R. c. Brunelle, 2024 CSC 3

L’arrêt des procédures ne sera ordonné que dans l’éventualité où la situation satisfait au critère exigeant qui requiert qu’elle fasse partie des « cas les plus manifestes ».

[29] Lorsqu’un abus de procédure est constaté, peu importe la catégorie dont il relève, et qu’une garantie de la Charte est violée, le par. 24(1) de la Charte confère au tribunal compétent le pouvoir d’accorder « la réparation [qu’il] estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Un large éventail de réparations s’offre au tribunal (voir, p. ex., O’Connor, par. 77). Toutefois, l’arrêt des procédures est de loin la réparation la plus sollicitée par les personnes victimes d’abus de procédure. Ayant été qualifiée d’« ultime réparation » (Tobiass, par. 86), l’arrêt des procédures ne sera ordonné que dans l’éventualité où la situation satisfait au critère exigeant qui requiert qu’elle fasse partie des « cas les plus manifestes » (O’Connor, par. 69). Pour qu’il s’agisse d’un tel cas, trois conditions doivent être réunies :

(1)   il doit y avoir une atteinte au droit de la personne accusée à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue » (Regan, par. 54; Babos, par. 32);

(2)   il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte (Regan, par. 54; Babos, par. 32);

(3)   s’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond », d’autre part (Regan, par. 57; Babos, par. 32).

L’intérêt pour agir est considéré comme suffisant dans le cadre d’une demande présentée en vertu du par. 24(1) lorsque la personne accusée allègue que l’un ou l’autre des droits qui lui sont garantis par la Charte a été violé.

[44] La Cour a interprété ce texte et considéré qu’il signifie que l’intérêt requis pour demander une réparation en vertu du par. 24(1) est acquis lorsqu’une personne « allègue une atteinte à ses propres droits constitutionnels » (R. c. Albashir, 2021 CSC 48, par. 33; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 61; voir aussi R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 55; R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, p. 619; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 313). En d’autres mots, l’intérêt pour agir d’une personne sera jugé suffisant seulement si celle-ci allègue être victime d’une violation de l’un ou l’autre des droits qui lui sont garantis par la Charte.

[46] En effet, en matière d’intérêt pour agir, l’accent est mis sur les allégations de la personne qui sollicite une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Ces allégations doivent énoncer les éléments essentiels qui devront être démontrés afin d’établir la violation d’au moins un des droits garantis par la Charte à la partie demanderesse. Si elles le font, l’intérêt requis pour demander une réparation en vertu du par. 24(1) est acquis.