La seule question à trancher est de déterminer si la preuve dans sa totalité convainc le Tribunal selon la prépondérance des probabilités que la confiscation du véhicule est démesurée.

NATURE ET GRAVITÉ DE L’INFRACTION

[23]        La preuve de la gravité et de la fréquence de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie par l’alcool n’est plus à faire au Québec comme au Canada. Les législateurs, les gouvernements et les tribunaux n’ont de cesse d’informer la population des méfaits et des dangers de l’alcool au volant. D’ailleurs, une troisième infraction comme dans le présent cas entraîne sur dépôt d’un avis de récidive une peine minimale de 120 jours de prison et une interdiction de conduire d’une durée minimale de 3 ans.

[24]        Ceci étant dit, la fourchette de peine prévue par le législateur pour ce type d’infraction de 1000 $ à 5 ans d’emprisonnement maximum révèle tout de même que la gravité objective de cette infraction n’est pas des plus élevées parmi les infractions prévues au Code criminel. Ce constat s’impose même si sous aucun prétexte il ne faut banaliser la conduite avec alcool au volant.

[25]        Il est même juste de se demander si la confiscation d’un véhicule automobile qui a servi à la conduite avec capacité affaiblie par l’alcool ou une drogue sans autre circonstance aggravante ou antécédents judiciaires n’est pas en soi démesurée même s’il s’agit d’un bien infractionnel.

[26]        Certes, faut-il que d’une part l’infraction soit poursuivie par acte criminel et que d’autre part le représentant du Procureur général demande la confiscation.

[27]        Ceci étant dit, le véhicule automobile étant quasi automatiquement un bien infractionnel, il faut au-delà de l’exercice de la discrétion du Procureur général d’en demander ou non la confiscation que des circonstances aggravantes et/ou des antécédents soient prouvés pour que la confiscation soit proportionnelle ou en d’autres mots, ne soit pas démesurée par rapport à l’infraction reprochée.

[28]        Comme la Cour suprême du Canda l’affirme dans les arrêts Craig et Manning[1], le processus de détermination de la confiscation est indépendant de celui de la détermination de la peine dont le Tribunal n’a pas à tenir compte. Ceci étant dit, force est de constater que les critères à être considérés tels qu’énoncés à l’article 490.41(3) C.cr. s’inspirent de certains critères pertinents à la détermination de la peine; la proportionnalité entre la gravité de l’infraction, les circonstances de sa perpétration et les antécédents de l’accusé en sont l’illustration.

[29]        La proportionnalité entre une sanction et une infraction est une notion avec laquelle les tribunaux de compétence pénale sont familiers. Le Tribunal doit aussi tenir compte de l’intention du législateur dans l’établissement d’un régime de confiscation de bien infractionnel, dont les dispositions et les critères.

[30]        Monsieur le juge Vézina dans l’arrêt Neault[2] n’est pas sans rappeler qu’à l’origine de ce régime législatif celui-ci visait la lutte au crime organisé, cela même si comme il le note des modifications sont apportées en 2001 pour élargir le régime de confiscation du bien infractionnel à la criminalité au sens large.

[31]        En contrepartie, note le juge Vézina, le législateur a donné au Tribunal la discrétion de ne pas confisquer un bien infractionnel lorsque cette mesure est disproportionnée selon les critères de l’article 490.41(3) C.cr. Le juge Vézina s’exprime ainsi :

Suivant ma compréhension de l’objectif de l’ordonnance, plus on est en présence du crime organisé, plus l’ordonnance s’impose, et de même, plus il appert que le bien est « destiné à servir » à la perpétration d’infraction, plus il importe de ne pas le laisser entre les mains du contrevenant. À l’opposé, si l’infraction est sans rapport avec le gangstérisme et si le bien n’était pas « destiné à servir » au crime, mais a été « utilisé de quelque manière » pour commettre l’infraction, plus s’impose de vérifier si la confiscation ne serait pas démesurée.[3]

[32]        Force est de constater qu’un véhicule automobile n’est pas destiné à la perpétration d’une infraction de conduite avec capacité affaiblie, mais qu’il est plutôt utilisé de quelque manière dans la perpétration de cette infraction le cas échéant.

[33]        Comme l’affirme monsieur le juge Vézina d’ailleurs, personne n’acquiert un véhicule automobile pour le conduire en état d’ébriété. Avant même l’examen des conditions particulières à l’accusé et aux effets de la confiscation sur lui, la seule perpétration de l’infraction ici reprochée peut à mon avis justifier la conclusion que la confiscation du véhicule ayant servi à l’infraction est démesurée parce que le véhicule n’est pas destiné à la perpétration de cette infraction ou toute autre, encore moins celle de gangstérisme et parce que la gravité objective à elle seule ne justifie par la confiscation.

[34]        Cette affirmation prend tout son sens en comparant une infraction de conduite avec capacité affaiblie avec celle par exemple où un véhicule sert au trafic de drogue, à la perpétration de vol qualifié ou par effraction, infractions pour lesquelles les demandes de confiscation d’un véhicule sont rarissimes par expérience judiciaire.

[35]        En fait, les infractions qui par leur gravité objective ou subjective sont plus élevées que l’infraction dans le présent cas et pourrait justifier la confiscation d’un véhicule, sont, il faut en convenir, très nombreuses, notamment en matière de conduite automobile causant la mort ou des lésions corporelles.

[36]        Par ailleurs, la preuve révèle ici de façon prépondérante l’utilisation légitime que fait l’accusé de ce véhicule; outre son usage quotidien, ce véhicule sert de façon tout à fait légitime au travail sur sa terre à bois. La preuve révèle même que le type de véhicule (pick-up)est à cette fin plus qu’utile, mais nécessaire.

[37]        Certes, le Tribunal prend en compte aussi que cette activité de travail sur la terre que l’accusé possède comporte non seulement un volet lucratif et utilitaire, mais aussi, il faut le dire un volet récréatif surtout pour un retraité comme lui.

LES CIRCONSTANCES DE L’INFRACTION

[38]        L’accusé présentait des symptômes de capacité affaiblie par l’alcool; odeur de boisson, nez rouge, yeux injectés de sang, démarche croche, discours décousu et non conséquent. Il demande une chance aux policiers. L’accusé est aussi toujours sous le coup de l’interdiction de conduire du fait de ses deux dernières condamnations, ce qui nous rappelle les deux antécédents de même nature de l’accusé. En d’autres mots, c’est la troisième fois sur une période de cinq années que l’accusé conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool. Pour un homme de 65 ans, c’est aussi la troisième infraction criminelle perpétrée au cours de toute sa vie.

[39]        Somme toute, l’infraction pour laquelle la poursuite demande la confiscation du véhicule n’est ni objectivement ni subjectivement des plus graves. Ce qui lui confère cependant une certaine gravité voire une gravité certaine c’est qu’il s’agit d’une troisième condamnation.

[40]        S’interrogeant sur le sens à donner et l’application concrète pour le Tribunal de notion de démesure, monsieur le juge Vézina posait les questions suivantes : Où s’arrête la bonne mesure? Où commence l’excès, l’exagération, la démesure? Dans certains cas, la ligne est relativement simple à tracer, dans d’autres beaucoup moins. Ce qui nous amène à l’objectif de l’ordonnance de confiscation.[4]

[41]        À l’examen de l’historique législatif du régime de confiscation des biens infractionnels, il est clair que le législateur veut empêcher qu’un bien ne serve à nouveau à la perpétration d’une infraction et à plus forte raison s’il y est destiné.

[42]        Rien ne permet de croire que le véhicule en litige a été acquis pour commettre une infraction. Au contraire, il a été acquis et de fait a servi et servira selon la preuve à des fins légitimes.

[43]        Dans l’arrêt Neault[5], l’accusé avait deux antécédents de conduite avec plus de 80 milligrammes d’alcool et deux de conduite pendant interdiction. La Cour d’appel confirme la décision du juge Lambert rejetant la confiscation compte tenu de la preuve présentée aussi par l’accusé.

[44]        Dans l’affaire Manning[6] de la Cour suprême du Canada, l’accusé avait cinq antécédents de conduite sous l’effet de l’alcool et trois autres condamnations pour des manquements à un engagement ou une ordonnance. La Cour suprême du Canada ordonne la confiscation qu’elle ne juge pas démesurée reprochant au juge de première instance qui n’avait pas prononcé la confiscation d’avoir accordé trop d’importance à la situation de l’accusé au détriment de son casier judiciaire.

[45]        Enfin, dans R. c. Lafrenière[7], le soussigné reprenant la même analyse du régime législatif de confiscation des biens infractionnels que dans le présent cas conclut que la confiscation n’était pas démesurée. L’accusé Lafrenière avait deux antécédents de même nature et plaide coupable devant le soussigné à deux autres infractions de même nature. La poursuite demande la confiscation pour la quatrième et dernière infraction.

[46]        Plus encore, la preuve révélait des taux d’alcoolémie pour les deux infractions dont l’accusé Lafrenière se reconnaît coupable respectivement de 185 milligrammes et de 233 milligrammes.

[47]        La preuve démontrait aussi que l’accusé s’était servi de son véhicule pour aller acheter d’autre alcool. Il est à nouveau arrêté alors qu’il conduit son véhicule de façon erratique avec un taux d’alcoolémie de 233 milligrammes. L’accusé est intercepté en plein après-midi revenant d’une visite chez un copain selon sa version.

[48]        Ce que les faits révélaient dans ce cas et qui constitue nettement une circonstance aggravante c’est que l’accusé se servait de son véhicule pour prendre de l’alcool, aller en acheter et donc perpétrer les infractions dont il s’est reconnu coupable sans aucune autre utilisation légitime.

[49]        L’analyse et les exemples énoncés précédemment amènent le Tribunal à la conclusion que la confiscation du véhicule de l’accusé d’une valeur de près de 20 000 $ est démesurée entraînant notamment une perte nette de ce montant d’environ 20 000 $ sans compter que le véhicule ne pourrait plus servir au travail sur la terre tel que décrit par l’accusé.

[50]        Il faut noter par ailleurs que l’accusé fait l’objet d’une interdiction de conduire d’une durée de trois années à laquelle il faut ajouter les sanctions provinciales qui suivront.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE      la requête en confiscation.

ORDONNE   la remise du véhicule à l’intimé sur paiement des 30 premiers jours de remisage de celui-ci.