R. c. Aubie, 2024 QCCA 1677

Même lorsque l’accent doit être mis sur la dénonciation et la dissuasion, le principe de modération dicte qu’un délinquant ne devrait pas être coupé de la société sauf lorsque nécessaire

[65]      En l’espèce, le juge de la peine admet avec franchise avoir changé d’opinion quant à ce qui constituerait une peine proportionnelle et indiquée entre la déclaration de culpabilité de l’accusé et le prononcé de la peine. Il explique avoir initialement estimé qu’une peine d’emprisonnement était indiquée, mais avoir ultimement opté pour une suspension de la peine pendant trois ans, assortie de diverses ordonnances accessoires relatives à la probation.

[66]      Dans ses motifs, le juge souligne le rapport présentenciel favorable présenté à la cour, mais insiste surtout sur deux facteurs en particulier qui l’ont fait changer d’avis. Premièrement, et il semble s’agir du facteur le plus important, l’intimé a non seulement exprimé des remords sincères relativement à sa conduite, mais il a également apporté la preuve qu’après l’infraction, il s’était engagé sur le chemin de la réhabilitation et poursuivrait probablement sur ce chemin. L’intimé a cessé de consommer de l’alcool et d’autres stupéfiants. Il s’est dit disposé à suivre d’autres traitements.

[67]      Outre ces considérations, la déclaration de la victime, dans laquelle la victime concluait en pardonnant à l’intimé sa conduite et en lui souhaitait un avenir meilleur, a été un facteur pertinent.

[68]      En somme, le juge a conclu que la perspective d’une réhabilitation véritable et complète rendait moins appropriée une peine se limitant aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[69]      Les considérations du juge et cette conclusion générale sont, à mon avis, irréprochables.

[70]      Les principes ordinaires de détermination de la peine commandent une déférence de la part des cours de révision envers les conclusions du juge de la peine, à moins que la peine ne soit manifestement pas indiquée ou qu’elle soit entachée d’une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination finale. Cet appel à la réserve s’applique à l’évaluation des considérations juridiques à prendre en compte, mais il vaut avec plus de force encore pour les conclusions de fait du juge de la peine.

[71]      Il en va différemment de la transposition de la conclusion générale du juge en l’énoncé concret d’une peine. Les facteurs rédempteurs présents dans l’espèce n’évincent pas l’impératif que les sentences prononcées pour ce type d’infractions accordent une grande importance aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est pourquoi une peine proportionnelle comportera généralement une privation importante de liberté; toutefois, celle-ci ne prendra pas nécessairement la forme d’une incarcération dans un établissement carcéral. Même lorsque l’accent doit être mis sur la dénonciation et la dissuasion, le principe de modération dicte qu’un délinquant ne devrait pas être coupé de la société sauf lorsque nécessaire. Les principes et objectifs de la détermination de la peine interagissent pour mener au prononcé d’une peine proportionnelle et appropriée.

[72]      Je suis d’avis que le juge a commis une erreur de principe en prononçant une peine suspendue, qui ne reflétait pas adéquatement les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Les conclusions de fait qu’il a tiré en l’espèce justifiaient amplement ses considérations sur l’espoir et la réhabilitation, mais il existe d’autres options permettant d’atteindre le résultat recherché sans recourir à une suspension de la peine. Le défaut d’appliquer le principe de modération en envisageant ces options dans des circonstances qui s’y prêtaient est une erreur justifiant l’infirmation de la décision[50].

[73]      Un emprisonnement avec sursis est une privation de liberté, susceptible de répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion à l’égard d’une peine par ailleurs proportionnelle. Il ne permet aucune remise de peine et peut être assorti de limites hautement restrictives pour une période de deux ans moins un jour. Il peut constituer une peine sévère et est souvent plus sévère qu’une peine d’emprisonnement dans un établissement carcéral. Dans les circonstances de l’espèce, un emprisonnement avec sursis préserverait l’espoir d’une réhabilitation tout en respectant le principe de modération[51]. C’est là l’un des objectifs qui a motivé sa création. Le dossier ne fait apparaître aucune raison de soustraire l’intimé à la société. Il ne présente aucun danger apparent pour la société; plus que préservé, l’espoir qu’il soit réhabilité doit être cultivé.

L’emprisonnement avec sursis est susceptible de préserver l’espoir de réhabilitation de l’intimé et d’encourager sa réinsertion sociale, tout en imposant de sérieuses contraintes à sa liberté qui permettront de réaliser les objectifs correctifs de la peine.

[95]      À mon avis, l’emprisonnement avec sursis est susceptible de préserver l’espoir de réhabilitation de l’intimé et d’encourager sa réinsertion sociale, tout en imposant de sérieuses contraintes à sa liberté qui permettront de réaliser les objectifs correctifs de la peine. De telles contraintes auront, à mon avis, des effets dénonciateur et dissuasif suffisants.

[96]      Ainsi, vu les circonstances particulières de l’affaire, et considérant l’ensemble des facteurs, dont les facteurs aggravants dont je propose une lecture plus nuancée que mon collègue, et puisque j’estime que l’intimé présente une perspective favorable de réhabilitation, telle que reflétée dans sa capacité d’introspection et sa responsabilisation depuis sa déclaration de culpabilité, je propose un emprisonnement avec sursis pour une durée de vingt-quatre mois moins un jour, assortie de conditions sévères. Selon moi, il s’agit d’une alternative à l’incarcération qui est souhaitable et susceptible de préserver l’espoir d’une réhabilitation, tout en respectant le principe de modération auquel fait référence mon collègue Healy en s’inspirant des propos du juge Cournoyer dans Bachou c. R. [57].