La règle de preuve fondée sur la mauvaise moralité ne s’applique pas aux témoins ordinaires dans les procédures criminelles, parce que seul l’accusé est jugé au procès et risque donc d’être erronément déclaré coupable.
[23] Dans le cadre de procédures criminelles, une façon dont la common law régit l’utilisation de la preuve de moralité est par le truchement de la règle « plusieurs fois centenaire » selon laquelle la preuve à charge de mauvaise moralité est présumée inadmissible (R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 73; voir aussi R. c. T.J.F., 2024 CSC 38, par. 76; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), p. 1085). Cette règle d’exclusion découle de la reconnaissance que cette preuve comporte un risque élevé de préjudice par raisonnement et de préjudice moral. Le préjudice par raisonnement s’entend du risque que la preuve distraie le juge des faits et l’empêche de trancher la question de façon raisonnée, notamment en causant de la confusion ou en attirant une attention disproportionnée. Le préjudice moral s’entend du risque que la preuve soit utilisée pour tirer l’inférence interdite de « propension générale » selon laquelle l’accusé serait le genre de « mauvaise personne » susceptible de commettre l’infraction en question (Hart, par. 74; R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908, par. 100; voir aussi Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 70).
[24] La règle de preuve fondée sur la mauvaise moralité ne s’applique pas aux témoins ordinaires dans les procédures criminelles, parce que seul l’accusé est jugé au procès et risque donc d’être erronément déclaré coupable (voir R. c. Goldfinch, 2019 CSC 38, [2019] 3 R.C.S. 3, par. 32; R. c. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 129, p. 139). En conséquence, la common law permettait jadis à un accusé d’utiliser le passé sexuel de la personne plaignante en tant que preuve de moralité, invitant le juge des faits à déduire de cette preuve que, parce que cette personne était une femme sexuellement active ou « non chaste », (1) elle avait une propension à consentir et était en conséquence davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle qui était à l’origine de l’accusation; et (2) elle était moins digne de foi (H. C. Stewart, Sexual Offences in Canadian Law (feuilles mobiles), § 7:12; J. Desrosiers et G. Beausoleil‑Allard, L’agression sexuelle en droit canadien (2e éd. 2017), p. 192). Il s’agit des déductions que l’on appelle couramment aujourd’hui les « deux mythes ».
Une preuve d’activité sexuelle antérieure présente intrinsèquement le potentiel de contaminer le processus de recherche des faits par un raisonnement fondé sur les deux mythes, et ce, qu’une partie invite explicitement ou non à tenir un tel raisonnement.
[35] La raison pour laquelle la preuve à charge concernant le passé sexuel est présumée inadmissible en common law repose sur les trois mêmes objectifs que ceux du régime de l’art. 276 : écarter la preuve non pertinente ou trompeuse, protéger le droit de l’accusé à un procès équitable et sauvegarder les intérêts des personnes plaignantes en matière de sécurité, de vie privée et d’égalité. Comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt R.V., quelle que soit la partie qui présente une preuve concernant le passé sexuel de la plaignante, il revient toujours au juge du procès « d’être sensible au raisonnement fondé sur les deux mythes et au préjudice causé à la plaignante, au processus judiciaire et à l’administration de la justice » (par. 78). Il importe de préciser que l’objectif de la règle de common law prévoyant l’exclusion de la preuve à charge concernant le passé sexuel n’est pas d’éliminer les mythes et les stéréotypes relatifs à l’accusé ou à d’autres témoins dans les procès pour infractions d’ordre sexuel. Cette règle incorpore plutôt l’approche asymétrique plus large de la common law en ce qui a trait aux mythes et stéréotypes dans les procès pour infractions d’ordre sexuel, approche qui reconnaît le besoin d’empêcher les formes de raisonnement discriminatoire bien établies au sujet des personnes plaignantes (Kruk, par. 44).
[36] La façon dont le filtrage de la preuve à charge concernant le passé sexuel favorise la réalisation des trois objectifs du régime prévu à l’art. 276 est peut‑être moins évidente, puisque le ministère public est peu susceptible d’évoquer un raisonnement fondé sur les deux mythes (voir Stewart, § 8:2). La réponse repose dans le fait que cette preuve est « éminemment préjudiciable » au processus pénal (voir Kruk, par. 40). Une preuve d’activité sexuelle antérieure présente intrinsèquement le potentiel de contaminer le processus de recherche des faits par un raisonnement fondé sur les deux mythes, et ce, qu’une partie invite explicitement ou non à tenir un tel raisonnement (voir Barton, par. 80; Goldfinch, par. 72). Ce risque intrinsèque explique pourquoi il faut mettre les jurys en garde contre un raisonnement fondé sur les deux mythes, même lorsque cette preuve est admise à une fin légitime. Les faits de l’arrêt Barton illustrent bien ce risque intrinsèque. Dans cette affaire, le ministère public avait qualifié la victime de [traduction] « prostituée » dans son exposé introductif et expliqué que cette dernière avait établi avec l’accusé « des rapports lucratifs » la nuit précédant son décès (par. 66). Bien que ces propos n’aient pas été utilisés pour tenir un raisonnement fondé sur les deux mythes, la Cour a reconnu que ces commentaires, conjugués à la preuve concernant le passé sexuel présentée par l’accusé, laissaient le jury « à la dérive dans une mer d’inférences périlleuses et inacceptables » (par. 84; voir aussi les par. 80‑81).
[37] En outre, comme je l’explique plus loin, des éléments de preuve concernant le passé sexuel peuvent être utilisés afin d’évoquer, à propos des personnes qui portent plainte pour agression sexuelle, des mythes et stéréotypes discriminatoires qui diffèrent des deux mythes. Bien que ces mythes et stéréotypes puissent être soulevés par l’une ou l’autre des parties, le ministère public est peut‑être davantage susceptible d’évoquer certaines formes de raisonnement déficient qui sont particulièrement défavorables à l’accusé. Ces raisonnements trompeurs doivent être prohibés afin d’assurer un procès équitable pour l’accusé, pour la personne plaignante et pour le public dans son ensemble (Kruk, par. 43).
La présence dans le texte anglais de l’exigence que la valeur probante des éléments de preuve concernant le passé sexuel soit « significant » reconnaît que ces éléments de preuve devront être davantage que « peu pertinents » pour l’emporter sur leur préjudice intrinsèque (Darrach, par. 41).
[38] Qui plus est, les exigences d’admissibilité sur le plan du fond prescrites par la common law à l’égard de la preuve à charge concernant le passé sexuel doivent être clarifiées, étant donné que les principes établis dans Seaboyer ont été formulés dans l’optique de la preuve présentée par la défense. Plus particulièrement, il a été jugé dans cette affaire que, pour que soit admise une preuve concernant le passé sexuel, il faut que son effet préjudiciable « ne l’emporte pas sensiblement » sur sa valeur probante (p. 635). Cela reflète la norme de common law qui régit de façon générale l’admissibilité de la preuve présentée par la défense, norme qui est spécifiquement calibrée pour respecter le droit de l’accusé à un procès équitable (voir R. c. Grant, 2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475, par. 19). Par contraste, la preuve à charge est inadmissible lorsque son effet préjudiciable l’emporte simplement sur sa valeur probante. Voilà quelle est la norme applicable pour l’admission de la preuve à charge concernant le passé sexuel. Toutefois, dans les cas où tant le ministère public que la défense veulent invoquer un même élément de preuve, c’est la norme applicable à la preuve présentée par la défense qui doit être appliquée.
[39] Certains intervenants plaident que la norme applicable pour l’admission de la preuve à charge concernant le passé sexuel devrait être formulée de façon à exiger une valeur probante qui soit, suivant les termes du texte anglais, « significant » (m. interv., Criminal Lawyers’ Association (Ontario), par. 26; m. interv., Criminal Trial Lawyers’ Association, par. 17‑20). Cela ferait en sorte que la norme serait cohérente avec le texte anglais de l’al. 276(2)d) du Code criminel, qui oblige l’accusé à démontrer que le risque d’effet préjudiciable de la preuve concernant le passé sexuel de la personne plaignante ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante, qualifiée de « significant » dans la version anglaise. À mon avis, il n’est pas nécessaire de déroger à la norme classique de la common law qui régit l’admission de la preuve à charge. Comme il a été expliqué dans Darrach et réaffirmé récemment dans J.J., l’exigence dans le texte anglais du par. 276(2) qui requiert que la valeur probante soit « significant » « ne déroge pas aux règles de preuve conventionnelles » et reconnaît simplement « les préjudices et les inconvénients » intrinsèques que présente la preuve concernant le passé sexuel (Darrach, par. 39 et 41, citant Seaboyer, p. 634; J.J., par. 131). Autrement dit, la présence dans le texte anglais de l’exigence que la valeur probante des éléments de preuve concernant le passé sexuel soit « significant » reconnaît que ces éléments de preuve devront être davantage que « peu pertinents » pour l’emporter sur leur préjudice intrinsèque (Darrach, par. 41). Rien n’indique que l’inclusion du mot « significant » dans le texte anglais de l’al. 276(2)d) visait quoi que ce soit d’autre, particulièrement parce que ce mot n’a pas d’équivalent dans la version française de la disposition, laquelle parle simplement de « valeur probante » (Darrach, par. 39).
Dans l’appréciation de la valeur probante et de l’effet préjudiciable de la preuve à charge concernant le passé sexuel d’une personne plaignante, le juge du procès doit prendre en considération la liste non exhaustive de facteurs énoncée au par. 276(3) du Code criminel.
[40] Je soulignerais également que, dans l’appréciation de la valeur probante et de l’effet préjudiciable de la preuve à charge concernant le passé sexuel d’une personne plaignante, le juge du procès doit prendre en considération la liste non exhaustive de facteurs énoncée au par. 276(3) du Code criminel. Ces facteurs fournissent un cadre utile pour apprécier la valeur probante de la preuve que l’on veut présenter et pour considérer comment cette preuve peut entraîner un préjudice par raisonnement ainsi qu’une atteinte aux intérêts des personnes plaignantes en matière de vie privée, de dignité et d’égalité. Cependant, le juge du procès doit se rappeler que certains facteurs énoncés au par. 276(3) ont été formulés dans l’optique de la preuve présentée par la défense. Par exemple, l’al. 276(3)a) mentionne la prise en considération du droit de l’accusé à une défense pleine et entière, facteur qui n’entre pas en jeu de la même façon dans le contexte de la preuve à charge.
Pour favoriser l’uniformité et la prévisibilité dans la gestion des procès pour infractions d’ordre sexuel, la procédure de common law régissant la preuve à charge concernant le passé sexuel doit correspondre au régime légal établi par l’art. 276 qui s’applique uniquement à l’accusé.
Sous réserve d’une seule modification, la procédure en deux étapes énoncée aux art. 278.93 et 278.94 du Code criminel fournit la structure fondamentale qui doit régir le processus d’admission de la preuve à charge concernant le passé sexuel.
[43] Pour favoriser l’uniformité et la prévisibilité dans la gestion des procès pour infractions d’ordre sexuel, la procédure de common law régissant la preuve à charge concernant le passé sexuel doit correspondre au régime légal établi par l’art. 276 qui s’applique uniquement à l’accusé. Il s’agit là d’une évolution graduelle appropriée de la common law qui sert les intérêts de la justice dans le contexte actuel du droit relatif aux agressions sexuelles. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt R. c. Salituro, 1991 CanLII 17 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 654, les juges doivent adapter progressivement la common law afin qu’elle « suive l’évolution et le dynamisme de la société » (p. 670). Sous réserve d’une seule modification, la procédure en deux étapes énoncée aux art. 278.93 et 278.94 du Code criminel fournit la structure fondamentale qui doit régir le processus d’admission de la preuve à charge concernant le passé sexuel.
[44] À titre d’observation préliminaire, la prudence doit guider au départ les juges appelés à décider s’il y a lieu de donner aux parties la directive d’entreprendre la procédure décrite ci‑après. Lorsqu’un juge n’est pas certain si un élément de preuve est une preuve concernant le passé sexuel présumée inadmissible, il doit obliger la partie qui souhaite produire cette preuve à présenter la demande appropriée pour qu’il soit décidé si le régime de filtrage s’applique (voir Barton, par. 78). Notre Cour a adopté une approche similaire dans J.J. à l’égard des décisions sur la question de savoir si un élément de preuve que l’on veut présenter constitue un « dossier » au sens de l’art. 278.1 du Code criminel(par. 104). Cette approche prudente est conforme à l’accent que met notre Cour sur le fait que les juges sont les « gardiens [. . .] de la preuve » dans les procès criminels et sont ultimement responsables de faire respecter les règles de preuve (Goldfinch, par. 75; voir aussi Barton, par. 68; R.V., par. 71). Un gardien diligent réduit au minimum le risque d’erreur et favorise la prévisibilité et l’efficience en évitant les longs débats sur la portée précise des divers régimes de filtrage qui s’appliquent aux procès pour infractions d’ordre sexuel.
La première étape
[45] Tout d’abord, le ministère public doit préparer une demande écrite énonçant toutes précisions utiles au sujet de la preuve en cause et le rapport de celle‑ci avec un élément de la cause (voir le par. 278.93(2)). Comme c’est le cas sous le régime de l’art. 276, l’affidavit joint à la demande écrite dans le cadre de l’analyse à la première étape peut être un « affidavit fait sur la foi de renseignements tenus pour véridiques » (Darrach, par. 53; D. Brown et J. Witkin, Prosecuting and Defending Sexual Offence Cases (3e éd. 2024), p. 412).
[46] Si le ministère public entend présenter une demande, il doit donner un avis raisonnable de son intention à l’accusé et au tribunal. Bien que cet avis soit généralement d’au moins sept jours, les juges peuvent exercer, dans l’intérêt de la justice, leurs pouvoirs de gestion de l’instance pour raccourcir ce délai (voir le par. 278.93(4)). Cet avis permet à l’accusé de se préparer, particulièrement dans les cas où il souhaite présenter sa propre demande fondée sur l’art. 276. Une telle demande sera nécessaire uniquement dans les cas où la défense souhaite présenter des éléments en sus de ce que le ministère public cherche à présenter (voir Brown et Witkin, p. 399).
[47] Comme l’a reconnu notre Cour dans R.V., la pratique exemplaire dans un tel cas consiste à examiner les demandes des parties en même temps. Non seulement cette approche permet‑elle de réduire les délais, mais également de faire en sorte que le juge ait une compréhension complète de la manière dont tous les éléments de preuve concernant le passé sexuel de la personne plaignante seront utilisés, ce qui est nécessaire pour apprécier correctement leur valeur probante et leur effet préjudiciable (par. 79). Par exemple, il est possible que, dans l’examen des deux demandes, le juge constate qu’en accueillant l’une d’elles il s’ensuivra que celle de l’autre partie concernant des précisions additionnelles sur le passé sexuel de la personne plaignante sera elle aussi accueillie. Dans de telles circonstances, le juge pourrait alors conclure que le fait d’accueillir les deux demandes causerait un préjudice global trop important pour que quelque élément de preuve proposé puisse être admis.
[48] Conformément aux indications données par la Cour au sujet du moment opportun pour présenter une demande fondée sur l’art. 276, le ministère public devrait généralement présenter sa demande avant le début du procès (J.J., par. 85; Goldfinch, par. 145). Cette pratique est préférable à la présentation, en cours d’instance, de demandes entraînant des ajournements, des délais et des difficultés relativement à l’établissement du calendrier qui ne servent les intérêts de personne (J.J., par. 86). Toutefois, il peut arriver que des demandes en cours d’instance soient nécessaires s’il survient un changement important des circonstances (Barton, par. 65; R.V., par. 75; J.J., par. 86).
[49] L’examen effectué à la première étape a pour but de décider s’il y a lieu de tenir une audience concernant la preuve, et de faciliter le rejet des demandes frivoles. Le juge doit se demander si le ministère public a respecté ses obligations procédurales et s’il y a des possibilités que la preuve en cause soit admissible (voir le par. 278.93(4)). Si ces conditions ne sont pas remplies, le juge n’est pas tenu de tenir une audience concernant la preuve. Un élément de preuve ne pourra pas être admissible lorsque la pertinence qu’on lui attribue fait entrer en jeu un raisonnement interdit fondé sur des mythes. Le juge peut aussi utiliser l’examen effectué à la première étape pour trancher définitivement la question de savoir si la preuve en cause constitue une preuve concernant le passé sexuel présumée inadmissible en vertu de l’art. 276 et de la common law (voir J.J., par. 28).
[50] Conformément à ses pouvoirs de gestion de l’instance, le juge a discrétion pour décider si l’examen effectué à la première étape prendra la forme d’une demande écrite, d’une audience ou les deux (J.J., par. 27). Indépendamment de l’approche adoptée, le jury et le public doivent être exclus (voir le par. 278.93(3)). Les juges présidant les procès sont autorisés par la common law à prononcer des ordonnances limitant la publicité des débats dans des circonstances exceptionnelles (voir Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, p. 857‑858; voir aussi Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, [2021] 2 R.C.S. 75, par. 38 et 63; R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 68‑70).
[51] Les instances de détermination de l’admissibilité de la preuve concernant le passé sexuel satisferont invariablement aux conditions préalables établies dans Sherman (Succession) pour justifier le prononcé d’une ordonnance d’exclusion du jury et du public. Le respect du principe de la publicité des débats judiciaires lors de l’examen de l’admissibilité pose un risque sérieux à l’égard de l’intérêt public important que constitue la protection des intérêts de la personne plaignante en matière de dignité et de vie privée (T.W.W., par. 74). C’est particulièrement vrai parce que les instances de détermination de l’admissibilité risquent d’exposer, au sujet du passé sexuel de la personne plaignante, des renseignements profondément personnels qui ne sont pas pertinents. Compte tenu de la nature de l’information susceptible d’être présentée, il n’existe aucune solution de rechange raisonnable au prononcé d’une ordonnance d’exclusion qui préviendrait le risque de préjudice aux intérêts de la personne plaignante. De même, les effets bénéfiques de l’ordonnance, par exemple favoriser la dénonciation des infractions d’ordre sexuel, l’emportent sur la restriction de la publicité des débats, restriction qui sera temporaire si la preuve proposée est en définitive admise.
La deuxième étape
[52] Lors de l’audience tenue à la deuxième étape, le juge détermine si la preuve du passé sexuel est admissible. Il doit décider si le ministère public a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve est en rapport avec un élément de la cause et que son effet préjudiciable ne l’emporte pas sur sa valeur probante. Comme nous l’avons vu, les facteurs énumérés au par. 276(3) doivent servir de guide pour structurer cette analyse. Tout comme pour l’examen effectué à la première étape, le jury et le public doivent être exclus pendant l’audience (voir le par. 278.94(1)). Pour les raisons exposées précédemment, les circonstances en question satisferont invariablement aux conditions préalables établies dans Sherman (Succession) pour justifier le prononcé d’une ordonnance d’exclusion du jury et du public.
[53] Contrairement à ce qui est le cas sous le régime de l’art. 276, la personne plaignante n’a pas automatiquement qualité pour présenter des observations lors d’une audience tenue à la deuxième étape relativement à l’admissibilité d’une preuve à charge concernant le passé sexuel. Étant donné que la position du ministère public et celle de la personne plaignante concordent souvent, le fait de permettre à la personne plaignante de présenter des observations à chaque audience concernant la preuve risque d’entraîner des dépenses et des délais inutiles (voir m. interv., procureur général de l’Alberta, par. 26). Cela dit, les juges continuent, dans l’exercice de leurs pouvoirs de gestion de l’instance, d’avoir discrétion pour reconnaître aux personnes plaignantes la qualité pour agir (J.J., par. 105). Lorsque la personne plaignante et le ministère public diffèrent d’opinions sur la question de l’admissibilité, il peut être particulièrement important de faire en sorte que la personne plaignante ait l’occasion d’être entendue (voir J.J., par. 178). De même, lorsqu’une demande du ministère public est entendue en même temps qu’une demande fondée sur l’art. 276, il y a lieu d’accorder à la personne plaignante la qualité pour agir relativement aux deux demandes.
[54] La personne plaignante n’est pas un témoin contraignable à l’audience tenue à la deuxième étape. Comme il a été expliqué dans l’arrêt Darrach, la réalisation de certains objectifs du régime serait compromise si les personnes plaignantes étaient contraintes à être interrogées au sujet de leur passé sexuel avant qu’il ait été statué sur l’admissibilité de cette preuve (par. 68). Une telle procédure porterait inutilement atteinte aux intérêts de la personne plaignante en matière de dignité et de vie privée, et découragerait la dénonciation des crimes de violence sexuelle (ibid.).
[55] En conséquence, il n’est pas nécessaire qu’un affidavit personnel de la personne plaignante soit déposé. Le ministère public conserve néanmoins toujours le fardeau de présenter un fondement probatoire suffisant pour permettre au juge de décider de l’admissibilité de la preuve concernant le passé sexuel. La preuve peut être produite par voie d’affidavit ou de témoignage de vive voix d’une autre personne qui a une connaissance personnelle du passé sexuel de la personne plaignante, ou par d’autres moyens, par exemple des transcriptions de l’enquête préliminaire et des déclarations sous serment à la police (R. c. Morris, 2024 ONSC 4155, 97 C.R. (7th) 35, par. 73‑74). Bien que ces solutions de rechange soient possibles, l’absence d’un affidavit personnel souscrit par la personne plaignante nuira souvent à la capacité du juge d’apprécier la pertinence et la valeur probante de la preuve proposée (voir R. c. T.A.H., 2019 BCSC 1614, 58 C.R. (7th) 148, par. 37).
[56] Au terme de l’audience tenue à la deuxième étape, le juge doit exposer les motifs au soutien de sa décision sur l’admissibilité (voir le par. 278.94(4); R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 10 et 14). S’il y a lieu d’admettre tout ou partie de la preuve, le juge doit expliquer précisément en quoi la preuve est en rapport avec un élément de la cause et comment il en a apprécié la valeur probante et l’effet préjudiciable au regard des facteurs énumérés au par. 276(3).
[57] Le juge peut, soit de sa propre initiative soit à la demande de l’une ou l’autre des parties, revoir cette décision sur l’admissibilité en cas de changement important des circonstances, par exemple lorsque la déposition d’un témoin évolue au cours du procès (T.W.W., par. 51).
Les considérations additionnelles
[58] Durant la procédure susmentionnée, le juge du procès doit exercer d’une manière conforme à l’art. 278.95 du Code criminel son pouvoir de prononcer des ordonnances de non‑publication. Comme c’est le cas en application des par. 278.93(3) et 278.94(1), le juge qui exerce les pouvoirs que lui confère la common law pour limiter la publicité des débats judiciaires conformément à cette disposition législative respecte les conditions énoncées dans Sherman (Succession).
[59] En conséquence, le contenu de la demande du ministère public ne doit pas être publié, transmis ou diffusé de quelque façon que ce soit. La même règle s’applique à tout ce qui est dit ou déposé à l’occasion de l’examen effectué à la première étape et de l’audience tenue à la deuxième étape. La décision rendue par le juge au terme de l’examen effectué à la première étape peut être publiée après considération du droit à la vie privée de la personne plaignante et des intérêts de la justice. La décision rendue par le juge du procès à la suite de l’audience tenue à la deuxième étape, ainsi que les motifs de cette décision, ne doivent pas être publiés sauf si certains éléments de preuve sont jugés admissibles ou dans des situations où le juge estime que les motifs doivent être rendus publics après avoir pris en considération le droit à la vie privée de la personne plaignante et les intérêts de la justice.
[60] Enfin, comme il a été dit dans Seaboyer, si le juge conclut que tout ou partie de la preuve à charge concernant le passé sexuel est admissible dans un procès devant jury, le juge doit donner au jury des directives restrictives sur les utilisations permises ou non permises de cette preuve (p. 636).
L’inactivité sexuelle de la personne plaignante peut être utilisée comme preuve de moralité qui invite le juge des faits à conclure que, parce que la plaignante est sexuellement inactive, (1) elle a une propension à ne pas consentir et elle est en conséquence moins susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle à l’origine de l’accusation; et (2) elle est davantage digne de foi.
[71] La présente affaire présente à notre Cour une autre forme de preuve concernant le passé sexuel capable d’évoquer d’autres mythes et stéréotypes au sujet des personnes qui portent plainte pour agression sexuelle. Une preuve d’inactivité sexuelle peut évoquer un raisonnement fondé sur les deux mythes inverses. L’inactivité sexuelle de la personne plaignante peut être utilisée comme preuve de moralité qui invite le juge des faits à conclure que, parce que la plaignante est sexuellement inactive, (1) elle a une propension à ne pas consentir et elle est en conséquence moins susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle à l’origine de l’accusation; et (2) elle est davantage digne de foi.
[72] Ce qui distingue cette forme de raisonnement fondé sur des mythes est qu’elle a pour effet de renforcer le témoignage de la personne plaignante aux dépens de l’accusé. Il s’ensuit que ce raisonnement est davantage susceptible d’être évoqué par le ministère public, plutôt que par la défense. C’est ce qu’a fait en l’espèce le procureur du ministère public au procès. Pendant sa plaidoirie finale, le procureur du ministère public a explicitement parlé de la virginité de la plaignante en tant que considération tendant à indiquer que la version des faits de M. Kinamore n’était pas plausible (d.a., p. 262).
[73] Le fait que le raisonnement fondé sur les deux mythes inverses serve à renforcer le témoignage de la personne plaignante et à miner la position de l’accusé n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il est permis. Cette forme de raisonnement n’est pas permise en droit, parce qu’elle demeure fondée sur de fausses présomptions concernant les personnes qui portent plainte pour agression sexuelle. Comme il a été dit dans Kruk, « le recours aux stéréotypes, prenant leur source dans une inégalité de traitement, n’est certainement pas juste un problème pour les personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle. Le raisonnement stéréotypé fondé sur le type d’inégalité de traitement qui est au cœur des mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle est susceptible d’avoir une incidence sur le témoignage de tous les témoins dans tous les procès » (par. 54 (je souligne)).
[74] Le raisonnement fondé sur les deux mythes inverses s’appuie fondamentalement sur des idées discriminatoires au sujet de la [traduction] « victime idéale » d’agressions sexuelles (Mazzuca, p. 170). Comme l’a expliqué la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Seaboyer(dissidente, mais non sur ce point), le fait de cataloguer les femmes comme des vierges ou des [traduction] « madones » a longtemps incité les policiers, les jurés et les juges à percevoir les plaignantes dans des affaires d’agression sexuelle comme étant des victimes « idéale[s] » et en conséquence dignes de foi (p. 652‑656). Ces notions concernant la « victime idéale » ont pour effet de renforcer l’idée préjudiciable que les personnes plaignantes sexuellement actives qui n’entrent pas dans le champ d’application de ce paradigme n’ont pas droit à la protection de la loi (voir M. Randall, « Sexual Assault Law, Credibility, and “Ideal Victims” : Consent, Resistance, and Victim Blaming » (2010), 22 R.F.D. 397, p. 414). Notre Cour ne saurait tolérer que quelque partie que ce soit évoque des mythes et des stéréotypes au sujet des personnes qui portent plainte pour agression sexuelle. Permettre à une partie de le faire aurait pour conséquence d’enraciner davantage ces croyances discriminatoires dans notre système de justice criminelle et, par extension, de fausser la fonction de recherche de la vérité des procès.
Lorsque le ministère public s’appuie sur ces mythes et stéréotypes, ceux‑ci risquent de miner le droit d’un accusé « de n’être déclaré coupable que sur la foi d’une preuve se rapportant directement à l’accusation en cause ».
[75] Parce que le filtrage de la preuve d’inactivité sexuelle aide à éliminer les mythes et stéréotypes au sujet des personnes qui portent plainte pour agression sexuelle, la réalisation du deuxième objectif de ces règles d’exclusion — protéger le droit de l’accusé à un procès équitable — est elle aussi favorisée. Les mythes et stéréotypes au sujet des personnes qui portent plainte pour agression sexuelle minent l’équité du procès en faussant sa fonction de recherche de la vérité (R. c. Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 668, par. 119; J.J., par. 162;Kruk, par. 43). Lorsque le ministère public s’appuie sur ces mythes et stéréotypes, ceux‑ci risquent de miner le droit d’un accusé « de n’être déclaré coupable que sur la foi d’une preuve se rapportant directement à l’accusation en cause » (Corbett, p. 697). En conséquence, les juges qui président les procès doivent écarter la preuve d’inactivité sexuelle conformément à l’« impératif constitutionnel » requérant l’exclusion des éléments de preuve qui entraîneraient un procès inéquitable pour l’accusé (R. c. Harrer, 1995 CanLII 70 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 562, par. 24).
Les conclusions de portée générale voulant que certaines formes de preuves ne soient pas pertinentes devraient être évitées.
[81] En statuant que la preuve d’inactivité sexuelle est présumée inadmissible, je tiens à réitérer que cette preuve n’est pas écartée de façon catégorique. La présomption a uniquement pour fonction d’éliminer les raisonnements discriminatoires. Comme le souligne la professeure Lisa Dufraimont, [traduction] « [l]es conclusions de portée générale voulant que certaines formes de preuves ne soient pas pertinentes devraient être évitées. [. . .] [L]es mythes et stéréotypes au sujet des agressions sexuelles sont à juste titre considérées comme des déductions prohibées » (« Myth, Inference and Evidence in Sexual Assault Trials » (2019), 44 Queen’s L.J.316, p. 346).
Dans certaines circonstances, les indications antérieures de désintérêt sexuel envers l’accusé exprimées par la personne plaignante dans les instants ayant précédé l’agression alléguée peuvent être admissibles en vertu de l’exception à la règle du ouï‑dire relative aux déclarations d’intention existante et peuvent être utilisées comme preuve circonstancielle relativement à la question du consentement. Le même principe s’applique en ce qui a trait aux indications antérieures d’intérêt sexuel émanant de la personne plaignante.
Un raisonnement similaire peut aussi rendre admissibles les indications antérieures d’intérêt ou de désintérêt sexuel émanant de la plaignante en tant que preuve circonstancielle de sa capacité à consentir, y compris son aptitude à comprendre les quatre critères énumérés dans G.F.
Dans chacune de ces circonstances, la caractéristique pertinente de la preuve concernant le passé sexuel est la déclaration d’intention, et non la nature sexuelle ou l’absence de nature sexuelle de la preuve.
La force probante de déclarations d’intention antérieures dépend entre autres de leur degré de spécificité et de leur proximité temporelle par rapport à l’agression alléguée.
[82] Comme l’a clairement indiqué notre Cour dans Darrach,« [l]es termes “déduire du caractère sexuel de cette activité” à l’art. 276sont une précision du législateur que les déductions qui sont interdites sont celles qui sont faites à partir du caractère sexuel de l’activité et non pas celles qui sont faites à partir d’autres caractéristiques éventuellement pertinentes de cette activité » (par. 35 (soulignement dans l’original)). Un principe similaire s’applique à la preuve d’inactivité sexuelle. Certaines caractéristiques de la preuve d’inactivité sexuelle peuvent être pertinentes et utilisées à bon escient; ce sont uniquement les déductions basées sur un raisonnement fondé sur les deux mythes inverses ou des formes analogues de raisonnement discriminatoire qui sont interdites.
[82] Comme l’a clairement indiqué notre Cour dans Darrach,« [l]es termes “déduire du caractère sexuel de cette activité” à l’art. 276sont une précision du législateur que les déductions qui sont interdites sont celles qui sont faites à partir du caractère sexuel de l’activité et non pas celles qui sont faites à partir d’autres caractéristiques éventuellement pertinentes de cette activité » (par. 35 (soulignement dans l’original)). Un principe similaire s’applique à la preuve d’inactivité sexuelle. Certaines caractéristiques de la preuve d’inactivité sexuelle peuvent être pertinentes et utilisées à bon escient; ce sont uniquement les déductions basées sur un raisonnement fondé sur les deux mythes inverses ou des formes analogues de raisonnement discriminatoire qui sont interdites.
[83] L’arrêtR.V. constitue un exemple utile de la façon dont une preuve d’inactivité sexuelle peut être produite à des fins permises. Dans cette affaire, le ministère public avait introduit une preuve médicale pour démontrer que la plaignante était tombée enceinte à l’époque de l’agression alléguée. Cette preuve a été produite pour appuyer le témoignage de la plaignante que l’agression avait été la cause de la grossesse et pour réfuter l’affirmation de l’accusé qu’aucune activité sexuelle n’avait eu lieu. Cependant, parce que la plaignante avait mis fin à la grossesse, un test génétique de paternité était devenu impossible, créant ainsi une lacune dans la preuve relativement à l’identité de celui qui avait causé la grossesse à l’époque pertinente. Pour aider à combler cette lacune, la plaignante a témoigné qu’elle était vierge au moment de l’agression.
[84] Cette preuve de virginité a en conséquence été utilisée pour prouver que l’accusé avait commis un élément de l’actus reus (le contact sexuel) en invitant le juge des faits à déduire que seul l’accusé pouvait être la cause de la grossesse. La preuve d’inactivité sexuelle n’a pas été produite au soutien d’un raisonnement fondé sur les deux mythes inverses. Le ministère public n’a pas plaidé que, parce que la plaignante était vierge, elle avait une propension à ne pas consentir et était de ce fait moins susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question, ou elle était par ailleurs davantage digne de foi. La caractéristique pertinente de la preuve d’inactivité sexuelle était le moment de l’inactivité.
[85] La preuve d’inactivité sexuelle peut également être utilisée à d’autres fins admissibles. Dans certaines circonstances, les indications antérieures de désintérêt sexuel envers l’accusé exprimées par la personne plaignante dans les instants ayant précédé l’agression alléguée peuvent être admissibles en vertu de l’exception à la règle du ouï‑dire relative aux déclarations d’intention existante et peuvent être utilisées comme preuve circonstancielle relativement à la question du consentement. Le même principe s’applique en ce qui a trait aux indications antérieures d’intérêt sexuel émanant de la personne plaignante (voir R. c. Reimer, 2024 ONCA 519, 173 O.R. (3d) 412, par. 75‑83; voir aussi R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 29). Un raisonnement similaire peut aussi rendre admissibles les indications antérieures d’intérêt ou de désintérêt sexuel émanant de la plaignante en tant que preuve circonstancielle de sa capacité à consentir, y compris son aptitude à comprendre les quatre critères énumérés dans G.F.,par. 57 (voir aussi R. c. Garciacruz, 2015 ONCA 27, 320 C.C.C. (3d) 414, par. 69). Dans chacune de ces circonstances, la caractéristique pertinente de la preuve concernant le passé sexuel est la déclaration d’intention, et non la nature sexuelle ou l’absence de nature sexuelle de la preuve. Cela dit, l’admissibilité de ce type de preuve doit être traitée avec soin et ne devrait jamais se voir accorder un poids déterminant. Les juges présidant les procès doivent demeurer attentifs à la valeur probante de la preuve et à ses effets préjudiciables potentiellement élevés. La force probante de déclarations d’intention antérieures dépend entre autres de leur degré de spécificité et de leur proximité temporelle par rapport à l’agression alléguée. Comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, une déclaration d’intention peut appuyer l’inférence selon laquelle le déclarant a donné suite à la façon dont il comptait agir seulement si « la preuve perme[t] raisonnablement au juge des faits de déduire que le déclarant l’a fait » (par. 169).
Comme c’est le cas pour toutes les autres formes de preuve concernant le passé sexuel, il incombe à la partie qui souhaite produire la preuve d’inactivité sexuelle d’identifier avec précision, au moyen de déductions permises, en quoi la preuve est en rapport avec un élément litigieux de la cause.
[86] Les fins permises à l’égard desquelles la preuve d’inactivité sexuelle peut être produite doivent être identifiées avec soin. Comme c’est le cas pour toutes les autres formes de preuve concernant le passé sexuel, il incombe à la partie qui souhaite produire la preuve d’inactivité sexuelle d’identifier avec précision, au moyen de déductions permises, en quoi la preuve est en rapport avec un élément litigieux de la cause. Lorsque la preuve est en rapport avec le contexte ou la crédibilité, la preuve ne doit pas simplement « permettre de façon générale » de miner ou de renforcer la crédibilité de la personne plaignante ou d’ajouter du contexte utile aux circonstances de l’affaire afin qu’elle ait une force probante suffisante pour l’emporter sur son effet préjudiciable inhérent (T.W.W., par. 27). En conséquence, la preuve « doit répondre à une question précise au procès qui ne pourrait être examinée ou résolue en son absence » (ibid.).
Lorsqu’un appel découle d’un procès devant juge seul, afin qu’une telle erreur soit traitée comme inoffensive, le ministère public doit démontrer que la preuve concernant le passé sexuel présumée inadmissible n’a joué aucun rôle important dans les motifs du juge du procès déclarant l’accusé coupable.
[91] Je ne crois pas que le ministère public s’est acquitté de son fardeau de persuasion. L’argument du ministère public selon lequel l’erreur de la juge du procès était inoffensive parce que cette preuve aurait été jugée admissible revient à demander à notre Cour de formuler des hypothèses concernant les aspects de ces éléments de preuve qui auraient été admis et à quelles fins. Comme l’a dit notre Cour dans Barton, il serait « à la fois malavisé et pratiquement impossible » de le faire (par. 84).Lorsqu’un appel découle d’un procès devant juge seul, afin qu’une telle erreur soit traitée comme inoffensive, le ministère public doit démontrer que la preuve concernant le passé sexuel présumée inadmissible n’a joué aucun rôle important dans les motifs du juge du procès déclarant l’accusé coupable (R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485, par. 15‑19; R. c. Leaney, 1989 CanLII 28 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 393, p. 415‑416; voir aussi R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 30). En l’espèce, les motifs de la juge du procès regorgeaient de mentions de la preuve présumée inadmissible.
*Mes notes :
1. « L’emporte sensiblement sur »
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Cela signifie que l’écart entre les deux (préjudice vs valeur probante) doit être marqué, important, non négligeable.
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En d’autres mots, un léger déséquilibre ne suffit pas pour exclure la preuve.
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Seuil plus élevé : la preuve peut être admise même si elle cause un certain préjudice, tant que ce préjudice n’est pas nettement supérieur à sa valeur probante.
2. « L’emporte simplement sur »
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Cela signifie qu’il suffit que le préjudice dépasse de peu la valeur probante pour que la preuve soit inadmissible.
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Seuil plus bas : la preuve est exclue dès qu’elle cause plus de tort que de bénéfice, même si c’est à peine plus.