Parent c. R., 2021 QCCA 1898

Les situations pouvant justifier l’intervention d’une cour d’appel en matière de peine sont bien connues et se limitent à celles exposées dans l’arrêt Lacasse, qui ont été précisées comme suit par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Friesen.

[51]      Notre Cour rappelle, dans l’arrêt Amato, la grande déférence qui doit être la nôtre lorsqu’arrive le temps de réviser une peine :

[24]      Les situations pouvant justifier l’intervention d’une cour d’appel en matière de peine sont bien connues et se limitent à celles exposées dans l’arrêt Lacasse, qui ont été précisées comme suit par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Friesen :

[26]      Comme l’a confirmé notre Cour dans Lacasse, la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidenclae sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre » (R. c. McKnight (1999), 1999 CanLII 3717 (ON CA), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), par. 35, cité dans Lacasse, par. 49). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44). Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée.

[25]      Dans son examen de la sanction, la Cour devra donc éviter de substituer son opinion à celle du juge de première instance pour la seule raison qu’elle aurait imposé une peine différente ou qu’elle n’aurait pas accordé le même poids aux facteurs pertinents. Elle doit faire preuve de déférence envers la décision du juge du procès à cet égard. Ce n’est que lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ce juge est déraisonnable que la Cour pourra modifier la peine imposée.[46]

[52]      Notre Cour reconnaît aussi qu’il faut faire preuve de retenue lorsque la détention est fondée sur l’objectif de dissuasion générale[47].

Il serait en fait inique d’imposer une peine qui serait hors de proportion à la seule fin de dissuader nos concitoyens de désobéir à la loi.

[54]      Nous croyons opportun de rappeler d’abord que l’article 718.02 C.cr. invite le tribunal qui prononce une peine relativement à l’infraction d’intimidation d’une personne associée au système de justice à « apporter une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l’agissement à l’origine de l’infraction »[48].

[55]      Cela n’exclut pas nécessairement l’application des autres principes relatifs au prononcé d’une peine juste et appropriée aux circonstances de l’affaire et à la responsabilité morale du délinquant. Il serait en fait inique d’imposer une peine qui serait hors de proportion à la seule fin de dissuader nos concitoyens de désobéir à la loi[49].

[56]      Nous notons aussi que les infractions d’entrave à la justice et celles d’entrave à un agent de la paix sont assujetties aux dispositions de l’art. 742.1 C.cr. et que les critères d’application de l’emprisonnement avec sursis sont les suivants :

(1) le délinquant doit être déclaré coupable d’une infraction autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue;

(2) le tribunal doit infliger au délinquant une peine d’emprisonnement de moins de deux ans;

(3) le fait que le délinquant purge sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci;

(4) le prononcé d’une ordonnance d’emprisonnement avec sursis est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2.[50]

En règle générale, les objectifs de dénonciation et de réprobation peuvent être atteints avec une peine d’emprisonnement avec sursis.

[57]      Notre Cour précise dans l’arrêt Barchichat « qu’en règle générale, les objectifs de dénonciation et de réprobation [peuvent] être atteints avec une peine d’emprisonnement avec sursis »[51].

[58]      Le juge semble ne pas avoir considéré que l’emprisonnement avec sursis puisse s’avérer une mesure adéquate en ce qui concerne les chefs 1 et 3. L’alinéa 742.1 c) C.cr. interdit par contre l’emprisonnement avec sursis lorsque l’infraction est poursuivie par voie de mise en accusation et qu’elle est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement, ce qui est d’ailleurs prévu à l’al. 423.1 (3) C.cr.

[59]      Le juge a eu raison de considérer le statut de l’avocat comme un facteur aggravant[52]. L’agent Turgeon lorsqu’il témoigne indique précisément que l’appelant a rappelé à plusieurs reprises qu’il était avocat lors de l’intervention[53]. Il a également fait référence à ses expériences professionnelles en parlant, par exemple, de l’affaire de Stéphanie Trudeau pour démontrer le caractère réaliste de ses menaces[54] et forcer la cession de l’intervention[55].

[60]      En ce qui a trait aux principes de la peine et de l’harmonisation des peines, l’appelant ne réussit pas à démontrer une erreur dans l’appréciation du juge.

[61]      Les décisions qu’il a analysées pour en venir à déterminer la peine qu’il considérait adéquate se distinguaient nettement de la situation révélée par la preuve. Le juge en était toutefois conscient et il en fait état lorsqu’il écrit :

[51]      Force est de constater que les décisions consultées par le Tribunal ne s’apparentent pas aux faits en l’espèce, mais elles peuvent tout de même servir de guide, dans l’appréciation d’une juste peine, en regard des principes qui s’en dégagent.[56]

[62]      Il est permis de constater, à la lecture de l’ensemble de la décision, que le juge a mis en balance la gravité des infractions et le degré de responsabilité de l’appelant tout en tenant compte des peines infligées dans pareils cas dans le passé.

[63]      Il ressort toutefois de l’analyse de la décision que le juge s’est limité à reconnaître que l’emprisonnement ferme était la mesure nécessaire afin de répondre aux objectifs de dissuasion et de réprobation. Il semble avoir été influencé par le fait qu’il devait répondre aux suggestions de l’art. 718.02 C.cr.en ce qui a trait à l’infraction d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire.

Il importe de rappeler que les tribunaux se doivent de pondérer adéquatement tous les objectifs de détermination de la peine. Les objectifs de dissuasion et dénonciation doivent être évalués selon les circonstances de chaque cas et ne peuvent, a priori, exclure un choix de peine pour la seule raison que le législateur incite à décider dans ce sens.

Le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les conditions préalables prévues à la loi sont réunies constitue une erreur de principe.

[64]      Il importe de rappeler que les tribunaux se doivent de pondérer adéquatement tous les objectifs de détermination de la peine. Les objectifs de dissuasion et dénonciation doivent être évalués selon les circonstances de chaque cas et ne peuvent, a priori, exclure un choix de peine pour la seule raison que le législateur incite à décider dans ce sens.

[65]      Nous faisons nôtres les propos de notre collègue, le juge Vauclair, lorsqu’il écrit dans l’arrêt Harbour :

[83]      Par ailleurs, je souligne que la dénonciation et la dissuasion générale sont des objectifs flous pouvant mener rapidement à une peine disproportionnée s’ils ne sont pas pondérés avec soin. Tout en reconnaissant leur utilité générale, la Cour a souligné à plus d’une reprise le caractère incertain et limité de l’objectif de dissuasion générale : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047; R. c. Brais, 2016 QCCA 356; R. c. Charbonneau, 2016 QCCA1567. Voi également R. c. H. (C.N.) (2002), 2002 CanLII 7751 (ON CA), 170 C.C.C. (3d) 253, par. 35 (C.A.O.); R. c. Biancofiore (1997), 1997 CanLII 3420 (ON CA), 119 C.C.C. (3d) 344, par. 23 (C.A.O.); R. c. Wismayer (1997), 1997 CanLII 3294 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 18, 36 (C.A.O.) et R c. Lee, 2012 ABCA 17, par. 37 (opinion du juge Berger).

[84]      Je n’ignore pas qu’on prête à la dissuasion une certaine efficacité pour les malversations qui exigent réflexion et planification. Cette affirmation ne doit cependant pas faire perdre de vue les faits propres à chaque affaire et à chaque délinquant. La peine doit tenir compte de l’ensemble des objectifs pénologiques et non s’arrêter à certains d’entre eux. Seul l’équilibre mène à une peine juste. [57]

[66]      Il vaut aussi de se rappeler les enseignements qu’expose la Cour suprême dans l’arrêt Proulx[58] relativement au cadre d’analyse que les juges doivent appliquer lors de l’évaluation du caractère raisonnable d’une peine d’emprisonnement avec sursis dans un cas donné :

58           Les tribunaux canadiens devraient suivre une démarche analogue. Partant, l’interprétation téléologique de l’art. 742.1 ne commande pas le recours à une démarche rigide en deux étapes dans le cadre de laquelle le tribunal devrait d’abord infliger une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée puis décider si cette peine même peut être purgée au sein de la collectivité. À mon avis, le tribunal peut s’acquitter de l’obligation qui lui est faite de condamner le délinquant à un emprisonnement de moins de deux ans en déterminant de façon préliminaire la fourchette des peines applicables. En conséquence, suivant la démarche que je propose, le juge doit encore accomplir deux étapes. Toutefois, il n’a pas à infliger une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée à la première étape de l’analyse. À ce stade, le tribunal n’a simplement qu’à déterminer s’il y a lieu d’écarter deux possibilités: a) les mesures probatoires, et b) l’emprisonnement dans un pénitencier. Si l’une ou l’autre de ces sanctions est appropriée, l’emprisonnement avec sursis ne devrait pas être prononcé.

59           Pour rendre cette décision préliminaire, il suffit au tribunal de prendre en compte l’objectif essentiel et les principes de la détermination de la peine énoncés aux  art. 718 à 718.2, dans la mesure nécessaire pour délimiter la fourchette des peines applicables au délinquant. Quoiqu’elles ne lient pas le tribunal, les observations des parties peuvent s’avérer utiles à cet égard. Par exemple, les deux parties peuvent convenir que la peine appropriée est l’emprisonnement pour une période de moins de deux ans.

60           Une fois qu’il a pris cette décision préliminaire, et en supposant que tous les autres préalables prévus par la loi sont réunis, le tribunal passe alors à la seconde étape de l’analyse et se demande si le prononcé d’une condamnation à l’emprisonnement avec sursis est conforme à l’objectif essentiel et aux principes visés aux art. 718 à 718.2. Contrairement à la première étape, les principes de détermination de la peine sont alors examinés de manière exhaustive. De plus, c’est au cours de cette seconde étape que le tribunal doit fixer la durée de la peine d’emprisonnement et l’endroit où elle sera purgée, et, s’il rend une ordonnance de sursis à l’emprisonnement, la nature des conditions dont elle sera assortie.

[Soulignement dans l’original]

[67]      Le juge Lamer ajoute[59] :

113      En résumé, au moment de décider si l’octroi du sursis à l’emprisonnement est conforme à l’objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération. Pour décider s’il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l’existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l’art. 722 du Code). Cette liste n’est pas exhaustive.

[…]

115        Finalement, il convient de souligner que le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.

116        Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2  R.C.S. 309, à la p. 329, « [d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant ». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3.

[68]      Ainsi, le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les conditions préalables prévues à la loi sont réunies constitue une erreur de principe[60].