Nguene Nguene c. R., 2023 QCCA 943
La qualification de la gravité des voies de fait
[49] Quant à la nature de la blessure, je conviens que le législateur a adopté une hiérarchie de blessures pour distinguer le geste illégal qui cause des lésions corporelles de celui qui blesse, mutile, défigure ou met en danger la vie.
[50] Selon la juge, les images sont claires et nettes et l’amènent à conclure que la victime a perdu conscience lorsqu’elle tombe sans retenue au sol. Il s’agit manifestement d’une perte de conscience. Mais il y a plus; les blessures constatées par la suite constituent aussi des voies de faits graves au sens de la jurisprudence.
[51] À ce sujet, on lira l’intéressante revue de la jurisprudence sur la définition de « blessure » dans R. c. Pootlass, 2019 BCCA 96, par. 27-113. Au paragraphe 115, la Cour conclut que « a break in the continuity of the whole skin that constitutes a substantial interference with the physical integrity or well-being of the complainant » et, au paragraphe 116, que « [a] cut that requires five stitches or staples is a substantial interference with someone’s physical integrity. The trial judge’s mistaken reliance on a requirement that the injury be permanent or long lasting is the only thing that prevented him from convicting Mr. Pootlass of aggravated assault. » Il y a aussi des remarques pertinentes faites par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. McPhee, 2018 ONCA 1016, au sujet de la mutilation où, au paragraphe 41, la Cour écrit que « permanence is not always required also makes sense, given modern medicine’s increasing ability to correct or repair what were once thought to be permanent injuries. » Cela rejoint la réflexion dans l’arrêt Pootlass, lorsque la blessure est sérieuse.
[52] Bref, les blessures subies par Poggio, comme en témoignent les policiers Totera et Guimond, se qualifient de voies de fait graves.
Il est maintenant acquis que la suspension du droit à l’avocat sera justifiée en présence de circonstances exceptionnelles : si la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, s’il existe un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise.
[65] Les policiers ne peuvent pas suspendre le droit à l’avocat simplement pour se faciliter le travail : R. c. Simon, 2022 QCCA 634. À l’évidence, un individu en état d’arrestation est entièrement sous le contrôle des policiers. Le risque de l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat est que ce contact avec l’extérieur compromette l’opération policière.
[66] Le juge Wagner, alors juge à notre Cour, reconnaît dans l’arrêt Archambault, comme l’écrit la juge d’instance, qu’il « est maintenant acquis que la suspension du droit à l’avocat sera justifiée en présence de circonstances exceptionnelles : si la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, s’il existe un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise » : R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, par. 36; R. c. Lapaix, 2021 QCCQ 8604, par. 38.
[67] Dans l’arrêt Archambault, l’enquête policière établissait que ce dernier était en contact régulier avec un criminel violent appartenant à un gang de rue. Les policiers étaient en observation d’un entrepôt où Archambault et un dénommé Scallon s’affairaient à la fabrication d’armes illégales. Ayant entrepris les démarches pour obtenir un mandat de perquisition, les policiers avaient constaté alors que les deux individus s’apprêtaient à quitter les lieux et, craignant qu’ils transportent avec eux des armes, ils avaient décidé de procéder à leur arrestation. Les individus ont été informés que l’exercice de leur droit constitutionnel était suspendu jusqu’à l’obtention du mandat de perquisition et, dans l’attente, ils ont été laissés, menottés, dans les véhicules de police.
[68] Sept perquisitions avaient finalement eu lieu dans autant d’endroits. Dans cette affaire, les policiers invoquaient « [l’]urgence de préserver des éléments de preuve et que l’exercice du droit à l’avocat risquait de compromettre l’enquête policière en cours. » : Archambault, précité, par. 30.
[69] Les policiers avaient justifié la suspension en avançant deux raisons liées, soit qu’il y avait plusieurs perquisitions à réaliser après les arrestations et que, si une communication avec l’avocat était autorisée, le détenu pouvait lui demander, pour des motifs en apparence légitimes, de communiquer avec un tiers comme son père, sa mère ou sa copine. L’avocat, en toute bonne foi, mettrait ainsi en péril l’opération policière et la preuve à être saisie : Archambault, précité, par. 40.
[70] Ces justifications ont été rejetées, car sans fondement : Archambault, par. 37. Plus particulièrement, le juge Wagner rejette l’idée que le contact avec un officier de justice, sans plus, pose un risque réaliste de compromettre une opération policière. Il écrit : « Je ne peux me résoudre à accepter que l’exercice du recours à la consultation d’un avocat puisse générer dans l’esprit des enquêteurs une crainte suffisante qui peut, à elle seule, justifier la suspension de cet important droit constitutionnel » : Archambault, précité, par. 42.
L’examen du lien temporel n’implique pas nécessairement l’élimination de la recherche du lien de causalité. Même s’il est vrai qu’un lien temporel très fort est susceptible de militer en faveur de la conclusion que les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte au droit constitutionnel, la pertinence d’examiner le lien de causalité n’a pas été complètement écartée.
[81] En revanche, même si la juge le fait de manière subsidiaire et que sa décision n’a alors droit à aucune déférence, je partage sa conclusion que le lien entre la violation et la perquisition est si ténu que l’exclusion de la preuve, d’une arme à feu de surcroît, n’est pas justifiée.
[82] Encore une fois, les propos du juge Wagner, alors juge à la Cour d’appel, rappellent dans l’arrêt Archambault que « [l]’examen du lien temporel n’implique pas nécessairement l’élimination de la recherche du lien de causalité. Même s’il est vrai qu’un lien temporel très fort est susceptible de militer en faveur de la conclusion que les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte au droit constitutionnel, la pertinence d’examiner le lien de causalité n’a pas été complètement écartée. » : R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, par. 57.
[83] Ces propos se sont confirmés dans la jurisprudence et plus récemment dans l’arrêt Tim qui réitère que :
Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2) (Mack, par. 38; Wittwer, par. 21; R. c. Goldhart, 1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 463, par. 40; Strachan, p. 1005‑1006). De telles situations doivent être considérées au cas par cas. Il n’existe pas « de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés » (Strachan, p. 1006).
R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 78.
[84] En l’espèce, l’absence de lien est flagrante. En outre, le comportement des policiers est autrement exemplaire et aucun autre reproche ne peut leur être adressé. L’exclusion de la preuve dans les circonstances déconsidérerait l’administration de la justice.
La possession et la notion de contrôle
[93] Cela étant dit, l’appelant a raison que le seul fait d’occuper une pièce n’entraîne pas la possession, au sens du Code criminel, de ce qui s’y trouve : R. v. Bertucci, (2002), 2002 CanLII 41779 (ON CA), 169 CCC (3d) 453, par. 18 (C.A.O.); R. v. Watson, 2011 ONCA 437, par. 13; R. v. Choudhury, 2021 ONCA 560, par. 19. Le même raisonnement a été appliqué pour des choses trouvées dans un véhicule conduit par un accusé. Si le fait d’avoir la garde et le contrôle d’un véhicule peut contribuer à la démonstration d’une possession au sens du Code criminel, ce seul fait ne crée aucune présomption : R. v. Lincoln, 2012 ONCA 542, par. 2-3.
[94] Il demeure que le fait d’occuper une pièce autorise parfois le juge des faits à tirer l’inférence que les choses qui s’y trouvent sont, au sens du Code criminel, en possession de l’occupant « en tenant compte de la norme de preuve applicable dans une affaire criminelle [c’est-à-dire] que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable qui pouvait être tirée de l’ensemble de la preuve » : R. c. Villaroman, 2016 CSC 33 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55.
[95] En d’autres mots, « lorsqu’une personne est l’occupant d’une chambre, un appartement où une maison où des stupéfiants sont retrouvés, un juge peut être justifié d’inférer que cette personne connaissait la présence des stupéfiants et qu’il exerçait des mesures de contrôle sur ceux-ci, selon l’ensemble des circonstances mis en preuve » : R. c. Brideau, 2022 QCCA 452, par. 9 (je souligne), citant R. c. Landry, 2017 QCCA 729 qui s’appuyait sur les auteurs Bruce MacFarlane, Robert Frater et Chantal Proulx, Drug Offences in Canada, 3e éd., vol. 1, Aurora, Canada Law Book, 2009, (feuilles mobiles, mise à jour n° 125, mars 2016), n° 3:1734., par. 4.3700.
[96] Notre Cour, dans l’arrêt Landry, accepte qu’une chambre à coucher soit un endroit privé et qu’il s’agisse d’un élément pertinent dans l’évaluation : R. c. Landry, 2017 QCCA 729, par. 6. Il faut ensuite examiner les circonstances. Dans cette affaire, il y avait plus. La Cour y note que « [l]’appelante contrôlait ce qui pouvait se trouver dans son appartement comme en fait foi notamment sa décision d’interdire à l’occupant Robichaud d’y emmener et d’y entreposer des armes à feu. Cela était encore plus vrai en ce qui a trait à sa chambre à coucher… » : Landry, par. 6.
[97] Il est permis de la même façon d’inférer la possession lorsque l’objet illégal se trouve dans une boîte au milieu de la principale pièce de vie d’une petite unité d’habitation qu’occupe l’accusé avec sa famille depuis plusieurs années : R. v. Singh (J.), 2004 BCCA 428, par. 12; R. v. MacLeod, 2013 MBCA 48, par. 39. La même chose si une arme se trouve dans un sac au pied d’un passager d’une voiture : R. c. Vernelus, 2022 QCCA 138, conf. sommairement à 2022 CSC 53.