Pour déterminer s’il y a lieu de donner des directives de type W.(D.), le juge du procès doit déterminer si, à supposer qu’elle soit exacte, la preuve exclurait la possibilité de la culpabilité, auquel cas, il doit expliquer aux membres du jury que s’ils croient les éléments de preuve disculpatoires ou si ceux-ci suscitent en eux un doute raisonnable, ils doivent prononcer l’acquittement.
[22] Toutefois, donner des directives de type W.(D.) concernant la couleur des cheveux de l’intimé alors que cet élément n’était pas à lui seul automatiquement disculpatoire constituait une erreur. Comme l’honorable Paciocco, j.c.a., l’a expliqué dans l’arrêt R. v. Panovski, pour déterminer s’il y a lieu de donner des directives de type W.(D.), le juge du procès doit déterminer si, à supposer qu’elle soit exacte, la preuve exclurait la possibilité de la culpabilité[5], auquel cas, il doit expliquer aux membres du jury que s’ils croient les éléments de preuve disculpatoires ou si ceux-ci suscitent en eux un doute raisonnable, ils doivent prononcer l’acquittement[6]. Cependant, une telle directive ne doit être donnée que dans les cas où l’élément de preuve disculpatoire en question exclut la possibilité d’un verdict de culpabilité.
[23] L’intimé cite la décision dans l’affaire R. v. T.L. à l’appui de l’inclusion d’une telle directive lorsque la description de l’auteur du crime donnée par le témoin est sensiblement différente des caractéristiques de l’accusé[7]. Dans cette affaire, quatre témoins indépendants avaient décrit le voleur comme un homme noir alors que l’appelant était blanc. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que cette preuve d’identification était disculpatoire et qu’une directive complète fondée sur l’arrêt W.(D.) ou une directive équivalente s’imposait[8] :
[6] [traduction] […] Les divergences entre la description du voleur et l’apparence véritable de l’appelant n’étaient pas seulement importantes, mais elles portaient sur des caractéristiques évidentes et facilement discernables, comme la couleur de peau. On voit difficilement comment la déposition de quatre témoins indépendants qui ont décrit le voleur comme étant noir pourrait ne pas créer de doute lorsque l’accusé est blanc. Nous relevons également que les mêmes descriptions ont été données par quatre personnes différentes qui ont assisté à deux événements distincts. Ce fait nous permet également de penser que le potentiel d’un doute raisonnable fondé sur la preuve d’identification disculpatoire était élevé en l’espèce.[9]
[Soulignement ajouté]
[24] Dans l’affaire T.L., si les jurés avaient conclu que le voleur était un homme noir (ou s’ils avaient un doute raisonnable à ce sujet), il leur aurait été impossible de déclarer un homme blanc coupable des chefs d’accusation. Cette situation diffère de l’espèce, où la conclusion que le tireur était blond – que le jury pouvait tirer – n’était pas nécessairement disculpatoire. Cette conclusion n’emporte pas inexorablement celle qu’un homme aux cheveux bruns ne pouvait pas être le tireur, bien qu’il ait été décrit comme ayant les cheveux blonds lors du crime.
Une dissemblance quant à une caractéristique de la personne que l’on cherche à identifier peut être plus révélatrice qu’un point commun. Toutefois, cela n’est vrai que si la dissemblance ne porte pas sur une caractéristique qui peut être aisément modifiée par exemple en changeant de vêtement ou de coiffure.
[25] Contrairement à la couleur de peau, des caractéristiques physiques comme la couleur et la longueur des cheveux peuvent facilement être modifiées ou dissimulées. Comme l’honorable Thorburn (alors j.c.s.) l’a écrit dans R. v. Alexandre, [traduction] « une dissemblance quant à une caractéristique de la personne que l’on cherche à identifier peut être plus révélatrice qu’un point commun. Toutefois, cela n’est vrai que si la dissemblance ne porte pas sur une caractéristique qui peut être aisément modifiée par exemple en changeant de vêtement ou de coiffure »[10]. Cette observation est particulièrement pertinente en l’espèce, puisque l’auteur du crime a manifestement pris des mesures pour masquer son identité.
[26] En donnant une directive de type W.(D.) selon laquelle le jury devait acquitter l’intimé s’il croyait que le tireur était blond ou s’il avait un doute raisonnable à ce sujet, le juge a isolé un élément de preuve qui n’excluait pas la possibilité que l’intimé soit le tireur et, partant, il a commis une erreur de droit en instruisant le jury d’appliquer le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable à un unique élément de preuve plutôt qu’à l’ensemble de la preuve[11].
[27] Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt R. c. Morin, « [o]n devrait dire au jury que les faits ne doivent pas être examinés séparément et isolément en regard de la norme en matière criminelle[12]. » La Cour suprême a réaffirmé cette règle dans un arrêt ultérieur portant le même intitulé, en déclarant :
Dans l’arrêt R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, nous avons décidé que le juge du procès avait commis une erreur, dans son exposé, lorsqu’il a invité le jury à examiner des éléments de preuve individuels et à leur appliquer un à un la norme en matière criminelle. Nous avons conclu que la norme en matière criminelle devait être appliquée à la question ultime à trancher et non à l’évaluation d’éléments de preuve individuels. Quant à l’évaluation de la preuve, la façon dont le jury devait apprécier des éléments de preuve individuels n’était pas une question de droit à l’égard de laquelle le juge du procès était tenu de lui donner des directives. L’exigence fondamentale était d’expliquer aux jurés qu’ils devaient examiner l’ensemble de la preuve pour décider si la culpabilité de l’accusé avait été établie hors de tout doute raisonnable.[13]
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[28] L’appelant étant le ministère public, il ne lui suffit pas d’établir l’existence d’une erreur de droit. Il doit aussi convaincre la Cour « avec un degré raisonnable de certitude » et « compte tenu des faits concrets de l’affaire » que l’erreur en question a eu une incidence significative sur l’acquittement[14]. Ce fardeau est particulièrement lourd, mais ne va pas jusqu’à imposer à la poursuite de démontrer que l’issue du procès aurait nécessairement été différente[15].
[29] En l’espèce, la directive fautive imposait au jury le devoir de prononcer l’acquittement s’il concluait que le tireur était blond (ou s’il avait un doute raisonnable à ce sujet). Il n’est pas déraisonnable de présumer que le jury a eu un tel doute raisonnable sur la couleur blonde des cheveux du tireur, compte tenu que deux témoins ont témoigné en ce sens. Par conséquent, il existe une possibilité distincte que la directive fautive ait conduit le jury à ignorer la preuve dans son ensemble – à savoir le reste des éléments de preuve circonstanciels incriminants – et ait ainsi eu une incidence significative sur le verdict.