R. c. St-Marseille, 2020 QCCQ 3221

 

Dans le cadre de son procès pour conduite avec les facultés affaiblies, la requérante (l’accusée) demande l’exclusion de la preuve, alléguant une violation de ses droits d’être protégée contre une détention arbitraire et contre une fouille illégale prévus à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

Elle soutient que l’ordre du policier de se soumettre à l’appareil de détection approuvé (l’ADA) est invalide, puisqu’il ne détenait pas objectivement de motifs de soupçonner qu’elle avait de l’alcool dans son organisme. Il ne pouvait donc pas prendre appui sur le résultat « FAIL » pour acquérir les motifs raisonnables lui permettant de procéder à son arrestation.

Il s’agit de déterminer si les policiers ont détenu illégalement et arbitrairement l’accusée (détention) en la plaçant à l’arrière de l’auto‑patrouille et si l’agent Jeannotte détenait objectivement des motifs de soupçonner qu’elle avait de l’alcool dans son organisme (fouille et arrestation).

[4]           Vers 5 h 15 le 10 mars 2019, alors qu’ils sont en patrouille, les agents Jeannotte et De Giglio reçoivent un appel du centre de gestion des appels signalant qu’un véhicule circule en sens inverse sur l’autoroute 640 ouest à Saint‑Joseph‑du‑Lac, à la hauteur du kilomètre 4.5.

[5]           Ils localisent le véhicule fautif au kilomètre 16 et actionnent les gyrophares. Ils font des manœuvres pour attirer l’attention du conducteur; l’agent De Giglio fait des appels de phares et l’agent Jeannotte sort ses bras par la fenêtre et fait des signes pour que l’on ralentisse.

[6]           À ce moment, il fait nuit et la circulation est faible.

[7]           Le véhicule en question ralentit, passe à côté de l’auto‑patrouille et s’immobilise quelques mètres plus loin, en plein milieu de la voie de gauche.

[8]           L’agent De Giglio fait marche arrière et se place devant lui en guise de barrière de sécurité.

[9]           L’agent Jeannotte, qui est passager, descend du véhicule de patrouille et se rend rapidement à la portière côté conducteur du véhicule intercepté. L’accusée s’y trouve, seule.

[10]        Il lui demande d’éteindre le moteur et de sortir. Elle s’excuse et mentionne qu’elle vient de réaliser qu’elle est en sens inverse, que c’est une erreur de sa part. Immédiatement, elle mentionne qu’elle n’a pas bu.

[11]        Lors de ce premier contact avec l’accusée qui dure à peine 15 – 20 secondes, l’agent Jeannotte ne constate rien de particulier. Il ne s’attarde pas à sa personne, puisque son but premier est de sécuriser les lieux.

[12]        Un véhicule du service de police de la Ville de Saint‑Eustache arrive en renfort.

[13]        L’agent De Giglio rejoint aussitôt l’agent Jeannotte. Il amène l’accusée à l’auto‑patrouille et l’assoit sur la banquette arrière, pendant que l’agent Jeannotte déplace son véhicule sur l’accotement.

[14]        L’agent De Giglio déplace ensuite le véhicule de patrouille derrière celui de l’accusée.

[15]        De retour au véhicule de patrouille, l’agent Jeannotte constate une faible odeur d’alcool dans l’habitacle. Une ou deux minutes plus tard, il décide de faire souffler l’accusée dans l’ADA, après s’être enquis auprès d’elle qu’elle n’a ni vomi ni mangé dans les quinze dernières minutes. Elle lui mentionne avoir consommé deux bières à St‑Jean, dans une microbrasserie, et précise que cela fait déjà un bon moment.

[16]        L’agent Jeannotte lui ordonne de fournir un échantillon d’haleine. Elle collabore et l’appareil indique un résultat « FAIL ». Il procède donc à son arrestation pour avoir conduit avec les facultés affaiblies. La suite des événements n’est pas pertinente pour trancher les questions en litige.

[…]

Détention

[22]        Selon la défense, les policiers auraient dû demander à l’accusée de faire demi‑tour et de se ranger sur l’accotement, et auraient même pu lui donner des instructions en ce sens à l’aide d’un porte‑voix, au lieu d’agir comme ils l’ont fait.

[23]        Le Tribunal ne partage pas cette opinion.

[24]        Au moment où il demande à l’accusée de sortir de son véhicule et de suivre l’agent De Giglio, l’agent Jeannotte n’enquête clairement pas sur une infraction de facultés affaiblies. Sa préoccupation première est la sécurité du public, dont celle de l’accusée.

[25]        L’urgence de la situation commandait qu’ils agissent rapidement. D’ailleurs, son collègue n’a pas procédé à la fouille de l’accusée avant de la placer dans le véhicule de patrouille. « On a sauté des étapes », dit‑il. Il a mis sa propre sécurité en péril au profit de celle des autres, tant la situation était critique à ce chapitre.

[26]        D’ailleurs, à la toute fin de l’intervention, l’accusée les a remerciés pour leur travail.

[27]        Procéder de la manière dont le suggère la défense par sa ligne de question en contre‑interrogatoire aurait placé les policiers dans une situation où ils auraient failli à leur devoir d’assurer la sécurité publique.

[28]        En effet, il aurait été déraisonnable de demander à l’accusée, à l’aide d’un porte‑voix, de faire demi‑tour sur l’autoroute pour se ranger sur l’accotement ou encore de s’y rendre seule, à pied.

[29]        L’accusée a été interceptée à 5 h 20 et placée en état d’arrestation à 5 h 24. Tout s’est fait rapidement dans les circonstances et, en ce sens, les policiers n’ont pas contrevenu à son droit d’être protégée contre une détention illégale et arbitraire.

[…]

Fouille et arrestation

[36]        Bien que son témoignage soit imparfait, il témoigne avec aplomb quant aux circonstances entourant l’événement et n’est pas contredit. Que son collègue n’ait pas senti l’odeur d’alcool avant le moment où ils étaient en route vers le poste de police ne le contredit pas. Nous ne connaissons pas sa capacité olfactive.

[37]        Ses motifs de soupçonner que l’accusée a de l’alcool dans son organisme au moment où il lui ordonne de souffler dans l’ADA sont les suivants :

  •       L’intervention policière origine de plusieurs appels signalant la présence d’un véhicule qui roule en sens inverse à 5 heures du matin sur la 640.
  •       Le premier appel est logé au moment où l’accusée est au kilomètre 4.5 et l’interception se fait au kilomètre 16. Il y a plusieurs sorties entre les deux points GPS, ce qui lui fait penser qu’elle ne s’est pas rendu compte qu’elle circule en sens inverse.
  • Vers 5 h 22 – 5 h 23, il constate une faible odeur d’alcool dans le véhicule de patrouille. Bien qu’il n’ait pas de souvenir de ce qu’il a dit à l’accusée, il lui a adressé la parole. Chose certaine, la faible odeur d’alcool qu’il a constatée avant de donner l’ordre de souffler dans l’ADA provient de l’accusée et non pas de son sac à main, dont la preuve est muette quant à savoir où il était, par qui il a été récupéré ou ce qu’il contenait. Ce n’est que vers 5 h 24 qu’il lui donne l’ordre. À cet égard, il est corroboré par son partenaire qui témoigne qu’il a lui‑même été deux minutes seul avec l’accusée avant que l’agent Jeannotte les rejoigne et qu’une fois dans l’auto‑patrouille, il s’est écoulé une ou deux minutes avant que ce dernier ne donne l’ordre de souffler dans l’ADA.

En conséquence, la requête en exclusion de la preuve est REJETÉE.