R. c. R.V., 2021 CSC 10

Dans un appel portant sur des verdicts incompatibles, le critère servant à déterminer si le verdict d’un jury est déraisonnable est le suivant : « les verdicts sont‑ils à ce point inconciliables qu’aucun jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve? » (Pittiman, par. 10).

Autrement dit, une déclaration de culpabilité est déraisonnable et doit être annulée si les verdicts ne peuvent pas être conciliés pour quelque motif rationnel ou logique, et si aucun jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve

[28] Le Code criminel n’indique pas expressément que des verdicts incompatibles constituent un motif d’annulation d’une déclaration de culpabilité. Pour qu’une cour d’appel puisse modifier un verdict de culpabilité au motif qu’il est incompatible avec un acquittement, elle doit conclure qu’il est déraisonnable (R. c. Pittiman, 2006 CSC 9, [2006] 1 R.C.S. 381, par. 6, citant le Code criminel, sous‑al. 686(1)a)(i)). Il incombe à l’accusé de démontrer qu’un verdict est déraisonnable (Pittiman, par. 6).

[29] Dans un appel portant sur des verdicts incompatibles, le critère servant à déterminer si le verdict d’un jury est déraisonnable est le suivant : « les verdicts sont‑ils à ce point inconciliables qu’aucun jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve? » (Pittiman, par. 10). Autrement dit, une déclaration de culpabilité est déraisonnable et doit être annulée si les verdicts ne peuvent pas être conciliés pour quelque motif rationnel ou logique, et si aucun jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve (R. c. McShannock (1980), 1980 CanLII 2973 (ON CA), 55 C.C.C. (2d) 53 (C.A. Ont.), p. 56; Pittiman, par. 6‑7).

[30] Lorsque des verdicts ne peuvent pas être conciliés et qu’un jury ayant reçu des directives appropriées prononce une déclaration de culpabilité qui n’est pas étayée par la preuve présentée au procès, la seule inférence possible est que le jury a agi de façon déraisonnable pour en arriver à ce verdict (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 39). Il se peut que le jury ait rendu un verdict de compromis, qu’il ait mal interprété la preuve ou qu’il ait prononcé une annulation en choisissant de ne pas appliquer la loi –– toutes ces voies menant à des verdicts incompatibles indiquent que le jury a agi de façon déraisonnable. Dans de tels cas, la déclaration de culpabilité elle‑même est déraisonnable et l’intervention d’une cour d’appel est justifiée.

[31] Ultimement, la cour d’appel doit déterminer si les verdicts sont réellement incompatibles. Des verdicts apparemment incompatibles peuvent être conciliés au motif que les infractions elles‑mêmes « n’ont pas été commises en même temps ou parce qu’elles diffèrent sur le plan qualitatif ou dépendent de la crédibilité de divers plaignants ou témoins » (Pittiman, par. 8). Si les verdicts sont conciliés de manière à révéler une thèse sur laquelle le jury aurait pu s’appuyer pour les rendre sans agir de façon déraisonnable, les verdicts sont alors compatibles et l’intervention de la cour d’appel n’est pas justifiée.

[32] À mon avis, il existe aussi des cas, comme en l’espèce, où la Couronne peut concilier des verdicts apparemment incompatibles au motif qu’ils découlent d’une erreur de droit dans les directives données au jury. Dans de tels cas, je propose la démarche suivante.

Lorsque la Couronne tente de réfuter une allégation d’incompatibilité apparente au motif qu’une erreur de droit a été commise, le fardeau passe de l’accusé à la Couronne. Ce fardeau est lourd. La Couronne doit convaincre le tribunal avec une certitude élevée que les directives au jury comportent une erreur de droit et que cette erreur :

(1) a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement;

(2) n’a pas eu d’incidence sur la déclaration de culpabilité;

(3) concilie les verdicts incompatibles en démontrant que le jury n’a pas déclaré l’accusé à la fois coupable et non coupable des mêmes actes.

[33] Lorsque la Couronne tente de réfuter une allégation d’incompatibilité apparente au motif qu’une erreur de droit a été commise, le fardeau passe de l’accusé à la Couronne. Ce fardeau est lourd. La Couronne doit convaincre le tribunal avec une certitude élevée que les directives au jury comportent une erreur de droit et que cette erreur :

(1) a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement;

(2) n’a pas eu d’incidence sur la déclaration de culpabilité;

(3) concilie les verdicts incompatibles en démontrant que le jury n’a pas déclaré l’accusé à la fois coupable et non coupable des mêmes actes.

[34] Si le tribunal peut conclure que ces éléments ont été établis avec une certitude élevée, les verdicts ne sont pas réellement incompatibles. L’erreur de droit a plutôt amené le jury à déclarer l’accusé coupable en s’appuyant sur des éléments de preuve différents ou sur un élément qui était différent de celui qu’il croyait nécessaire pour l’accusation à l’égard de laquelle il a rendu un verdict d’acquittement. Il a donc été remédié à toute incompatibilité apparente des verdicts, car le jury n’a pas déclaré l’accusé à la fois coupable et non coupable des mêmes actes. Il s’ensuit que le jury n’a pas agi de façon déraisonnable en rendant ses verdicts.

[35] Pour déterminer si la Couronne s’est acquittée de son fardeau, le tribunal ne doit pas se livrer à des conjectures inappropriées au sujet de ce que le jury a fait et n’a pas fait. La cour d’appel doit pouvoir reconstituer le raisonnement du jury avec une certitude suffisamment élevée pour exclure toutes les autres explications raisonnables quant à la manière dont le jury a rendu ses verdicts. Si c’est le cas, toute préoccupation relative à des conjectures disparaît.

[36] Cette approche respecte le principe de la déférence dont il convient habituellement de faire preuve à l’égard de la présomption de raisonnabilité du jury en ce qu’elle invite à se demander si « les [verdicts apparemment incompatibles] peuvent s’appuyer sur une théorie de la preuve compatible avec les directives juridiques données par le juge du procès » (Pittiman, par. 7). Lorsque la déclaration de culpabilité est étayée par la preuve, comme cela doit toujours être le cas, et que les verdicts ne sont pas réellement incompatibles, l’inscription d’une déclaration de culpabilité contre l’accusé par le jury n’est pas déraisonnable et l’appel de ce verdict devrait être rejeté. Le jury n’agit pas de façon irrégulière en s’appuyant sur une erreur de droit commise par le juge du procès. En d’autres termes, la cour d’appel conclut simplement que le jury a agi raisonnablement eu égard à la preuve et aux directives dont il disposait. La déclaration de culpabilité est donc raisonnable et l’intervention de la cour d’appel n’est pas justifiée.

Les juges présidant les procès devraient éviter de recourir à des modèles de directives qui emploient le mot « force » relativement à l’agression sexuelle et le mot « toucher » relativement aux contacts sexuels et à l’incitation à des contacts sexuels, car de telles directives favorisent la confusion et un raisonnement erroné.

[64] Je suis conscient que la juge du procès s’est fondée sur un modèle de directives. Il est compréhensible que les juges présidant les procès s’appuient fortement sur de tels modèles. Toutefois, ceux‑ci ne sont pas universels : ils doivent être adaptés pour tenir compte des particularités de chaque affaire (R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3, par. 48‑50; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 51‑52; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 13). Si les modèles de directives sont inapplicables aux faits ou au droit en cause, ils doivent être adaptés. Plus particulièrement, les juges présidant les procès doivent se garder de proposer au jury des verdicts inappropriés au vu de la preuve (R. c. Haughton (1992), 1992 CanLII 7752 (ON CA), 11 O.R. (3d) 621 (C.A.), p. 625, conf. par 1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516). En outre, les juges présidant les procès devraient éviter de recourir à des modèles de directives qui emploient le mot « force » relativement à l’agression sexuelle et le mot « toucher » relativement aux contacts sexuels et à l’incitation à des contacts sexuels, car de telles directives favorisent la confusion et un raisonnement erroné. Pour ces motifs, même si elle s’est appuyée sur un modèle de directives, la juge du procès n’était pas à l’abri d’une erreur de droit.

Il incombe à la Couronne, à titre d’actrice du système de justice, d’alléger le procès, et non de le rendre plus onéreux.

[78] Il incombe à la Couronne, à titre d’actrice du système de justice, d’alléger le procès, et non de le rendre plus onéreux. La Couronne échoue à cet égard lorsqu’elle intente un procès sur des chefs d’accusation qui se chevauchent. En procédant ainsi, non seulement elle prolonge la durée du procès, mais elle alourdit aussi le fardeau imposé au juge du procès et au jury en augmentant, comme elle le fait, la complexité des directives adressées au jury (Rodgerson, par. 46). La rédaction des directives au jury est une tâche difficile. Le juge du procès doit veiller à rédiger des directives à la fois complètes et compréhensibles, malgré les ressources limitées et les contraintes de temps (Rodgerson, par. 50).

[79] De plus, comme l’ont fait observer les juges majoritaires de la Cour d’appel, avec raison selon moi, le fait que la Couronne intente un procès sur des chefs d’accusation qui se chevauchent, dans les cas comme celui qui nous occupe, ouvre la porte à des verdicts incompatibles. Un tel chevauchement est particulièrement illogique lorsque, comme en l’espèce, l’arrêt Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729, de notre Cour, entraînera l’arrêt des procédures pour au moins un des chefs d’accusation à l’étape de la détermination de la peine. Le cadre que j’ai décrit offre une solution au problème que présentent les verdicts incompatibles, mais la solution idéale serait que la Couronne évite de multiplier inutilement les chefs d’accusation (Rodgerson, par. 45).