R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24

*voir aussi Freddi c. R., 2021 QCCA 249

L’importance de ce droit n’est plus à démontrer. Le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d’être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations.

Détenue par les représentants de l’État, cette personne est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci; privée de sa liberté, elle risque de s’incriminer. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police.

The ready availability of a telephone is a relevant factor for the court to consider in determining whether a detainee had a reasonable opportunity to consult counsel

[39] Notons d’entrée de jeu que l’importance de ce droit n’est plus à démontrer. Le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d’être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations : Clarkson c. La Reine, 1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394; R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243; R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173.

[40] Détenue par les représentants de l’État, cette personne est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci; privée de sa liberté, elle risque de s’incriminer. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police. Comme l’écrit le juge Doherty dans R. v. Rover, 2018 ONCA 745 :

[45] The right to counsel is a lifeline for detained persons. Through that lifeline, detained persons obtain, not only legal advice and guidance, […] but also the sense that they are not entirely at the mercy of the police while detained. The psychological value of access to counsel without delay should not be underestimated.

[41] L’appelante écrit dans son exposé « que l’avènement et la multiplication des téléphones cellulaires n’amènent pas une nouvelle ère constitutionnelle qui ferait en sorte qu’un individu pourrait consulter l’avocat de son choix sur le bord de la route en attendant l’arrivée de la remorqueuse ». Si cela signifie que l’on ne peut décréter, dans tous les cas, que la personne doit être autorisée à ce faire, je suis d’accord. En revanche, si cela signifie qu’on ne peut jamais le faire, je suis en total désaccord. Tout est question de circonstances et je ne partage pas l’avis de l’appelante lorsqu’elle ajoute : « C’est ici l’essence du débat ». L’essence du débat ne consiste pas à décider si l’avènement du cellulaire modifie le droit et permet son utilisation. À mon avis, l’essence du débat consiste plutôt à déterminer ce dont les policiers doivent tenir compte pour décider s’ils autorisent ou pas son utilisation aux fins de consultation d’un avocat.

[42] Dès 2004, dans R. v. George, 2004 CanLII 6210, 187 C.C.C. (3d) 289, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait, au paragr. 33, dans un cas où l’accusé avait un cellulaire en sa possession, que « On the record, contact with counsel could have been accommodated either through the cellular telephone » puis, « […] the ready availability of a telephone is a relevant factor for the court to consider in determining whether a detainee had a reasonable opportunity to consult counsel […] ». Cet extrait a été cité à plusieurs reprises dont dans R. c. Lauzier, précité, et dans R. v. Quansah, 2012 ONCA 123. Je suis conscient que cet arrêt traite de la période précédant un prélèvement à l’aide d’un ADA. Je n’y réfère donc pas sans cette mise en garde. En revanche, ces commentaires demeurent pertinents pour démontrer l’importance du cellulaire lorsqu’il est question de l’accès à un avocat.

La poursuite a le fardeau de démontrer que le délai peut être qualifié de raisonnable.

[46] Dans R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495, la juge Abella écrit :

[24] L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41-42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 2000 ABCA 301 (CanLII), 271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)). La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.

[47] Par conséquent, non seulement la question de savoir si le délai peut être qualifié de raisonnable est une question de fait, mais en plus, c’est la poursuite qui a le fardeau de le démontrer. Elle doit donc le faire en se fondant sur la preuve, et non en fonction d’une règle immuable voulant que cela ne soit jamais « raisonnablement possible en pratique ».

[48] Une question de fait s’analyse au regard de la preuve et non en se fondant sur des hypothèses que l’on voudrait étendre à tous les cas. La poursuite ne sera donc en mesure de se décharger de son fardeau qu’en démontrant que l’accès a été facilité à la première occasion raisonnable, selon les circonstances de l’affaire.

[73] Comme je le disais précédemment, le droit à l’avocat vise justement à établir un équilibre entre le droit à la liberté et le pouvoir extraordinaire de détenir une personne contre son gré, à assurer un processus décisionnel équitable entre l’accusé et les agents de l’État. Il n’y avait rien d’équitable dans la décision de laisser l’intimée se demander, pendant une heure, ce qui pourrait bien se produire ensuite et quelles pouvaient être ses options, alors que les policiers ne se sont même pas demandé s’ils pouvaient l’autorisée à téléphoner, et ce, en raison d’une absence de directive. Même si l’on sait qu’elle n’avait que très peu d’options, un appel lui aurait au moins permis de le savoir sans avoir à attendre si longtemps. Je souligne à nouveau l’importance de la valeur psychologique d’un tel appel.

[74] J’ajoute qu’en l’espèce, la confiance qu’avait l’intimée envers son avocat (un fait qui n’est pas anodin : R. c. Lefebvre, 2018 QCCS 4468, paragr. 307 et 308) constitue un élément à prendre en compte pour évaluer l’incidence de la décision des policiers de retarder l’accès à son avocat.

L’attente, sur le côté de la route, n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à reporter au poste de police l’accès à l’avocat. Il en est de même du cellulaire : la loi n’oblige pas les policiers à en permettre l’utilisation. Elle les oblige plutôt à en tenir compte, comme de toutes les autres circonstances, au moment de prendre leur décision.

[50] Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. Comme le rappelle la juge Abella dans Taylor, précité :

[28] Toutefois, les policiers ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, afin de réduire le risque d’auto incrimination accidentelle, ainsi que l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat. L’alinéa 10b) ne crée pas le « droit » d’utiliser un téléphone précis, mais garantit effectivement à l’intéressé l’accès à un téléphone pour qu’il puisse exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable.

[51] Dans ce même arrêt, qui porte lui aussi sur une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies, la juge Abella rappelle l’importance de considérer l’ensemble des circonstances pour savoir si l’accès a été donné dans un délai raisonnable, certains cas pouvant justifier une attente plus longue :

[31] […] Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Bartle, les obligations qu’ont les policiers de donner effet aux droits garantis par l’al. 10b) sont nécessairement limitées lors de situations urgentes ou dangereuses. Mais nous ne sommes pas en présence de telles circonstances restrictives en l’espèce. […]

[32] Les policiers ont l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la chose est possible en pratique. Le fait de présumer, comme le suggère le juge du procès, qu’il est raisonnable de tarder à donner effet au droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la période où l’accusé attend de recevoir un traitement médical à l’urgence d’un hôpital ainsi que pendant toute la durée de ce traitement, et ce, en l’absence de toute preuve des circonstances particulières en cause, compromettrait le respect de l’obligation constitutionnelle relative à l’accès « sans délai » à l’assistance d’un avocat.

[33] Les cas traités en salle d’urgence ne constituent pas nécessairement tous des urgences médicales telles que les communications entre un avocat et un accusé ne sont pas raisonnablement possibles. Des droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique. L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée — et non pas supposée —, et des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.

[52] De la même manière qu’un passage à l’hôpital n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à attendre la fin des traitements, l’attente, sur le côté de la route, n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à reporter au poste de police l’accès à l’avocat. Il en est de même du cellulaire : la loi n’oblige pas les policiers à en permettre l’utilisation. Elle les oblige plutôt à en tenir compte, comme de toutes les autres circonstances, au moment de prendre leur décision.

[53] En somme, les hypothèses, les suppositions, telles celles évoquées par l’appelante (comme en a conclu le juge de la Cour du Québec), ne suffisent pas pour qu’elle se décharge de son fardeau qui consiste à prouver l’existence de véritables obstacles, comme une urgence, un danger, une règle de droit : R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; R. c. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980. Encore récemment, dans R. v. La, 2018 ONCA 830, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait qu’il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire :

[39] Those concerns must be circumstantially concrete. General or theoretical concern for officer safety and destruction of evidence will not justify a suspension of the right to counsel: R. v. Wu, 2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78; R. v. Patterson, 2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at paras. 41-42, and R. v. Proulx, 2016 ONCJ 352, at para. 47. Rather, the assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination: Wu, at para. 78.

[54] Cela faisait d’ailleurs écho aux motifs de la juge Abella aux paragraphes 32 et 33 de Taylor, précités.

[55] Notre cour a aussi rappelé la nécessité de circonstances « exceptionnelles » pour justifier un délai avant l’accès à un avocat dans R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, paragr. 36, dont une menace à la sécurité des policiers ou du public, ou encore un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou encore qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise.

[56] L’appelante fait grand cas de l’utilisation du terme « sans délai » par le juge de première instance. Je ne comprends pas l’argument. C’est le texte même de l’alinéa 10 b) qui le prévoit : « […] avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat […] / […] to retain and instruct counsel without delay […] ». Évidemment, comme on l’a vu, selon la jurisprudence, « sans délai » signifie « à la première occasion raisonnable », mais je ne vois aucune indication dans le jugement de la Cour du Québec selon laquelle le juge n’aurait pas tenu compte de cette qualification.

[57] L’appelante renvoie à R. c. Piazza, 2018 QCCA 948, pour soutenir son argument sur les difficultés, sinon l’impossibilité, de permettre l’utilisation d’un cellulaire « au bord de la route ». Deux remarques s’imposent.

[58] D’une part, cet arrêt porte sur la période précédant l’utilisation de l’ADA, de sorte que le droit à l’assistance d’un avocat est alors suspendu en raison d’une règle de droit (l’article 254(2) C.cr. de l’époque), qui précise que l’échantillon d’haleine doit être fourni « immédiatement ». L’alinéa 10 b) de la Charte ne s’appliquait donc pas. Comme l’écrivait d’ailleurs mon collègue le juge Vauclair, au paragr. 112 de Piazza, à propos de l’accès à un avocat : « J’estime qu’il s’agit d’un faux problème, car le droit est suspendu […] » dans de telles circonstances. L’on ne peut donc prétendre que cet arrêt peut nous être utile ici lorsque mon collègue fait état des difficultés d’utilisation d’un cellulaire au moment d’une arrestation.

[59] D’autre part, si mon collègue y énonce, aux paragr. 113 et 114, une série de difficultés qui sont susceptibles de rendre illusoire la possibilité de consulter un avocat sur les lieux à l’aide d’un cellulaire, il le fait dans le cadre du délai d’attente précédant l’utilisation de l’ADA et pour répondre à la proposition voulant que cette consultation devienne nécessaire pour autoriser cette utilisation. Il ne se prononce pas sur la période qui suit la prise de l’échantillon avec l’ADA, puisque ce n’était pas l’objet de cet arrêt.

[60] Enfin, l’appelante estime que de permettre l’utilisation du cellulaire serait inéquitable pour ceux et celle qui n’en possèdent pas. À mon avis, cet argument ne tient pas. Fermer les yeux sur une occasion raisonnable de communiquer avec un avocat par souci d’équité pour d’autres personnes, placées dans des circonstances différentes, me paraît incompatible avec l’économie de la Charte qui doit être interprétée de manière libérale et généreuse.

[77] En résumé, la question du cellulaire n’est pas la véritable question. La présence d’un cellulaire constitue plutôt une circonstance qui doit être prise en considération par les policiers au moment de voir quand se présentera « la première occasion raisonnable » de faciliter l’accès à un avocat, comme c’est leur devoir. Dans le présent dossier, les conclusions factuelles du juge du procès mènent à une conclusion d’atteinte au droit de l’intimée et à l’exclusion de la preuve. Dans les circonstances, rien n’aurait justifié le juge de la Cour supérieure d’intervenir.

[78] J’insiste : le problème ici n’est pas d’avoir refusé de laisser l’intimée téléphoner à son avocat avec son cellulaire. Le problème consiste à ne pas avoir même considéré cette possibilité alors que cela était la responsabilité des deux policiers. Et pourquoi n’ont-ils pas considéré cette possibilité? En raison de l’absence de directive le leur permettant. Voilà où entre en jeu la responsabilité du système, qui induit une conduite systémique, évidemment susceptible de se répéter, ce qui aggrave la situation. Tout cela, vingt ans après les arrêts Clarkson et Manninem, cinq ans après Archambault qui exige des circonstances exceptionnelles pour retarder l’accès à l’avocat, cinq ans après le premier d’une série de jugements de la Cour du Québec qui reprochent aux policiers de ne pas avoir laissé la personne détenue utiliser son cellulaire et trois ans après Taylor qui rappelle que le devoir de faciliter l’accès à un avocat prend naissance immédiatement après que le détenu a demandé à lui parler, ce qui signifie à la première occasion raisonnable. Autrement dit, les policiers n’ont pas rempli leur devoir, bien connu, et ce, non pas en respectant une directive, mais en refusant de le faire en raison de l’absence de directive. Cette situation ne peut être tolérée.

Il n’est pas exigé qu’il y ait toujours un lien causal entre la violation de la Charte et la découverte d’éléments de preuve; le lien temporel revêt généralement une importance particulière.

[72] Il est vrai qu’aucun élément de preuve n’a été découvert avant que l’intimée n’ait parlé à son avocat, ce que l’on pourrait être tenté d’assimiler à une absence de préjudice réel. Pourtant il n’en est rien. D’une part, il n’est pas exigé qu’il y ait toujours un lien causal entre la violation de la Charte et la découverte d’éléments de preuve; le lien temporel revêt généralement une importance particulière : R. c. Strachan, précité, à la p. 1005. D’autre part, l’intimée a été inutilement privée de tout contact avec l’extérieur, notamment avec son avocat, pendant près d’une heure, alors qu’elle avait demandé la permission de l’appeler en utilisant son téléphone cellulaire, ce qui lui a été refusé sans que l’on ait même considéré la simple possibilité qu’elle puisse le faire. De nos jours, faut-il le préciser, la possession d’un cellulaire est si commune qu’on ne se demande même plus si quelqu’un en a un; nous le tenons pour acquis.