COMPORTE UNE ORDONNANCE LIMITANT LA PUBLICATION EN VERTU DE L’ARTICLE 486.4 DU CODE CRIMINEL ET INTERDISANT DE PUBLIER OU DIFFUSER DE QUELQUE FAÇON QUE CE SOIT TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT D’ÉTABIR L’IDENTITÉ DES VICTIMES.

L’analyse de type Lohrer se décline en deux étapes.

[40] Une déclaration de culpabilité qui n’est pas fondée exclusivement sur la preuve ne constitue pas un verdict juste si l’erreur porte sur l’essence plutôt que sur des détails : R. c. Lohrer, 2004 CSC 80 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 732. En clair, une fois l’erreur constatée, il faut plus.

[41] L’analyse de type Lohrer se décline donc en deux étapes. À la première, il faut démontrer l’erreur, comme celle de tenir compte d’un élément qui n’est pas une preuve au procès. À la seconde, il faut démontrer que l’erreur a eu « une incidence importante plutôt que secondaire sur le raisonnement du juge du procès / be material rather than peripheral to the reasoning of the trial judge. » : R. c. Lohrer, 2004 CSC 80 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 732, par. 2.

[42] Revenons à l’arrêt Rohani, où le juge en chef Finch explique que la deuxième partie fait appel à une analyse nuancée. Il écrit que:

[45] The second part of the test is more complex. The appellant must show that the misapprehension of evidence played “an essential part” in the analysis which led to the conviction, according to the “stringent standard” described in Lohrer. This is a delicate determination. “Essential” cannot be taken to mean that the verdict would have been different “but for” the misapprehension. At the same time, it is not enough for the appellant to show simply that the misapprehension played some role in the judge’s reasoning: the error must have gone to the substance of the decision.

R. c. Rohani, 2012 BCCA 198, par. 45.

[43] Lorsque l’erreur est au cœur du raisonnement, ce dernier ne peut plus mener à un verdict juste : R. c. Shen, 2010 BCCA 554, par. 29-30; R. c. T.G., 2014 QCCA 1986, par. 29 ; LSJPA — 1724, 2017 QCCA 1365, par. 16 ; R. c. Rohani, 2012 BCCA 198 ; R. c. Zora, 2018 BCCA 230, par. 14 ; R. c. Devillier, 2005 NSCA 71, par. 32 ; R. c. Hernandez, 2010 BCCA 514.

En matière de crédibilité, une difficulté se pose dans l’évaluation de l’impact des erreurs. Puisque la crédibilité est intangible, son évaluation « qui repose sur de fausses prémisses est d’autant plus grave [puisque les] fondements erronés du raisonnement créent alors un déséquilibre dans un processus autrement imprécis.»

[44] En matière de crédibilité, une difficulté se pose dans l’évaluation de l’impact des erreurs. Puisque la crédibilité est intangible, son évaluation « qui repose sur de fausses prémisses est d’autant plus grave [puisque les] fondements erronés du raisonnement créent alors un déséquilibre dans un processus autrement imprécis.» : R. c. T.G., 2014 QCCA 1986, par. 29. Il ne devrait pas faire de doute que, dans tous les cas, les motifs invoqués pour écarter la crédibilité d’un témoin ou pour le réhabiliter doivent nécessairement être fondés sur la preuve, ce qui n’est pas le cas ici.

[45] Lorsque les motifs du jugement sont disponibles, la portée de l’erreur est plus facile à cerner en raison de la place que le juge lui attribue dans son raisonnement. Comme je l’écrivais dans une autre affaire, si la Cour suprême a raison de rappeler que « les juges de première instance ont droit à ce que leurs motifs soient révisés en fonction de ce qu’ils ont écrit et non en fonction de l’imagination conjecturale des cours de révision », une cour d’appel ne peut pas faire abstraction de ce qui est écrit lorsque le juge s’exprime sans ambiguïté : R. c. Fournier, 2018 QCCA 1966. Ainsi, la décision peut mettre en évidence l’impact important ou inoffensif de l’erreur dans le raisonnement.

[46] Dans l’arrêt Rohani, précité, l’erreur provenait d’une transcription dactylographiée des notes manuscrites déposées en preuve. Cette transcription, jointe uniquement pour faciliter la lecture des notes manuscrites, ne faisait pas partie de la preuve et elle contenait des éléments d’information qui ne figuraient pas aux notes. Or, dans ses motifs et plus spécifiquement dans le récit des faits de l’affaire, la juge du procès avait relaté les éléments qui se trouvaient uniquement dans la transcription dactylographiée, puis elle avait déclaré Rohani coupable en affirmant s’appuyer sur l’ensemble de la preuve. Le juge en chef Finch a conclu à l’absence d’erreur judiciaire de type Lohrer parce que les motifs de la juge du procès ne démontraient pas un lien explicite entre les éléments de la transcription et sa conclusion sur la crédibilité de l’appelant : R. c. Rohani, 2012 BCCA 198, par. 46.

[47] À cet égard, il écrit :

[47] The only other part of the trial judge’s reasons where she could be said to have made reference to Exhibit C is in para. 69, where she states that “[c]onsidering all of the evidence, I am satisfied that the acts complained of occurred and they constituted a sexual assault of K. by the accused”. Since the trial judge clearly wrote her reasons under the misapprehension that Exhibit C was admissible evidence, there is little doubt that she meant to include it within the extensive scope of this statement. However, a blanket reference of this kind is of little use in assessing whether a misapprehension played a material role in a judge’s reasoning.

R. c. Rohani, 2012 BCCA 198, par. 46 [Soulignement ajouté].

[48] Puis le juge Finch ajoute :

[50] On balance, I am not persuaded that the second stage of the Lohrer test is met here. This is not a case such as R. v. Deviller, 2005 NSCA 71, [2005] N.S.J. No. 200, cited by the appellant, where the misapprehended evidence was “one of the three matters specifically referred to in the judge’s reasons for rejecting the appellant’s evidence” (para. 32). Nor is it a case such as R. v. Hernandez, 2010 BCCA 514, [2010] B.C.J. No. 2275 – again referred to by the appellant – where the judge “singled out [the misapprehended evidence] as a factor that persuaded him of the appellant’s guilt” (para. 34). In the concluding paragraphs of the trial judge’s reasons, where she sets out her findings concerning Dr. Rohani’s credibility, she repeatedly discusses the intercepted phone calls and the accused’s explanations of them, but never mentions Exhibit C, except insofar as she refers to “all of the evidence”. Any role played by the trial judge’s misapprehension in the reasoning process, therefore, was “peripheral” in the sense in which that word was used in Lohrer.

R. c. Rohani, 2012 BCCA 198, par. 50 [Soulignements ajoutés].

L’utilisation des réactions non verbales de l’accusé en salle de cour pendant le procès, lesquelles, on le sait, ne constituent pas de la preuve

[49] Outre l’arrêt Rohani, les affaires où un raisonnement fondé sur des éléments qui ne sont pas en preuve ne sont pas nombreuses. À sa manière, l’affaire Évangéliste est intéressante puisqu’elle implique l’utilisation des réactions non verbales de l’accusé en salle de cour pendant le procès, lesquelles, on le sait, ne constituent pas de la preuve : LSJPA – 121, 2012 QCCA 30, par. 77. Le juge Cournoyer, alors à la Cour supérieure, reprenait l’arrêt Rohani, précité, et expliquait :

[19] Lorsqu’un juge d’instance écarte le doute raisonnable en invoquant des motifs qui ne sont pas conformes à la preuve présentée et qu’il considère un élément inapproprié, le comportement de l’accusé durant l’instance et non durant son témoignage, il est difficile de conclure que ces erreurs, qui sont au cœur même de l’évaluation du doute raisonnable, n’ont pas eu une incidence importante sur le raisonnement du juge d’instance.

R. c. Évangéliste, 2014 QCCS 1759, par. 19 [référence omise].

[50] Le juge Cournoyer ajoutait :

[21] Dans l’arrêt R. c. Devillier, le juge Cromwell (alors juge à la cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) écrit ceci au sujet de la méprise d’un juge d’instance à l’égard de certains éléments de la preuve :

32 It seems, therefore, that these two main points, of which the misapprehended evidence is one of three specific examples, were important to the judge’s conclusion respecting the appellant’s credibility and, therefore, to her finding of guilt. The misapprehended evidence in relation to Children’s Services is, therefore, one of the three matters specifically referred to in the judge’s reasons for rejecting the appellant’s evidence. It is given at least as much emphasis as the others. It was not presented as a secondary consideration. The only reasonable conclusion, in my view, is that it was sufficiently important in the judge’s mind that it was an essential part of her reasoning leading to the conviction.

[Le soulignement est ajouté]

R. c. Évangéliste, 2014 QCCS 1759, par. 21 [Référence omise].