Bélanger c. R., 2022 QCCA 1726

La démonstration du double standard doit être convaincante et il faut pointer avec précision où, dans le raisonnement du juge, il se trouve.

[12]      Il convient de reconnaitre que l’appréciation de la crédibilité des témoins est une question de fait et seule une erreur manifeste et déterminante permet d’intervenir en appel[3]. En revanche, l’application d’un double standard dans l’appréciation de la preuve testimoniale est une erreur de droit[4].

[13]      En l’espèce, la juge a procédé à l’analyse des versions contradictoires à l’aune de l’approche élaborée dans l’arrêt R. c. W.(D.)[5]. L’objectif premier de ce « test » est de s’assurer que les juges appliquent correctement le fardeau de preuve qui incombe exclusivement au ministère public[6]. L’approche en trois étapes[7]développée par la Cour suprême a l’avantage d’éviter de renverser le fardeau de preuve indument sur l’accusé. Il faut cependant garder à l’esprit que l’évaluation de la crédibilité demeure un processus qui repose sur une appréciation de l’ensemble de la preuve[8].

[14]      Par ailleurs, le juge n’a pas à expliquer comment il résout chacune des contradictions « dans la mesure où il est possible de discerner logiquement les conclusions qui relient la preuve au verdict »[9]. Dans le même ordre d’idée, il n’a pas à décrire chacun des facteurs qu’il retient pour en venir à une conclusion sur la crédibilité[10].

[15]      Toutefois, le juge ne doit pas soumettre l’appréciation de la crédibilité des témoins à un double standard[11], mais le seul fait de trancher une question de crédibilité « ne permet pas de conclure à un déséquilibre dans l’appréciation de la preuve ou à un renversement du fardeau de preuve au détriment de la présomption d’innocence »[12]. La démonstration du double standard doit être convaincante et il faut pointer avec précision où, dans le raisonnement du juge, il se trouve[13]. L’appelant a donc un lourd fardeau devant cette Cour, qu’il échoue à rencontrer. Il est évident qu’il diffère d’opinion avec la juge sur le poids à accorder aux différents témoignages, mais cela est insuffisant pour renverser un verdict.

Une évaluation adéquate des témoignages n’est pas tributaire de la présence de motifs « égaux sur un plan quantitatif ».

[16]      Faut-il le rappeler, une évaluation adéquate des témoignages n’est pas tributaire de la présence de motifs « égaux sur un plan quantitatif »[14]. Ainsi, le seul fait de consacrer quelques paragraphes de plus au témoignage de l’appelant n’est pas une démonstration convaincante d’un double standard.

[17]      Il est manifeste que la juge accorde peu de crédibilité à l’appelant, puisque sa version des faits est évolutive, diffère sur des aspects importants entre l’interrogatoire policier et le procès et est contredite par le reste de la preuve.

[18]      En ce qui concerne les plaignants, la juge ne passe pas sous silence les lacunes dans leurs témoignages ni n’en banalise l’impact. Elle estime seulement que les contradictions et hésitations s’expliquent, notamment par l’état émotionnel de la plaignante et le manque de préparation du plaignant. De plus, leurs versions sont corroborées par le reste de la preuve, y compris, en partie, par le témoignage de l’appelant[15]. Ce dernier constat fait échec à la prétention de l’appelant sur l’omission d’évaluer la fiabilité des témoignages. La juge procède bel et bien à cette analyse.

Note en bas de page [15] L’analyse de la fiabilité peut être implicite, mais cette Cour doit être en mesure d’attester qu’elle a été faite. Voir : R. v. Kishayinew, 2019 SKCA 127, paragr. 64 confirmé en partie dans 2020 CSC 34; R. v. Slatter, 2019 ONCA 807, paragr. 151 confirmé en partie dans 2020 CSC 36.

[19]      Ainsi, sans explication convaincante permettant de saisir pourquoiles failles du témoignage de la plaignante sont de nature à affecter les conclusions de la juge, il est impossible d’intervenir. La version de la plaignante comporte certes nombre d’incohérences et d’exagérations, mais elle est largement corroborée par le témoignage du plaignant dont la crédibilité n’est pas mise en doute.

Verdict déraisonnable : La Cour ne peut intervenir que (1) lorsque le verdict ne peut s’appuyer sur la preuve; ou (2) lorsque le verdict est vicié en raison d’un raisonnement illogique ou irrationnel.

[22]      Pour l’intimé, ce moyen s’apparente à plaider un verdict déraisonnable et une remise en question de la pondération de la preuve par la juge. Il a raison et dans ce contexte la Cour ne peut intervenir que (1) lorsque le verdict ne peut s’appuyer sur la preuve; ou (2) lorsque le verdict est vicié en raison d’un raisonnement illogique ou irrationnel[17].Ces deux formes possibles de verdicts déraisonnables devant juge seul correspondent au verdict dont l’essence même ne peut s’appuyer sur la preuve et pour lequel un acquittement s’impose[18] et celui qui découle d’un raisonnement illogique ou irrationnel, pour lequel une cour d’appel peut ordonner la tenue d’un nouveau procès[19].

Légitime défense : Même si le déroulement rapide des évènements est un facteur important, il ne faut pas automatiquement en conclure que les gestes posés le sont nécessairement pour se défendre. Le mobile de l’appelant peut avoir évolué pour passer de la défense à la réplique en un court laps de temps

[24]      La légitime défense « joue un rôle important en droit et dans la société. […] La préservation de la vie et de l’intégrité physique explique pourquoi le droit permet à quelqu’un de résister à des menaces externes et pourquoi il impose des limites aux gestes commis contre autrui en son nom en réaction à ces menaces. »[20] Le législateur a remanié, en 2013, l’art. 34(2) du C.cr. qui encadre cette défense, afin d’éviter de laisser à la seule appréciation subjective de l’accusé la perception du besoin d’agir pour se défendre. Partant, les trois questions que doivent se poser les juges lorsque la légitime défense est soulevée sont : (1) le catalyseur – la personne accusée doit croire raisonnablement qu’on emploie la force ou qu’on menace de l’employer contre elle ou quelqu’un d’autre; (2) le mobile – le but subjectif de la réaction à l’emploi de la force (ou menace) doit être de se protéger soi-même ou de protéger une autre personne; et (3) la réaction – la personne accusée doit agir de façon raisonnable dans les circonstances[21].

[25]      La première question suppose une évaluation à la fois subjective et objective de la situation. Subjective, car l’accusé doit avoir cru qu’on employait ou menaçait d’employer la force et objective, car cette perception doit être raisonnable dans les circonstances. Cette évaluation est faite à partir du critère bien connu de la personne raisonnable[22].

[26]      Le mobile, de son côté, suppose une évaluation purement subjective du but poursuivi par l’accusé lorsqu’il a eu recours à la force. Le juge doit se demander « s’il [l’accusé] a agi pour faire cesser l’attaque, se protéger ou se défendre, plutôt que de riposter ou se venger »[23]. Le but de l’accusé peut évoluer à mesure qu’un « incident progresse ou s’aggrave »[24]. Néanmoins, il est essentiel de le déterminer, car l’aspect défensif de la réaction est fondamental à l’application de la défense. En revanche, « clarifier le but ne vise pas à classer la conduite de la personne accusée en catégories distinctes, mais plutôt à apprécier le contexte global d’un affrontement, comment il a évolué et le rôle qu’a joué la personne accusée, si elle en a joué un, dans la genèse de cette évolution. »[25]. Il faut donc se garder d’analyser le mobile sans tenir compte de la réalité au moment des évènements. Très souvent, la situation se déroule rapidement et l’accusé n’a pas le temps de bien réfléchir[26].

[27]      Finalement, la réaction s’intéresse à la raisonnabilité de la conduite de l’accusé selon les circonstances de l’espèce. L’analyse normalement objective de ce qui est raisonnable est quelque peu modifiée par les facteurs inscrits au C.cr., car ceux-ci imposent de prendre en compte notamment certaines caractéristiques de l’accusé (article 34(2)e) C.cr.) ainsi que la nature de la relation entre les parties (article 34(2)f), f.1) C.cr.)[27]. L’analyse demeure tout de même principalement objective et s’intéresse à ce que la personne raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances[28].

[28]      La question de savoir ce qui constitue de la légitime défense est une question de droit révisable selon la norme correcte. Néanmoins, l’argumentaire développé par l’appelant correspond plutôt à une allégation de mauvaise application des principes juridiques à la situation factuelle, ce qui nécessite de faire preuve de déférence envers la juge de première instance[29]. Comme mentionné précédemment, son argumentaire s’apparente également à une contestation de la raisonnabilité du verdict.

[29]      En l’espèce, le catalyseur est admis par tous, l’appelant croyait raisonnablement que la force était employée contre lui, puisqu’il a reçu un coup de bâton de baseball dans les côtes. Le litige concerne seulement les deux autres volets de la défense, le mobile et la réaction.

[30]      En ce qui concerne le mobile, la juge estime que l’appelant passe de la défense, lorsqu’il désarme le plaignant, à la réplique, lorsqu’il le frappe au visage. Pour l’appelant cette conclusion fait fi de la situation factuelle dans laquelle il se trouvait et peut être atteinte seulement en omettant d’évaluer « le critère subjectif de la personne qui subit initialement l’attaque ». À son avis, la preuve démontre l’existence d’une atteinte à son intégrité physique, une réaction dans l’intention de se protéger, une maitrise de son assaillant qui ne met pas fin à la crainte pour sa sécurité, une réaction impulsive « dans le feu de l’action », et la peur de se faire attaquer de nouveau s’il laisse partir le plaignant.

[31]      La juge retient de la preuve que l’appelant est contrarié par la présence d’un autre homme dans le lit de la plaignante, qu’il s’introduit chez elle avec l’intention de vérifier ses craintes, qu’il réagit au coup de bâton pour se défendre lorsqu’il immobilise le plaignant au sol, mais que les coups portés au visage sont le résultat de son intention de « répliquer » à la situation qui le dérange. Elle ne parle d’ailleurs pas de vengeance, mais d’une réplique, ce qui est conforme au témoignage de l’appelant. Ainsi, même si le déroulement rapide des évènements est un facteur important, il ne faut pas automatiquement en conclure que les gestes posés le sont nécessairement pour se défendre. Le mobile de l’appelant peut avoir évolué pour passer de la défense à la réplique en un court laps de temps, et c’est ce que retient la juge. D’ailleurs, elle ne croit pas l’appelant lorsqu’il explique pourquoi il frappe le plaignant au visage et cette conclusion est exempte d’erreur révisable. Ainsi, au regard de la preuve présentée, il s’agit d’une conclusion raisonnable et qui est loin d’être irrationnelle.