Les réponses aux questions du jury requièrent un soin particulier, parce que leur effet dépasse celui des directives données dans l’exposé final.
[14] Lorsqu’elles examinent des directives au jury, les cours d’appel appliquent une démarche fonctionnelle et se demandent si le jury a reçu, non pas des directives parfaites, mais des directives appropriées, de sorte qu’il était outillé pour trancher l’affaire selon la loi et la preuve (R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 4 et 35‑37; R. c. Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 R.C.S. 301, par. 8‑9; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 62). Fait important, les directives doivent être considérées dans leur ensemble (Abdullahi, par. 35). Les directives au jury doivent être adaptées à la preuve et exposer les règles de droit dans un langage simple et compréhensible (R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 29‑32). Les réponses aux questions du jury requièrent un soin particulier, parce que leur effet dépasse celui des directives données dans l’exposé final (R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 139; Abdullahi, par. 42).
Dans les cas où un acte intermédiaire aurait rompu le lien de causalité entre les actes de l’accusé et la mort de la victime, se demander si l’acte intermédiaire était raisonnablement prévisible ou constituait un facteur indépendant peut se révéler un outil d’analyse utile, mais le critère général de la cause ayant contribué de façon appréciable est la norme applicable en droit
[16] Pour ce qui est de l’outil d’analyse de la prévisibilité raisonnable, il n’est pas nécessaire que l’agression subséquente précise soit raisonnablement prévisible. « [I]l suffit [plutôt] que la nature générale de l’acte intermédiaire et le risque de préjudice non négligeable soient objectivement prévisibles au moment des actes dangereux et illégaux » (Maybin, par. 34). La juge Karakatsanis a également affirmé que l’analyse de la prévisibilité raisonnable consiste à se demander si « les actes [intermédiaires] et le préjudice qu’ils ont réellement causé découlaient raisonnablement de la conduite » de l’accusé (par. 38). Par contre, l’arrêt Maybin n’exige pas qu’il soit « possible de prévoir la nature de l’acte intermédiaire avec une certaine précision » (par. 37). « Exiger simplement que le risque de lésions corporelles non négligeables soit raisonnablement prévisible n’aide pas [. . .] à trancher la question de la culpabilité morale » (par. 38).
[17] Les circonstances de l’affaire Maybin illustrent le type de précision nécessaire lorsqu’on emploie l’outil d’analyse de la prévisibilité raisonnable. La juge Karakatsanis a rejeté l’argument de la défense selon lequel il importait que l’agression commise par le portier contre la victime inconsciente n’était pas raisonnablement prévisible. Il suffisait pour le juge du procès de conclure que « dans le contexte d’une bagarre qui dégénère dans un bar, il était raisonnablement prévisible qu’un préjudice non négligeable supplémentaire résulterait de l’intervention d’autres clients et du personnel du bar » (par. 41). La question pertinente était de savoir, de façon plus générale, s’il y avait un risque de préjudice découlant d’interventions de tiers en raison de la conduite de l’accusé.
[17] Les circonstances de l’affaire Maybin illustrent le type de précision nécessaire lorsqu’on emploie l’outil d’analyse de la prévisibilité raisonnable. La juge Karakatsanis a rejeté l’argument de la défense selon lequel il importait que l’agression commise par le portier contre la victime inconsciente n’était pas raisonnablement prévisible. Il suffisait pour le juge du procès de conclure que « dans le contexte d’une bagarre qui dégénère dans un bar, il était raisonnablement prévisible qu’un préjudice non négligeable supplémentaire résulterait de l’intervention d’autres clients et du personnel du bar » (par. 41). La question pertinente était de savoir, de façon plus générale, s’il y avait un risque de préjudice découlant d’interventions de tiers en raison de la conduite de l’accusé.
L’arrêt Strathdee n’écarte pas la possibilité qu’une directive traite d’un « événement distinct ou intermédiaire » même dans le cas de coauteurs d’une agression en groupe.
[28] La possibilité qu’un acte intermédiaire survienne dans le contexte d’une agression en groupe a été envisagée par notre Cour dans l’arrêt R. c. Strathdee, 2021 CSC 40, par. 4 :
Il y a responsabilité comme auteur conjoint/coauteur dans tous les cas où deux individus ou plus se rassemblent dans l’intention de commettre une infraction, sont présents durant la perpétration de l’infraction et y contribuent. Dans le contexte de l’homicide involontaire coupable, le juge des faits doit s’attacher à la question de savoir si les actes de l’accusé ont constitué une cause ayant contribué de façon appréciable au décès, plutôt que se demander quel agresseur a infligé quelle blessure ou si toutes les blessures ont été causées par un seul individu. Dans le contexte d’agressions en groupe, en l’absence d’un événement distinct ou intermédiaire, les actes de tous les assaillants peuvent constituer une cause ayant contribué de façon appréciable à toutes les blessures subies. [Je souligne.]
[29] L’examen de la causalité est particulier à chaque cas et repose sur les faits. Il n’existe pas d’unique critère ou d’unique indicateur permettant de déterminer si un acte donné a rompu le lien de causalité. La question à laquelle il faut répondre dans l’examen de la responsabilité conjointe en tant que coauteurs au sens de l’al. 21(1)a) consiste à se demander si les actes illégaux de l’accusé ont contribué de façon appréciable à la mort de la victime (Maybin, par. 18‑29). L’arrêt Strathdee n’écarte pas la possibilité qu’une directive traite d’un « événement distinct ou intermédiaire » même dans le cas de coauteurs d’une agression en groupe.
[30] Par conséquent, je rejette l’argument avancé par la Couronne devant notre Cour selon lequel l’acte du coauteur d’une agression en groupe ne peut jamais déclencher l’application de la doctrine de l’acte intermédiaire.