La ligne entre l’intoxication et l’incapacité est difficile à tracer : « [m]ere proof of drunkenness, loss of inhibitions, regret for a bad decision, or some memory loss do not on their own negate capacity for consent, but neither does the ability to walk a short distance, make a phone call, speak, and recall some events necessarily preclude a finding of incapacity ».
[64] Il est vrai que la ligne entre l’intoxication et l’incapacité est difficile à tracer[40] : « [m]ere proof of drunkenness, loss of inhibitions, regret for a bad decision, or some memory loss do not on their own negate capacity for consent, but neither does the ability to walk a short distance, make a phone call, speak, and recall some events necessarily preclude a finding of incapacity »[41]. Il est aussi vrai qu’une preuve d’expert peut être utile, et parfois nécessaire, afin d’établir l’incapacité à consentir à une relation sexuelle dans un contexte d’intoxication, mais cette preuve n’est pas formellement requise[42].
[65] En l’espèce, la plaignante ne se souvient pas d’avoir exprimé son refus à l’appelant, tout comme elle ne se souvient pas des évènements postérieurs au départ de son amie C… P…. Dans un tel cas, il est possible que l’absence de consentement subjectif puisse s’inférer de la preuve circonstancielle[43]. Comme il a été exprimé clairement dans l’arrêt G.F. :
On ne peut trancher la question de l’incapacité en se demandant si la plaignante se souvient des faits ou non. La question ultime de la capacité doit reposer sur la nature subjective du consentement. Il ne s’agit pas de savoir si la plaignante se souvenait de l’agression, si elle avait conservé ses habiletés motrices ou si elle était capable de marcher ou de parler; il faut se demander si la plaignante comprenait l’activité sexuelle et si elle comprenait qu’elle pouvait refuser d’y prendre part.[44]
[66] C’est à partir d’une telle preuve circonstancielle que le premier juge a conclu que la plaignante n’avait pas donné son consentement. Bien qu’elle n’ait pas le souvenir d’avoir refusé les rapports sexuels, il rappelle qu’elle a témoigné qu’elle avait un souci de ne pas avoir de relations sexuelles comportant une pénétration vaginale si elle avait toujours ses règles mais qu’elle avait trouvé son tampon enfoncé en elle le lendemain matin, qu’elle a témoigné à plus d’une occasion qu’elle n’était pas disposée à avoir des rapports sexuels ce soir-là, qu’elle n’avait jamais par le passé ramené de garçon chez ses parents et qu’elle n’aurait pas trompé son conjoint. La Cour doit déférence à cette appréciation des faits.
[67] Quant au degré d’intoxication de la plaignante et à son effet sur sa capacité à donner son consentement, la conclusion du juge prend appuie sur sa consommation importante d’alcool à laquelle il ajoute l’ensemble des faits qu’il relate en détail en relation avec le comportement de la plaignante au fil de la soirée; l’ensemble de ces éléments l’ont, en fin de compte, amené à conclure qu’elle ne pouvait avoir donné son consentement. Or, la capacité de la plaignante est une conclusion de fait. L’appelant devait montrer que cette conclusion est le fruit d’une erreur manifeste et déterminante[45], et non qu’un autre juge aurait pu conclure différemment.
[68] Quant au moyen voulant que le juge ait erré en droit en concluant que la preuve ne donnait pas ouverture à une défense de croyance sincère mais erronée au consentement, le juge Moldaver indique l’analyse qui doit être faite :
[90] Pour les besoins de la mens rea, particulièrement pour l’application de la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, la notion de « consentement » signifie « que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé » (Ewanchuk, par. 49). Par conséquent, l’analyse porte à cette étape sur l’état d’esprit de l’accusé; la question est alors de savoir si l’accusé croyait sincèrement « que le plaignant avait vraiment dit “oui” par ses paroles, par ses actes, ou les deux » (ibid., par. 47).[46]
[69] L’appelant a témoigné qu’au moment des évènements, la plaignante pouvait « parler, marcher et réfléchir logiquement » et qu’elle a participé activement à tous leurs rapports sexuels. Ainsi, plaide-t-il, sa version des faits, lesquels étaient grandement semblables à ceux de l’arrêt Esau[47], devait, comme la Cour suprême l’a établi, être tenue pour avérée lors de l’analyse de la vraisemblance de sa défense d’erreur quant au consentement de la plaignante.
[70] Ce moyen d’appel n’est pas bien fondé. Dans Esau, la seule question examinée par la Cour suprême portait sur le rôle du juge et sur le fardeau de l’appelant qui souhaite présenter une telle défense d’erreur au jury. La Cour énonce qu’afin de déterminer s’il doit la soumettre au jury, le juge doit conclure, en prenant les faits pour avérés, qu’elle a un air de vraisemblance. Si tel est le cas, cette défense devra être présentée au jury qui aura alors la tâche de juger la crédibilité des témoins.
[71] En l’espèce, puisque le procès se tenait devant un juge seul, celui-ci n’avait pas « besoin d’épiloguer sur le critère de la vraisemblance et [pouvait] aller directement à l’analyse de la preuve »[48]. C’est ce qu’il a fait en renvoyant à son analyse du témoignage de l’appelant, qu’il avait rejeté, et qui constituait le seul appui qui aurait pu conférer une vraisemblance à ce moyen de défense[49]. Rien, alors, ne l’obligeait à refaire cette même analyse pour statuer sur le fond de cette défense.
Bien que dans certaines circonstances les déclarations antérieures compatibles puissent être admissibles en tant que partie intégrante du récit des faits, elles sont en règle générale inadmissibles et sont exclues principalement parce qu’elles n’ont pas de force probante et constituent du ouï‑dire lorsqu’elles sont utilisées afin de démontrer la véracité de leur contenu.
[86] Comme la Cour suprême le rappelait dans R. c. Dinardo[58], bien que dans certaines circonstances les déclarations antérieures compatibles puissent être admissibles en tant que partie intégrante du récit des faits, elles sont en règle générale inadmissibles et sont exclues principalement parce qu’elles n’ont pas de force probante et constituent du ouï‑dire lorsqu’elles sont utilisées afin de démontrer la véracité de leur contenu.
[87] En l’espèce, le poursuivant s’est abstenu d’interroger M. C…sur ce que la plaignante lui avait déclaré lors de l’appel téléphonique. De son côté, la défense pouvait certainement l’interroger à ce sujet, mais si les réponses alors données faisaient ressortir une contradiction entre la déclaration sous serment donnée par la plaignante et une déclaration antérieure faite par elle à un tiers, le juge se devait d’appliquer le principe de Browne c. Dunn afin d’éviter que le témoin soit piégé par un interrogatoire incomplet et d’assurer que l’équité du procès soit respectée[59]. Comme le rappelle le juge Healy dans l’arrêt Chandroo :
[21] While an appropriate remedy for a breach of the principle in Browne v. Dunn lies within the discretion of the trial judge, the most preferable remedy is one that will cause the least prejudice to the parties. There can be no fixed rule in this respect but some general observations can be made. First, trial judges should raise with the parties any apprehended breach of the principle even if no formal objection is raised by the opposing party. Second, if a breach is found, the trial judge should discuss the issue and possible remedies with the parties and, obviously, in a trial by jury this discussion should take place in the absence of the jury. Third, the most appropriate remedy will be the one that best corrects the effect of the omission by the party in breach. In most instances that remedy will likely be to recall the witness who was not confronted in cross-examination. Otherwise the judge would be prudent to allow the party in breach to proceed but with a strong caution that the trier of fact will be instructed to consider the breach in the assessment of the evidence.[60]
[Soulignements ajoutés]
[88] Cela dit, la présente affaire n’est pas un cas typique de l’application du principe de Browne v. Dunn. En effet, contrairement à la plupart des cas analysés dans la doctrine et la jurisprudence, l’appelant ne soutient pas ici que le juge a omis de soulever le principe alors qu’il était nécessaire de le faire ou que la réparation accordée était inéquitable à son égard. Il reproche plutôt au juge d’avoir lui-même soulevé le principe et proposé une façon d’y remédier, ce qui constitue, selon lui, une erreur du juge justifiant l’intervention de notre Cour.
[89] Or, même s’il était erroné de soulever l’application du principe, ce que je ne crois pas, le fait de réinterroger la plaignante n’a pas eu d’effet sur l’équité du procès ni modifié les éléments dont le juge pouvait tenir compte dans sa décision. L’appelant a pu utiliser les différences entre les souvenirs de la plaignante et ceux de M. C… comme arguments dans sa plaidoirie[61] et le juge a pris en compte ces contradictions dans ses motifs[62]. J’aurais par conséquent appliqué la disposition réparatrice prévue au sous-alinéa 686(1)b)(iii) C.cr.