Lefebvre c. R., 2021 QCCA 1548

Le juge du procès doit soumettre à l’appréciation du jury tous les moyens de défense vraisemblables, et ce, peu importe que l’accusé les ait expressément invoqués ou non.

[24] Les principes entourant la décision de soumettre un moyen de défense au jury ne sont pas controversés.

[25] Le juge du procès doit soumettre à l’appréciation du jury tous les moyens de défense vraisemblables, et ce, peu importe que l’accusé les ait expressément invoqués ou non. Un moyen de défense est vraisemblable s’il peut permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de l’appliquer[1]. Lorsqu’il analyse la vraisemblance d’un moyen, le juge du procès doit tenir pour avérés tous les éléments de preuve produits par l’accusé[2].

[26] Le juge du procès ne doit pas se demander s’il est probable ou improbable que le moyen de défense soit retenu, en fin de compte. Il appartient au jury de trancher la question au fond[3].

[27] De plus, deux facteurs cruciaux encadrent la décision du juge au sujet de l’application du critère de la vraisemblance d’une défense : 1) l’interprétation de la preuve la plus favorable à l’accusé doit être adoptée[4] et 2) dans le doute, la défense doit être laissée à l’appréciation du jury[5].

[28] Cela dit, quel est l’impact de l’omission de l’appelant de ne pas soulever ce moyen de défense lors du procès?

La renonciation d’un accusé à présenter un moyen de défense ne lie pas le juge du procès, qui a l’obligation de soumettre à l’évaluation du jury tout moyen de défense vraisemblable et même, s’il le faut, de passer outre à l’opposition ou à l’opinion exprimée par l’avocat de l’accusé.

[29] Comme l’explique notre Cour dans l’arrêt Carrier c. R.[6], la renonciation d’un accusé à présenter un moyen de défense ne lie pas le juge du procès, qui a l’obligation de soumettre à l’évaluation du jury tout moyen de défense vraisemblable et même, s’il le faut, de passer outre à l’opposition ou à l’opinion exprimée par l’avocat de l’accusé.

[30] Ainsi, la position de l’avocat de l’appelant lors du procès doit être considérée, mais celle-ci n’est pas toujours déterminante[7], et ce, même si elle résulte d’un choix stratégique[8].

[31] En effet, la question du choix stratégique s’évalue avec certaines nuances lorsque le dossier met en cause le devoir du juge de soumettre un moyen de défense à l’attention du jury. En cette matière, ce devoir existe indépendamment du choix de l’accusé et de son droit de contrôler sa défense.

[32] Dans l’arrêt R. c. Caron[9] , le juge Proulx évoque un cas de figure similaire à la présente affaire :

[21] Il ne s’agit pas ici de l’hypothèse où un accusé, maître de sa défense, choisirait de ne pas diluer son moyen de légitime défense en ne plaidant pas la provocation comme solution alternative, bien qu’un « fondement factuel » justifierait la provocation: le juge, dans ses directives, devrait soumettre néanmoins cette alternative. Rien ne s’oppose à ce que si l’accusé échoue sur son moyen de défense principal il puisse néanmoins être déclaré coupable d’une offense moindre, comme l’homicide involontaire coupable, en raison de la provocation.

[Soulignement ajouté]

[33] Dans l’arrêt Cinous, la juge Arbour, dissidente, mais pas sur cette question, explique que l’évaluation de toute omission stratégique d’un avocat doit être jaugée en soupesant la vraisemblance d’une défense et la question de savoir si la preuve qui l’appuie constitue un cas frontière :

Lorsque la preuve révèle nettement l’existence d’un moyen de défense, le juge ne devrait pas s’abstenir de donner au jury des directives sur ce moyen de défense du seul fait qu’il peut donner lieu à un verdict moins favorable à l’accusé. Toutefois, dans les cas limites, la cour d’appel qui doit décider si le juge du procès a commis une erreur en ne soumettant pas au jury un moyen de défense subsidiaire peut, le cas échéant, tenir compte du fait que c’est l’avocat expérimenté de l’accusé qui a pris la décision stratégique de ne pas invoquer ce moyen de défense au procès[10].

[Soulignement ajouté]

[34] La présente affaire ne constitue pas un cas limite, car la preuve révèle clairement la vraisemblance de la provocation qui, à l’instar de l’affaire R. c. Buzizi[11], s’entremêle avec la légitime défense.