Vadish c. R., 2024 QCCA 1135

La violation du droit à l’avocat prévu à l’alinéa 10b) de la Charte« dans le contexte de l’auto‑incrimination est une violation grave qui milite fortement pour l’exclusion d’une déclaration incriminante », mais qu’« [i]l en est autrement d’une preuve matérielle fiable qui n’est pas obtenue avec la participation de la personne détenue ».

[59]      En fonction de l’analyse qui précède, j’estime que le juge a conclu à bon droit que seules deux violations devaient être analysées à l’aulne du paragraphe 24(2), à savoir le non-respect du droit à l’avocat et l’entrée au 5966 Macdonald avant la délivrance du télémandat[49]. Ainsi, il n’y a pas lieu d’étendre l’analyse du paragraphe 24(2) aux autres violations soulevées par l’appelant qui n’ont pas été retenues.

[60]      Je constate par ailleurs que le juge a procédé à l’analyse de l’application du paragraphe 24(2), en fonction du cadre applicable, tel que résumé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Tim[50] :

[74]   Le paragraphe 24(2) de la Charte entre en jeu lorsque des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent les droits garantis par la Charte à la personne accusée. L’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) examine, sur la base de trois questions, l’effet à long terme de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus en violation de la Charte sur la confiance du public envers le système de justice. Ces trois questions sont : (1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal consiste à mettre en balance le résultat de l’examen de chacune de ces questions en vue de « déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (Grant, par. 71; voir aussi Le, par. 139‑142).

[61]      Abordant d’abord la gravité de la conduite attentatoire de l’État, le juge a conclu qu’il n’y avait pas eu violation délibérée de la part des policiers en ce qui concerne la suspension du droit à l’avocat, vu les démarches faites par le L/D Vallières-Castonguay pour aviser la détention de la levée de la suspension après la prise de contrôle du 3505 Workman à compter de 00 h 24. Il a jugé que la conduite des policiers à cet égard se situait « entre la bonne et la mauvaise foi, [mais] plus près de la bonne que de la mauvaise »[51]. En ce qui concerne l’entrée sans mandat au 5966 Macdonald, vu les circonstances et dans la mesure où les policiers n’ont pas fouillé les lieux avant la délivrance du télémandat et qu’ils se sont limités à sécuriser les lieux, le juge a qualifié leur conduite comme « se situ[ant] près de la bonne foi »[52]. L’appelant ne démontre pas d’erreur révisable à l’égard de ces deux conclusions.

[62]      Quant à l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé, le juge note que la violation du droit à l’avocat prévu à l’alinéa 10b) de la Charte« dans le contexte de l’auto‑incrimination est une violation grave qui milite fortement pour l’exclusion d’une déclaration incriminante », mais qu’« [i]l en est autrement d’une preuve matérielle fiable qui n’est pas obtenue avec la participation de la personne détenue »[53], comme la saisie des substances en l’espèce. De plus, bien qu’une violation du domicile constitue une violation grave de l’article 8 de la Charte, il rappelle que les policiers n’ont pas fouillé les lieux ni procédé à la saisie avant d’obtenir la délivrance du télémandat[54]. Ces conclusions sont également bien fondées.

[63]      Puis, en ce qui concerne l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, le juge considère que l’appelant « fait face à des infractions graves » et que la quantité d’héroïne saisie représente 11 180 doses, ou près de 50 % de l’héroïne saisie en 2018 par le SPVM[55]. Il reconnaît que « la déclaration relève d’une preuve auto-incriminante », mais souligne que les substances saisies sont des objets matériels d’une haute fiabilité[56]. Il conclut donc que « [c]es éléments militent fortement pour l’utilisation en preuve des substances saisies afin que l’affaire soit jugée au fond »[57]. L’appelant ne parvient pas non plus à ébranler cette conclusion.

[64]      Enfin, dans le cadre de sa pondération des divers facteurs, le juge conclut que de « [p]ermettre à l’État de pouvoir utiliser une déclaration obtenue d’une personne détenue dans un contexte assimilée à un interrogatoire alors que son droit à l’avocat n’a pas été respecté est de nature à déconsidérer l’administration de la justice »[58]. Par contre, le juge constate l’absence de lien causal entre l’entrée au 5966 Macdonald et la saisie des substances qui a eu lieu une fois le télémandat délivré. En ce qui concerne la violation du droit à l’avocat, il conclut à l’absence de lien contextuel et causal et « au mieux [à] un lien temporel ténu »[59] et détermine que l’exclusion en preuve des substances saisies déconsidérerait l’administration de la justice. En effet, une telle exclusion ne viserait pas à assurer que la preuve est obtenue dans le respect des droits constitutionnels de l’appelant. Elle aurait plutôt « simplement pour but de sanctionner la conduite des policiers » quant à l’entrée au 5966 Macdonald, alors que cette entrée a été autorisée par le biais du télémandat à 00 h 10 et ce, avant que la suspension jugée légale du droit de l’avocat n’ait pris fin à 00 h 24. Le juge conclut que, dans le cas de la violation de son droit à l’avocat, l’exclusion de la preuve aurait « simplement pour but de dédommager l’accusé » à l’égard de la conduite reprochée[60].

[65]      À la lumière des arrêts récents de la Cour suprême dans les affaires Tim[61] et Beaver[62], j’estime que l’analyse du juge n’est pas entachée de quelque erreur révisable que ce soit.

Le paragraphe 24(2) entre en jeu lorsque les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui ont violé les droits garantis par la Charte à la personne accusée. Selon le cadre d’analyse structuré formulé par le juge Laskin de la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Pino[63] et récemment adopté par la Cour suprême dans l’arrêt Tim[64], les facteurs qui encadrent cette analyse sont les suivants :

[66]      Le paragraphe 24(2) entre en jeu lorsque les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui ont violé les droits garantis par la Charte à la personne accusée. Selon le cadre d’analyse structuré formulé par le juge Laskin de la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Pino[63] et récemment adopté par la Cour suprême dans l’arrêt Tim[64], les facteurs qui encadrent cette analyse sont les suivants :

1)   Les tribunaux appliquent une approche généreuse et fondée sur l’objet visé afin de décider si des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui ont violé les droits garantis à l’accusé par la Charte;

2)   Il faut examiner toute la suite des événements liés à la violation de la Charte et aux éléments de preuve contestés;

3)   La preuve est viciée lorsque l’atteinte et la découverte de la preuve dont l’admissibilité est contestée s’inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite;

4)   Le lien entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés peut être temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien de causalité;

5)   Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2). De telles situations doivent être considérées au cas par cas. Il n’existe pas de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés.

[67]      Dans la présente affaire, l’application de ces facteurs appuie la décision du juge de se livrer à une analyse selon le paragraphe 24(2)[65].

L’absence d’un lien causal atténue l’incidence de la violation du droit à l’avocat de l’appelant sur la découverte des drogues et justifie la mise en balance finale à laquelle se livre le juge. Compte tenu du lien éloigné ou ténu entre la violation du droit à l’avocat de l’appelant et l’obtention des substances saisies, j’estime que c’est à juste titre que le juge a refusé d’exclure la preuve des substances saisies.

[68]      Cela dit, l’arrêt Beaver, postérieur à l’arrêt Tim, apporte une nuance cruciale qui concerne la pertinence d’évaluer la nature du lien causal entre une violation constitutionnelle et l’obtention des éléments de preuve dans l’application du cadre établi par l’arrêt Grant.

[69]      En effet, le juge Jamal y précise ceci : « Dans les cas qui s’y prêtent, l’absence de lien causal entre les violations et l’obtention des éléments de preuve contestés peut atténuer l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte »[66], ce qui influencera inévitablement la mise en balance globale des facteurs du cadre d’analyse de l’arrêt Grant[67], comme en témoigne la décision du juge en l’espèce.

[70]      L’analyse du juge sur la question de ce lien se retrouve aux paragraphes suivants de son jugement[68] :

[162]   Le télémandat a été autorisé à 00 h 10. La dénonciation ne contient aucune observation faite par les policiers alors qu’ils sont à l’intérieur du 5966 Macdonald. Les substances sont saisies après l’émission du télémandat. Les policiers ont saisi les substances puisqu’un télémandat dûment autorisé leur a permis de le faire et non parce qu’ils sont entrés sans mandat. Il n’y a aucun lien causal. L’entrée sans mandat et la perquisition dûment autorisée se font un à la suite de l’autre, à deux moments différents. Il y a un lien contextuel, mais le lien temporel est brisé par l’émission du télémandat. […]

[163]   M. Vadish a demandé à parler à un avocat à 23 h 04. La suspension de son droit à communiquer avec un avocat est justifiée jusqu’à 00 h 24. Le télémandat est autorisé à 00 h 10. La fouille débute à 00 h 20. M. Vadish est privé de son droit de communiquer avec un avocat pendant un peu plus de cinq heures. Il n’y a aucun lien contextuel ou causal entre le non-respect du droit à l’avocat et la saisie des substances. Il y a au mieux un lien temporel ténu.

[Soulignements ajoutés]

[71]      À mon avis, la conclusion du juge est conforme à l’analyse proposée par le juge Jamal dans l’arrêt Beaver : l’absence d’un lien causal atténue l’incidence de la violation du droit à l’avocat de l’appelant sur la découverte des drogues et justifie la mise en balance finale à laquelle se livre le juge aux paragraphes 162 à 165 de sa décision.

[72]      Compte tenu du lien éloigné ou ténu entre la violation du droit à l’avocat de l’appelant et l’obtention des substances saisies, j’estime que c’est à juste titre que le juge a refusé d’exclure la preuve des substances saisies.