R. c. Lozada, 2024 CSC 18

Les réponses aux questions du jury requièrent un soin particulier, parce que leur effet dépasse celui des directives données dans l’exposé final.

[14] Lorsqu’elles examinent des directives au jury, les cours d’appel appliquent une démarche fonctionnelle et se demandent si le jury a reçu, non pas des directives parfaites, mais des directives appropriées, de sorte qu’il était outillé pour trancher l’affaire selon la loi et la preuve (R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 4 et 35‑37; R. c. Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 R.C.S. 301, par. 8‑9; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 62). Fait important, les directives doivent être considérées dans leur ensemble (Abdullahi, par. 35). Les directives au jury doivent être adaptées à la preuve et exposer les règles de droit dans un langage simple et compréhensible (R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 29‑32). Les réponses aux questions du jury requièrent un soin particulier, parce que leur effet dépasse celui des directives données dans l’exposé final (R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 139; Abdullahi, par. 42).

[16] Pour ce qui est de l’outil d’analyse de la prévisibilité raisonnable, il n’est pas nécessaire que l’agression subséquente précise soit raisonnablement prévisible. « [I]l suffit [plutôt] que la nature générale de l’acte intermédiaire et le risque de préjudice non négligeable soient objectivement prévisibles au moment des actes dangereux et illégaux » (Maybin, par. 34). La juge Karakatsanis a également affirmé que l’analyse de la prévisibilité raisonnable consiste à se demander si « les actes [intermédiaires] et le préjudice qu’ils ont réellement causé découlaient raisonnablement de la conduite » de l’accusé (par. 38). Par contre, l’arrêt Maybin n’exige pas qu’il soit « possible de prévoir la nature de l’acte intermédiaire avec une certaine précision » (par. 37). « Exiger simplement que le risque de lésions corporelles non négligeables soit raisonnablement prévisible n’aide pas [. . .] à trancher la question de la culpabilité morale » (par. 38).

[17] Les circonstances de l’affaire Maybin illustrent le type de précision nécessaire lorsqu’on emploie l’outil d’analyse de la prévisibilité raisonnable. La juge Karakatsanis a rejeté l’argument de la défense selon lequel il importait que l’agression commise par le portier contre la victime inconsciente n’était pas raisonnablement prévisible. Il suffisait pour le juge du procès de conclure que « dans le contexte d’une bagarre qui dégénère dans un bar, il était raisonnablement prévisible qu’un préjudice non négligeable supplémentaire résulterait de l’intervention d’autres clients et du personnel du bar » (par. 41). La question pertinente était de savoir, de façon plus générale, s’il y avait un risque de préjudice découlant d’interventions de tiers en raison de la conduite de l’accusé.