R. c. Guzoraky, 2021 QCCA 1788

MISE EN GARDE : Une ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4(1) C.cr. a été rendue en première instance, interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.

Depuis les arrêts Teskey[13], Wang[14] et Thompson[15], les motifs additionnels – qui visent de manière avouée à renforcer ou à corriger les motifs rendus antérieurement – relèvent de la justification a posteriori (sauf quand il s’agit d’une erreur matérielle au sens de l’article 338 C.p.c.), que celle-ci peut faire naître une crainte de partialité, qui, si elle est avérée, permet d’écarter les motifs de la transcription révisée.

[18]      Dans l’arrêt Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 3095-2899 Québec inc.[12], la Cour fait une revue de la jurisprudence portant sur le droit pour un juge de remanier les motifs d’un jugement rendu oralement dans une transcription révisée de ceux-ci. Elle retient de son étude que, depuis les arrêts Teskey[13], Wang[14] et Thompson[15], les motifs additionnels – qui visent de manière avouée à renforcer ou à corriger les motifs rendus antérieurement – relèvent de la justification a posteriori (sauf quand il s’agit d’une erreur matérielle au sens de l’article 338 C.p.c.), que celle-ci peut faire naître une crainte de partialité, qui, si elle est avérée, permet d’écarter les motifs de la transcription révisée.

[19]      Il existe une différence notable entre le jugement rendu oralement le 3 juillet 2019 et sa transcription révisée du 7 août 2019. Dans le premier, le juge conclut que la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration extrajudiciaire est « satisfaisante » alors que, dans la seconde, il écrit qu’elle est « en partie satisfaite », ce qui lui a permis d’examiner le volet de la fiabilité substantielle.

[20]      Cette différence ne constitue pas une légère variante puisque, comme nous le verrons dans la section suivante, la déclaration extrajudiciaire dont la fiabilité d’ordre procédural est démontrée atteint le seuil de fiabilité nécessaire à son admissibilité en preuve.

Dans son arrêt le plus récent portant sur la question de l’admissibilité d’une preuve constituant du ouï-dire, l’affaire Bradshaw précitée, la Cour suprême rappelle que le seuil de fiabilité est atteint lorsque la preuve « est suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de les vérifier ».

Elle écrit que : « Ces dangers surviennent notamment en raison de l’impossibilité de contre-interroger le déclarant devant le juge des faits au moment où il fait sa déclaration ». Ce dernier propos a été nuancé. La Cour suprême précise à cet égard qu’elle « ne partage pas l’avis catégorique de la Cour d’appel voulant que les garanties pertinentes pour évaluer la fiabilité d’ordre procédural soient seulement “celles qui sont en place lorsque la déclaration est recueillie” ».

Le contre-interrogatoire n’a pas nécessairement à être mené au moment où la déclaration est faite. Un contre-interrogatoire à l’enquête préliminaire peut faire partie des « autres façons adéquates » de vérifier la preuve.

[21]      Une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu constitue du ouï-dire[16]. En principe, le ouï-dire est inadmissible en preuve[17]. Il existe cependant des exceptions. La personne qui veut produire une preuve par ouï-dire doit démontrer, par prépondérance des probabilités, la nécessité et la fiabilité de la preuve[18]. Dans notre affaire, le critère de la nécessité était admis. C’est celui de la fiabilité de la preuve qui devait être examiné.

[22]      Dans son arrêt le plus récent portant sur la question de l’admissibilité d’une preuve constituant du ouï-dire, l’affaire Bradshaw précitée, la Cour suprême rappelle que le seuil de fiabilité est atteint lorsque la preuve « est suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de les vérifier »[19]. Elle écrit que : « Ces dangers surviennent notamment en raison de l’impossibilité de contre-interroger le déclarant devant le juge des faits au moment où il fait sa déclaration »[20]. Ce dernier propos a été nuancé. La Cour suprême précise à cet égard qu’elle « ne partage pas l’avis catégorique de la Cour d’appel voulant que les garanties pertinentes pour évaluer la fiabilité d’ordre procédural soient seulement “celles qui sont en place lorsque la déclaration est recueillie” »[21]. Le contre-interrogatoire n’a pas nécessairement à être mené au moment où la déclaration est faite. Un contre-interrogatoire à l’enquête préliminaire peut faire partie des « autres façons adéquates » de vérifier la preuve, comme l’écrit la Cour suprême dans cette même affaire :

Ces autres façons de vérifier la preuve doivent fournir au juge des faits une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la véracité et l’exactitude de la déclaration relatée (Khelawon, par. 76; Hawkins, par. 75; Youvarajah, par. 36). Constituent des substituts aux garanties traditionnelles notamment un enregistrement vidéo de la déclaration, l’existence d’un serment et un avertissement au sujet des conséquences liées au fait de mentir (B. (K.G.), p. 795‑796). Cependant, une certaine forme de contre‑interrogatoire du déclarant, comme le témoignage recueilli à l’enquête préliminaire (Hawkins) ou le contre‑interrogatoire d’un témoin qui se rétracte au procès (B. (K.G.)R. c. U. (F.J.), 1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764), est habituellement nécessaire (R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 92 et 95).[22]

[Soulignements ajoutés]

[23]      Dans le présent dossier, tous les ingrédients nécessaires pour examiner la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration extrajudiciaire étaient présents, comme nous en avons fait état précédemment : elle a été prise en vidéo, la plaignante a été assermentée, les mises en garde pertinentes lui ont été servies, l’entrevue de la plaignante a été menée de façon professionnelle et cette dernière a été contre-interrogée au sujet de sa déclaration par l’avocat de l’intimé lors de l’enquête préliminaire.

Malgré un certain flottement, la jurisprudence majoritaire des cours d’appel canadiennes conclut que la fiabilité d’ordre procédural et la fiabilité substantielle sont des moyens équivalents et alternatifs d’établir le seuil de fiabilité d’une déclaration extrajudiciaire et que, lorsqu’une partie a établi les éléments de l’un des types de fiabilité (procédurale ou substantielle) selon la prépondérance des probabilités, on ne peut pas exiger d’elle qu’elle établisse les éléments de l’autre type de fiabilité.

Plusieurs cours d’appel insistent sur le fait que la combinaison des évaluations est rare et qu’elle est utile seulement dans les cas où l’évaluation de la fiabilité d’ordre procédural et l’évaluation de la fiabilité substantielle ne sont pas indépendamment concluantes.

[36]      À l’instar de la Cour suprême dans l’arrêt Bradshaw précité, plusieurs cours d’appel insistent sur le fait que la combinaison des évaluations est rare et qu’elle est utile seulement dans les cas où l’évaluation de la fiabilité d’ordre procédural et l’évaluation de la fiabilité substantielle ne sont pas indépendamment concluantes. Voici un exemple :

[24]  In Bradshaw, the issue for the court was: when and how can a trial judge rely on corroborative evidence to conclude that the threshold reliability of a hearsay statement is established? The court noted that hearsay dangers can be overcome and threshold reliability established by showing that (1) there are adequate substitutes for testing truth and accuracy (procedural reliability), or (2) there are sufficient circumstantial or evidentiary guarantees that the statement is inherently trustworthy (substantive reliability): Bradshaw, at para. 27.  The court also stated that in rare cases procedural and substantive reliability can work in tandem to meet the threshold reliability standardBradshaw, at para. 32.[43]

[Soulignements ajoutés]

[37]      L’analyse de la jurisprudence des cours d’appel canadiennes montre que le juge de première instance a commis une erreur de droit. Après avoir conclu que la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration extrajudiciaire de la plaignante était établie dans sa décision rendue oralement, il aurait dû, en principe, l’admettre en preuve et mettre un terme à son analyse.

Le voir-dire permet de décider de l’atteinte du seuil de fiabilité d’une déclaration extrajudiciaire et non celle de sa force probante.

[42]      La démarche proposée par l’intimé – de fondre en une seule étape le voir-dire et le fond de l’affaire – ne respecte pas les enseignements de la Cour suprême, selon lesquels le voir-dire permet de décider de l’atteinte du seuil de fiabilité d’une déclaration extrajudiciaire et non celle de sa force probante. Et, en plus, elle a causé ici un préjudice à l’appelante. D’une part, le cumul de l’analyse de la fiabilité d’ordre procédural et de la fiabilité substantielle a entraîné l’exclusion de la déclaration extrajudiciaire de la plaignante. D’autre part, la confusion entre le rôle du juge lors d’un voir-dire et celui du juge des faits a entravé la recherche de la vérité, a imposé à l’appelante un fardeau de preuve indu – en exigeant qu’elle établisse le volet de fiabilité d’ordre procédural et celui de la fiabilité substantielle – et l’a empêchée de faire valoir ses moyens portant sur le fond de l’affaire, ce qui constitue une violation de l’équité procédurale[44]. Rappelons à ce sujet que, durant les plaidoiries, le juge a rappelé à l’ordre l’avocat de l’appelante et l’a empêché de faire valoir ses arguments sur la question de la valeur probante de la déclaration extrajudiciaire de la plaignante.